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Corps et âme. Transmettre l'émotion en chanson. 5e Biennale internationale d’études sur la chanson (Aix-en-Provence & Lausanne)

Corps et âme. Transmettre l'émotion en chanson. 5e Biennale internationale d’études sur la chanson (Aix-en-Provence & Lausanne)

Publié le par Marc Escola (Source : Joël July)

Appel pour la 5e Biennale internationale d’études sur la chanson

19-22 mars et 8-10 avril 2025

Université d’Aix-Marseille (AMU), Université de Lausanne (UNIL) 

 Corps et âme. Transmettre l'émotion en chanson

Malgré le caractère artificiel et esthétisé de la voix qui chante, se met à chanter, décide de se mettre à chanter pour dire ses affects et tâcher d’émouvoir le public, la chanson donne l’impression de rapporter et d’apporter un moment de vie intense. D’une part parce qu’il ne servirait à rien de produire une prouesse vocale pour dire sans rime ni raison un sentiment banal et plat ; d’autre part parce que l’enserrement musical d’un discours isole une bulle de temps compté qui fonctionne comme une parenthèse hors du temps, hors de la vie courante. Pourtant, magiquement, la vie se manifeste, au cœur du texte qui dit lui-même des émotions fictionnelles ou fictives et au cœur d’une voix qui transporte avec elle la corporéité dont elle émane et transforme la chanson, aussi intimiste qu’elle soit elle-même et aussi nombreux que soit le public pour l’écouter, en corps à corps. L’émotion en chanson résulte donc de l’émulsion entre quatre ingrédients : le texte, la voix, la musique, la scène. 

Volet d’Aix (FRANCE) : du mardi 8 avril (pm) au jeudi 10 avril 2025 (am)

Faire âme en chanson : l’émotion, paroles et musique

 La chanson, c’est un autre temps, un temps parenthétique qui n’existe pas, une autre vie, qui se trouvent transplantés dans le temps et la vie de l’auditeur. Une vie par procuration ? une vie sous le signe de l’illusion ? ce serait faire de l’auditeur un naïf ou un frustré ; mieux vaudrait parler d’un pacte, d’un consentement à l’imaginaire, puisque tout le temps que dure la chanson, si je suis ému.e, je décide et je crois que ces mots et cette voix sont les miens ; d’ailleurs tout de suite après, je prends plaisir à remâcher les mots, à fredonner l’air. Chaque chanson constitue, dès qu’elle est écoutée, une expérience unique. Par ailleurs il existe une infinie diversité de formes et d’agencements, au-delà de l’unité du format court. On serait donc tenté de renvoyer le pouvoir de la chanson à une sorte d’énigme ou d’alchimie mystique vis-à-vis desquelles il conviendrait de se taire sans chercher à comprendre. Malgré tout, il nous faut poser l’hypothèse forte que l’émotion n’est pas irréductiblement singulière et mystérieuse ; on doit chercher à rendre compte de ce qui la produit ou de ce qui l’empêche.

L’émotion s’inscrit-elle dans le lyrisme d’un texte, dans la nature d’une musique, la subtilité ou le grandiose de son arrangement ? Si oui, faut-il faire intervenir le critère de la valeur ou de la qualité d’un tel lyrisme, d’une telle harmonie ? Laquelle, d’une esthétique de l’emphase ou de la retenue, est la plus capable de gagner l’auditoire ? L’ironie, l’humour, la distance annulent-ils l’émotion exprimée, l’émotion partagée ? Texte et musique se suffisent-ils à eux-mêmes ? Ne faut-il pas prendre en compte le contexte, l’arrière-plan référentiel ? Et d’où vient le surcroît d’émotion ressenti à l’écoute d’une chanson dans un contexte comme celui d’une fiction cinématographique ? La fabrique des émotions (rhétorique, voix, mélodie, arrangement) a sans aucun doute une histoire : il existe des procédés datés (le [r] roulé, la voix de Luis Mariano) et des émotions ringardes (le culte de la patrie, la satisfaction misogyne, la bonne conscience chauvine)…

Au-delà de ces questions techniques, il conviendra de s’interroger sur la valeur de vérité des émotions en chanson :

- Qu’est-ce qui fait que l’éthos de l’artiste met assez en confiance pour qu’on croie à l’émotion ? Quelle part ont la sincérité ou l’authenticité dans l’émotion ?

-  Peut-il y avoir émotion sans un discours d’escorte qui l’explicite, la justifie, la situe ? Ou au contraire l’émotion résiste-t-elle à un discours qui l’escorte ?

- Peut-on se contenter de l’émotion ponctuelle du sujet qui semble affecté, du canteur ou de la cantrice, ou ne faut-il pas placer l’émotion dans un cadre collectif qui la prolonge, l’amplifie ? 

-  Envisagée sous l’angle de la longue durée, la réception d’une chanson ne transforme-t-elle pas la nature et les enjeux des émotions ?

Mais on pense aussi au revers de la médaille de l’émotion collective : s’il y a contamination en public de l’émotion, suis-je assuré.e qu’elle soit de mon propre chef, qu’elle reflète effectivement mon sentiment intime, celui que j’aurais seul.e et librement ? c’est ce que signifie entre autres la formule « l’émotion gagne, m’a gagné.e ». Comme pour l’illusion réaliste au théâtre, il y a dans la chanson une prise de possession de la raison par l’émotion, qu’elle soit ou ne soit pas suscitée par un artifice.

À la suite de ces réflexions, deux questions essentielles pourront guider les communications aixoises :

·       Comment techniquement se créent les émotions ? Comment les déclencher, les intensifier, les prolonger (en paroles et/ou en musique) ?

·       Quels garants éthiques, politiques, épistémologiques l’émotion se donne-t-elle pour assurer sa légitimité ? Il s’agit d’interroger le vieux couple émotion vs vérité.

Les communications s’appuieront sur des corpus bien délimités.

Comité d’organisation à Aix-en-Provence

ABBRUGIATI, Perle

BLAUWART, Théo

BOREL, Donatienne

JULY, Joël

KIPPELEN, Etienne

Volet de Lausanne (SUISSE) : du mercredi 19 au samedi 22 mars 2025

Faire corps en chanson : l’émotion, de l’artiste au public – et retour

 Dans une perspective pluridisciplinaire, les journées lausannoises de cette cinquième Biennale invitent à penser les émotions performées en chanson dans leurs allers et retours entre l’artiste et son public : comment voix, musique, regard(s), vêtements/costumes et accessoires, posture, gestes, chorégraphies, éclairage, musique, supports visuels (écrans, décors, etc.) expriment-ils l’émotion, comprise comme un mouvement (« émotion » vient du latin emovere, « ébranler ») dans le corps de l’artiste et dans les corps des spectatrices et spectateurs mais aussi entre les corps de ces deux instances, que ce soit sur une scène, dans des clips ou des productions sur les réseaux sociaux ? 

Il s’agira de se demander comment « faire corps en chanson ». Quels sont les contextes et conditions de transformation des émotions incorporées, mises en scènes, incarnées par les cantrices et canteurs en « expériences partagées » ? Dans quelles circonstances et selon quelles modalités des déclinaisons comme le rap ou le slam, par exemple, permettent-elles de « faire corps », sous la forme d’une communauté voire d’une choralité ? En quoi la chanson ouvre-t-elle la possibilité d’une co-éducation sensible, laissant la performativité des désirs avec leur improvisation prendre le pas sur la performativité institutionnelle avec ses conventions ? Comment penser cet engagement émotionnel à la fois personnel et mutuel, fragile, et dont les contours sont perpétuellement en définition et création ? Dans quelle mesure ce lien émotionnel entre artiste et public peut-il être déterminé sociologiquement ? Jusqu’à quel point la catharsis voire la transe émotionnelle induites en concert relèvent-elles d’une culture commune entre artiste et public et comment l’artiste joue-t-il ou joue-t-elle le rôle de médiateur ou médiatrice dans des mouvements collectifs de conscience modifiée ?

Il s’agira également de décrire la poéthique singulière – les usages à la fois poétiques, stylistiques et scéniques, mais aussi citoyens, voire politiques – de la voix. Quelles similitudes et quelles différences y a-t-il entre concerts, listening parties (soirées d’écoute permettant de partager un album), scènes ouvertes de type cabaret et représentations théâtrales, par exemple ? Les émotions transmises par la poésie sonore et par la chanson – toutes deux porteuses d’un « je(u) lyrique » empreint d’une quête d’expressivité et d’une adresse ludique voire humoristique – sont-elles comparables ? 

Une préoccupation pédagogique et didactique sera également partagée. Sous quelles modalités ces questionnements des aspects affectifs, scéniques et corporels de la chanson peuvent-ils être « scolarisés », sachant que la chanson est désormais entrée aussi bien dans les classes primaires et secondaires que dans les lycées et les universités ? Quelles places les émotions en chanson peuvent-elles trouver dans l’enseignement-apprentissage (à des niveaux divers) d’une langue ?

Chaque contributrice et contributeur devra s’efforcer de situer théoriquement et épistémologiquement sa compréhension et son usage de la notion d’émotion pour appréhender l’un ou l’autre des genres chantés qu’il prendra pour objet(s). Les propositions pourront être ancrées dans toute perspective procédant des sciences de l’humain. 

Voici quelques exemples de thématiques possibles : 

·       Analyse des performances scéniques de chansons et/ou slams et/ou raps ;

·       Analyse sous l’angle de l’anthropologie de la voix et/ou du geste ;

·       Analyse sociologique du lien émotionnel entre l’artiste et son public ;

·       Analyse sémiotique de clips et/ou de performances scéniques mettant en exergue le corps et la voix de l’artiste ; 

·       Typologisation des émotions incarnées, performées ; 

·       Analyse comparative de plusieurs performances d’une même chanson ;

·       Propositions didactiques prenant pour corpus des performances scéniques et/ou des clips.  

·       Propositions didactiques prenant pour objet le rôle possible des émotions en chanson dans l’enseignement-apprentissage des langues-cultures. 

·       Etc.

Comité d’organisation à Lausanne

ERARD, Yves

FISCO, Eleonora

PAHUD, Stéphanie 

TURIN, Gaspard 

VORGER, Camille 

Comité scientifique

ABBRUGIATI, Perle (AMU)

BARONI, Raphaël (Université de Lausanne)

CHABOT-CANET, Céline (Université de Lyon 2)

CHAUDIER, Stéphane (Université de Lille)

DENIOT, Joëlle (Université de Nantes)

ERARD, Yves (Université de Lausanne)

FREI, Constance (Université de Lausanne)

FUCHS, Gerhild (Université d'Innsbruck)

HIRSCHI, Stéphane (Université Polytechnique des Hauts de France)

JACONO, Jean-Marie (AMU)

JULY, Joël (AMU)

KIPPELEN, Etienne (AMU)

LA VIA, Stefano (Université de Pavie)

MANSION VAQUIE, Julie (Université de Nice)

MARCHETTI, Mélina (Université de Lausanne)

MEIZOZ, Jérôme (Université de Lausanne)

PAHUD, Stéphanie (Université de Lausanne)

PREVOT THOMAS, Cécile (Université Sorbonne Nouvelle)

PRUVOST, Céline (Université de Picardie Jules Verne)

RODRIGUEZ, Antonio (Université de Lausanne)

TRAJANOSKI, Antonio (Haute Ecole Pédagogique Vaud)

TURIN, Gaspard (Université de Lausanne)

VORGER, Camille (Université de Lausanne)

Les propositions d’une vingtaine de lignes au maximum, qui préciseront le corpus d’étude, seront à envoyer avant le 3 juin 2024 minuit, aux deux adresses suivantes, accompagnées d’une brève biobibliographie :

 joel.july@univ-amu.fr

et

camille.vorger@unil.ch

  

Bibliographie indicative

  • ABBRUGIATI Perle et alii (dir.), Cartographier la chanson contemporaine, Aix-en-Provence, PUP, coll. « Chants Sons », 2019. 
  • BARONI Raphaël & TURIN Gaspard, « Playa Blanca : performance musicale et voix d’auteur », dans Vorger, C. (dir.), Les Voies contemporaines de l’oralité, Études de lettres, 2016, pp. 37-56. 
  • BONNET Gilles (dir.), La Chanson populittéraire, Paris, éd. Kimé, 2013.
  • CHABOT CANET Céline et JULY Joël (dir.), Du malentendu dans la chanson, PUP, coll. « Chants Sons », 2020.
  • CHAUDIER Stéphane et JULY Joël, « La voix, elle, ne ment pas : créativité et mystification éthiques dans la chanson », Babel : Littératures plurielles, M. Monte (dir.), Université de Toulon, 2016, L'éthos en poésie, p. 283-300. 
  • DENIOT Joëlle, « Le théâtre de la chanson », site Chansons françaises. 
  • DENIZOT Nathalie, La culture scolaire : perspectives didactiques, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2021. 
  • ERARD Yves, « Rupture en chanson : à l’écoute du malentendu », in July Joël, Chabot-Canet Céline (éds.), Du malentendu dans la chanson, Presse Universitaire de Provence, 2020.
  • HIRSCHI Stéphane, Chanson, L’Art de fixer l’air du temps, « Cantologie », Presses Universitaires de Valenciennes, 2008.
  • HIRSCHI Stéphane, « Chanson », dans A. Rodriguez (dir.), Dictionnaire du lyrique. Poésie, arts, médias, Classiques Garnier, 2024.
  • JULY Joël (dir.), Chanson : du collectif à l’intime, Aix-en-Provence, coll. « Chants Sons », PUP, 2017.
  • LEBRUN Barbara (dir.), Chanson et performance. Mise en scène du corps dans la chanson française et francophone, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2012.
  • MEIZOZ Jérôme, « Ce que slamer veut dire. Dialogue avec Camille Vorger », dans La Littérature en personne, Slatkine érudition, Genève, 2016. 
  • MABILON-BONFILS Béatrice, « Vivre (pour) penser les concerts engagés « Salomé » », Le sujet dans la cité, 2013/2 (n° 4), p. 266-284.
  • NANCY Sarah, « Émotions lyriques, émotions publiques ? », Littératures classiques, 2009/1 (n° 68), p. 211-224.
  • PAHUD Stéphanie et VORGER Camille, « Essai de slapologie. Phanee de Pool, Reine de la provoc », dans Isabelle Marc & Barbara Lebrun (dir.) Transposition n°12, « La féminisation des musiques populaires francophones » (à paraître en 2024).
  • PREVOST-THOMAS Cécile, « Les temporalités de la chanson francophone contemporaine », Cahiers internationaux de sociologie, 2002/2 (n° 113), p. 331-346.
  • RODRIGUEZ Antonio, « Émotions, sentiments », dans Dictionnaire du lyrique. Poésie, arts, médias, Classiques Garnier, 2024.
  • ROUGET Gilbert, La Musique et la transe : esquisse d’une théorie générale des relations de la musique et de la possession, Paris, Gallimard, 1990.
  • RULHES Christophe, « Les terrains de la musique. Les classements à l'épreuve du vécu », Sociétés, 2004/3 (no 85), p. 35-45.
  • VORGER Camille, Slam, une poétique. De Grand Corps Malade à Boutchou, Université de Valenciennes/ Les Belles Lettres, Coll. « Cantologie », n° 9, 2016.