Appel à communications
Imaginaires de la grossesse/du corps enceint.
Littérature, médecine et genre
Journée d’étude
Vendredi 29 novembre 2024
Université Paris 8 Vincennes–Saint-Denis / Fabrique du littéraire (FabLitt)
À l’intersection de la littérature, de la médecine et du genre viennent prendre place les discours et imaginaires qui entourent l’expérience sexuée/genrée que constitue la grossesse.
L’étude des interactions entre littérature et médecine d’un côté bénéficie depuis une décennie du chassé-croisé entre sciences sociales et outils narratifs (Polkinghorne, 1988 ; Czarniawska, 2004 ; Kreiswirth, 2005) ; d’un autre côté, les études sur le genre (gender studies), héritières des théories et mouvements féministes, mais également dépositaires d’une tradition biomédicale et psychologique (Oakley, 1991 [1972] ; Fausto-Sterling, 2012 [2000]) interrogent la répartition sexuée des rôles dans les sociétés humaines ainsi que les rapports de pouvoir qui s’y jouent (Godelier, 2005 ; Bereni et alii, 2012 ; Schmitt-Pantel, 2021). Pour autant, l’approche genrée est encore peu mobilisée dans les humanités médicales francophones.
Dans le prolongement de travaux qui articulent les discours et représentations du médical à des enjeux littéraires – rhétoriques, stylistiques ou génériques (Abramovici, 2003 ; Brancher, 2012) – la journée d’étude entend donner toute sa place à la grossesse comme objet littéraire, quand elle est souvent traitée à la marge d’autres expériences, comme celle de la maternité (Saint-Martin, 1994), ou même celle, plus spécifique, de l’accouchement (Karath, 2013 ; Projet Birth[ing] Stories de Sorbonne Nouvelle). Ainsi, le corps « écrit » (Rueff [éd.], 2020), notamment « souffrant » (Danou, 1994 ; Marin, 2008) fait l’objet d’attentions, mais la perspective genrée du corps enceint manque encore à l’appel (Froideveaux-Metterie, 2023).
Étroitement lié à cette expérience, l’événement[1] que constitue l’interruption de la grossesse constitue, dans les études francophones, un champ en cours de défrichement (Robison, thèse en cours). L’analyse des récits d’avortement est ainsi susceptible de recouper à certains égards les enjeux qui entourent les pratiques d’écriture participant de la médecine narrative (Charon, 2016 ; Lejeune, 2017) ou de l’autopathographie (Galichon, 2017 ; Thévenet, 2023), en relation avec le constat fait par Alexandre Gefen d’une littérature devenue aujourd’hui une forme de « médecine de l’âme » (Gefen, 2017). L’étude des imaginaires véhiculés par le discours médical sur l’arrêt de la grossesse, depuis le corpus hippocratique jusqu’à la période moderne de pré/post légalisation, peut bénéficier des outils forgés par les études de genre, comme l’agentivité (agency) ou le self-help/self-knowledge (King, 1995). Elle peut également se saisir de la question du sujet et du point de vue situé (standpoint).
La journée accueillera toute proposition issue des lettres classiques, de la littérature française ou comparée portant sur des textes médicaux, fictionnels ou autobiographiques, de l’Antiquité à nos jours. Sont particulièrement encouragées les propositions portant sur les textes médicaux anciens ou sur les écrits de médecins et/ou de professionnel•les de santé.Loin de constituer des sources transparentes sur la réalité des sociétés auxquelles ils appartiennent, ces textes peuvent être analysés autrement que sous un prisme historique, les imaginaires genrés qu’ils déploient dans la langue entrant en tension avec la transmission affichée d’un savoir, dont les modalités peuvent varier en fonction des destinataires – dans la lignée des écrits hippocratiques sur les femmes, dont les enjeux génériques ont été forgés à postériori (King, 2007 ; Hanson, 2019).
Les axes suivants sont autant de pistes de réflexion :
1. Littérarité des discours médicaux sur la grossesse
Il s’agira de considérer les traités médicaux anciens – de la période antique jusqu’à la Renaissance – sous les angles tout à la fois du genre et du littéraire. L’analyse du discours médical moderne sur la grossesse doit quant à lui tenir compte des luttes professionnelles propres à la spécialité médicale de la gynécologie (Moscucci, 1990 ; Weisz, 2006). Les approches rhétoriques de ces discours est encouragée.
2. Représentations et imaginaires de la grossesse
À la suite du travail pionnier de Susan Sontag sur le SIDA (Sontag, 2009 [1990]), l’attention aux métaphores et autres tropes discursifs dans la construction des imaginaires est bienvenue, tout comme l’identification de dispositifs narratifs particuliers pour mettre en scène une expérience porteuse d’une dramaturgie propre. Inversement, la mobilisation par la langue des métaphores de la grossesse constitue une perspective intéressante.
3. Approches féministes des discours et des représentations médicales de la grossesse
Le corps enceint, lieu de la reproduction, a partie liée à l’institution médicale, ou à ce qui en tenait lieu, à savoir l’autorité de la parole du médecin ou du savant – soit l’auteur des traités médicaux anciens. Toute contribution qui interroge les rapports de pouvoir à l’œuvre dans la langue médicale et/ou qui utilise les outils des études de genre pour aborder la grossesse comme objet littéraire est bienvenue, y compris pour les textes anciens pour lesquels l’approche anachronique peut se révéler fructueuse.
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Organisation :
Marion Bonneau marion.bonneau04@univ-paris8.fr
Fabrique du littéraire, Université Paris 8 Vincennes–Saint-Denis
Médecine grecque et littérature technique, Université Paris Sorbonne
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Comité scientifique :
Jean-Christophe Abramovici jean-christophe.abramovici@sorbonne-universite.fr">jean-christophe.abramovici@sorbonne-universite.fr (Professeur des universités, Centre d’études de la langue et des littératures françaises, Université Paris Sorbonne)
Marion Bonneau marion.bonneau04@univ-paris8.fr">marion.bonneau04@univ-paris8.fr (Docteure en études grecques et Prag, Fabrique du littéraire, Université Paris 8 Vincennes–Saint-Denis ; Médecine grecque et littérature technique, Université Paris Sorbonne)
Florence Bourbon florence.bourbon@inspe-paris.fr">florence.bourbon@inspe-paris.fr (Maître de conférence HDR, INSPE/Médecine grecque et littérature technique, Université Paris Sorbonne)
Elsa Kammerer elsa.kammerer@univ-paris8.fr">elsa.kammerer@univ-paris8.fr (Professeure des universités, Fabrique du Littéraire, Université Paris 8 Vincennes–Saint-Denis)
Anne Tomiche tomicheanne@gmail.com">tomicheanne@gmail.com (Professeure des universités, Centre de Recherche en Littérature Comparée, Université Paris Sorbonne)
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Bibliographie indicative
Abramovici, Jean-Christophe, « De l’archipel au continent noir. Les représentations médicales de la femme dans la seconde moitié du xviiie siècle », dans Le partage des savoirs, XVIIIe-XIXe siècles, L. Andries (dir.), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2003, 183–202.
Bereni, Laure, Chauvin Sébastien, Jaunait,Alexandre et Revillard, Anne, Introduction aux études sur le genre, (2e éd. revue et augmentée), Bruxelles [Paris], De Boeck, 2012.
Berthiaud, Emmanuelle, « Le vécu de la grossesse aux XVIIIe et XIXe siècles en France », Histoire, médecine et santé, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2012, 93–108.
Birth(ing) Stories, https://sites.google.com/view/birthing-stories/accueil
Bourbon Florence, « La femme malade, le médecin hippocratique et la question du genre », Session CLELIA, Questions de genre et de sexualité dans l’Antiquité grecque et romaine (août 2011), dans Lalies 32, 2012, 181–189.
Brancher, Dominique, « Splendeurs et misères des figures de style. Pudeur du discours médical au XVIe et XVIIe siècles », Histoire, médecine et santé, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2012, 19–33.
Charon, Rita, Narrative medicine: Honoring the stories of illness, Oxford, Oxford University Press, 2006.
Conrad, Peter, ‘‘ The Shifting Engines of Medicalization ’’, Journal of Health and Social Behavior, vol 46, 2005, 3–14.
Czarniawska, Barbara, Narrative in Social Science Research, London, SAGE Publication Ltd, 2004.
Dean-Jones, Lesley, ‘‘ Autopsia, historia, and what women know: the authority of women in Hippocratic gynaecology ’’,Knowledge and the scholarly medical traditions, D. Bates (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 1995, 41–59.
Duval, Suzanne, Ta grossesse, POL, 2020.
Fausto-Sterling, Ann, Corps en tous genres : la dualité des sexes à l’épreuve de la science [Sexing the body : gender politics and the construction of sexuality, 2000], La Découverte, 2012.
Gefen, Alexandre, Réparer le monde. La littérature française face au xxie siècle, Paris, José Corti, 2017.
Godelier, Maurice, « Femme, sexe ou genre ? », dans Femmes, genre et sociétés. L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2005.
Hanson, Ann Ellis, « La femme des auteurs médicaux », dans Bien avant la sexualité, Halperin D. M., Winkler J. J. et Zeitlin F. I (dir.), Boehringer S. (trad.), 2019, 395–434.
Johnston Hurst, Rachel Alpha (ed.), Representing abortion, Routledge, London-New-York, 2021.
Kammerer, Elsa, « Grossesse, naissance et petite enfance sous le regard d’un poète français de la Renaissance, Charles Fontaine », dans Naissances et enfantements en France à la Renaissance, Nerina Clerici-Balmas (dir.), no spécial de Plaisance. Rivista di letteratur francese moderna e contemporanea, no 14, Anno v, 2008, 29–48.
Karath, Tamás, ‘‘ Staging Childbirth: Medical and Popular Discourses of Delivery and Midwifery in the Medieval English Mystery Plays ’’, in Medieval and Early Modern Literature, Science and Medicine, R. Falconer and D. Renevey (ed.), Narr Verlag, SPELL 28, 2013, 187–206.
King, Helen, ‘‘ Self-help, self-knowledge: in search of the patient in Hippocratic gynaecology ’’, in Women in Antiquity : new assessments, R. Hawley et B. Levick (ed.), Routledge, 1995, 135–148.
King, Helen, Midwifery, Obstetrics and the Rise of Gynaecology, Aldershot, Ashgate, 2007.
Kreiswirth, Martin, ‘‘ Narrative Turn in the Humanities ’’, Routledge Encyclopedia of Narrative Theory, D. Herman, M. Jahn et M.-L. Ryan (ed.), London, Routledge, 2005, 377–382.
Laqueur, Thomas, La Fabrique du sexe [Making Sex, Body and Gender from the Greeks to Freud, 1992], Paris, Gallimard, 2013.
Lejeune, Philippe, « Écrire soigne », dans La médecine narrative – Une révolution pédagogique ?, F. Goupy et C. Le Jeunne (dir.), Paris, Med-line Éditions, 2017, 141–148.
Mazzoni, Cristina Maternal Impressions. Pregnancy and Childbirth in Literature and Theory, Ithaca, Cornell University Press, 2002.
Moscucci, Ornella, The science of woman. Gynaecology and gender in England, 1800-1929, Cambridge University Press, 1990.
Oakley, Ann, Sex, Gender and Society, Aldershot, Gower, 1991 [1972].
Polkinghorne, Donald E., Narrative Knowing and the Human Sciences, Albany, State University of New-York Press, 1988.
Robison, Carla, "Écrire l'avortement en Occident, à la veille de sa légalisation (1920-1978)", thèse de doctorat, littérature générale et comparée, Paris, Sorbonne Université, en cours.
Rousselle, Aline, « Observation féminine et idéologie masculine : le corps de la femme d’après les médecins grecs », Annales, 35-5, 1980, 1089–1115.
Rueff, Martin (éd.), Starobinski, Jean, Le corps et ses raisons, Paris, Éditions du Seuil, 2020.
Saint-Martin, Lori, « Le corps et la fiction à réinventer : métamorphoses de la maternité dans l’écriture des femmes au Québec », Recherches féministes, 7/2, 1994, 115–134.
Schmitt Pantel, Pauline, « Histoire des femmes et du genre : Pénélope aussi a une histoire ! », Brathair Revista de Estudos Celtas e Germânicos, 2021, 20 (1), 277–300.
Sontag, Susan, La maladie comme métaphore, Paris, C. Bourgeois, DL, 2009 [1990].
Thevenet, Charlotte, « L’avortement comme trauma : normes et valeurs du récit d’IVG post-légalisation », dans Itinéraires. LTC. Fables du trauma, R. Kheme et A. Laumier (dir.), Villetaneuse, Pléiade, 2022-2|2023.
Thomas, Jean-Paul, La plume et le scalpel. La médecine au prisme de la littérature, Paris, Presses Universitaires de France, 2008.
Vizzavona Sandra, Interruption : L’avortement par celles qui l’ont vécu, Le livre de poche, 2022.
Weisz, George, Divide and Conquer: A Comparative History of Medical Specialization, Oxford, Oxford University Press, 2006.
Wilt, Judith Abortion, Choice, and Contemporary Fiction. The Armageddon of the Maternal Instinct, Chicago & London, 1990.
[1] Pour reprendre la dénomination tout à la fois expressive et euphémique d’Annie Ernaux.