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Phénoménologie de l’étranger. Colloque en l’honneur de Bernhard Waldenfels (Paris)

Phénoménologie de l’étranger. Colloque en l’honneur de Bernhard Waldenfels (Paris)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Audran Aulanier)

Organisation : Audran Aulanier (CEMS/EHESS & Ethics, UC Lille), Marco Franceschina (CEMS/EHESS), Natalie Depraz (Ireph, Nanterre et Archives Husserl, Paris), Matthias Vallery (Eriac, Rouen)

Localisation : Premier jour à l’ENS Paris, deuxième jour à l’EHESS Raspail 

Date : 7 et 8 novembre 2024

Le 17 mars dernier, Bernhard Waldenfels a eu 90 ans. Figure centrale de la philosophie allemande contemporaine et passeur infatigable de la phénoménologie française en Allemagne, son œuvre reste pourtant moins connue et étudiée dans le paysage francophone, malgré quelques soubresauts ces dernières années, avec la parution de plusieurs traductions de ses textes en français et l’organisation d’un colloque sur les phénoménologies de l’étranger à l’ENS Paris en 2018. Six ans plus tard, ce colloque vise à la fois à lui rendre hommage et à affirmer et consolider l’intérêt de l’œuvre de Waldenfels pour les philosophes et plus largement par les praticiens des sciences humaines et sociales francophones.

Il s’agira de mettre au travail les propositions théoriques majeures de Bernhard Waldenfels que sont en premier lieu le concept de responsivité, mais aussi l’importance accordée au rôle de l’étranger (das Fremde) dans sa phénoménologie, le renouvellement qu’il propose de la description phénoménologique à travers une mise en avant du caractère nécessairement indirect de celle-ci, etc. 

Il est attendu des propositions de communications qu’elles mobilisent explicitement l’œuvre de Bernhard Waldenfels, que ce soit de manière interne à celle-ci ou alors en la mobilisant au service d’une réflexion plus large. Trois axes, non exclusifs, sont proposés à la réflexion. Ils portent respectivement sur (1) les sources de Bernhard Waldenfels, philosophiques comme venant d’autres disciplines ; (2) la productivité de sa phénoménologie du corps et de l’attention ; (3) l’actualité de sa pensée politique, sociale et morale, centrée sur la figure de l’étranger. 

1)     Retour aux sources : la dominante phénoménologique et le dialogue interdisciplinaire 

Après sa thèse soutenue en 1959, consacrée à Socrate, avec une approche inspirée de Kierkegaard, Bernhard Waldenfels approfondit sa connaissance de la phénoménologie à Paris, où il étudie entre 1960 et 1962. Il y suit les derniers cours de Merleau-Ponty au Collège de France et découvre aussi les travaux de Paul Ricoeur. Pendant toute sa carrière, il fait de nombreux séjours en France, où il échange régulièrement avec Emmanuel Levinas, Jacques Derrida ou encore Cornelius Castoriadis. Il a d’ailleurs publié deux tomes de Chemins de pensées franco-allemands (1995, 2005), consacrés au dialogue fécond entre phénoménologies françaises et allemandes. Il a aussi beaucoup travaillé sur Edmund Husserl, auquel il avait consacré sa thèse d’habilitation (1971) et dont il a édité quelques textes. 

Dans le même temps, il n'a jamais cessé de privilégier une posture ouverte, n'hésitant pas à nourrir sa pensée de perspectives non-phénoménologiques. D’une part en ne perdant jamais de vue une perspective de philosophie générale, en s’attaquant à des concepts bien identifiés (la liberté, la morale [2006]…) comme en renouvelant des concepts moins courants en philosophie (l’étranger [1997, 1998, 1999a, 1999b], l’attention [2004]…), en dialogue par exemple avec les philosophies de Platon (2017) ou encore Hobbes (2006). Et, d’autre part, en s’attachant parallèlement à maintenir un dialogue interdisciplinaire, avec la psychanalyse ou avec les psychologues de la Gestalttheorie (2002, 2019), avec le mouvement structuraliste (1983), avec l’ethnologie (1997). Citons aussi ses commentaires du sociologue et phénoménologue Alfred Schütz (1979, 1983b, 2003, 2010) ou, dans un autre registre, ses nombreuses références à la littérature (Marcel Proust, Robert Musil, Léon Tolstoï, Herman Melville).

 Dans cet axe, nous serions particulièrement intéressés par des communications qui reviendraient sur l’utilisation faite par Waldenfels de ces différentes sources, sur la manière dont il dialogue avec des auteurs et déplace leurs perspectives, sur la définition progressive du concept de responsivité dans son travail, ou encore sur un travail comparatif entre le traitement d’un concept chez Waldenfels et un.e autre auteur.trice (L’autre et l’étranger chez Levinas et Waldenfels, la responsivité chez Waldenfels et Schürmann, la question des ordres chez Waldenfels et Foucault…). 

2)     La responsivité comme nouveau cadre phénoménologique, prendre au sérieux la description indirecte

Bernhard Waldenfels est à l'origine d'un cadre phénoménologique nouveau : une phénoménologie « pathique et responsive », qui déplace le cadre intentionnel traditionnel (1994). L'expérience de l’étranger, écrit-il souvent en reprenant une formulation husserlienne, est « accès à ce qui est originairement inaccessible ». Elle est ce retrait dans la présence qui se soustrait à la maîtrise, qui atteint et questionne un certain ordre de signification. Cette part de non-sens dans le sens est constitutive du soi, à travers les réponses que celui-ci fourni : on ne choisit pas ce à quoi on répond, mais – dans une certaine mesure – ce qu’on répond. Waldenfels sape le cadre husserlien de l’intentionnalité et va plus loin que les écrit du fondateur de la phénoménologie sur la passivité en faisant du pathos un évènement « qui nous arrive contre, qui nous heurte (Widerfahrnis) », auquel je ne suis pas soumis. Ainsi, « la responsivité dépasse toute intentionnalité, puisque l’ouverture à ce qui nous frappe ne s’épuise pas dans la signifiance, l’intelligibilité, ou la vérité de la réponse que nous donnons » (2005b : 366).

Cette approche responsive a permis de renouveler certains problèmes philosophiques majeurs, qui touchent notamment à la question de la corporéité et à celle de l'attention (Aufmerksamkeit). Ainsi, le corps est repensé à partir de l'entrelacs du propre et de l'étranger (2000), tandis que l'attention peut apparaître comme un acte responsif de détermination de l'indéterminé (2004). En arrière-fond, se trouve une importance donnée à un mode indirect de description, que Waldenfels décrit comme suit : 

Une description qui n’est pas seulement dirigée vers les choses qui lui préexistent, fait ainsi apparaître quelque chose comme quelque chose, et elle montre quelqu’un comme quelqu’un. Elle s’appuie pour cela sur la répétitivité des formes, des significations et des rôles qui garantissent sa communicabilité. En tant que phénoménologue, on ne décrit pas en effet seulement ce qui est le cas, mais aussi son mode d’apparaître. On doit alors considérer l’échelle des instances intermédiaires. Elles ne se limitent pas aux significations intentionnellement visées et linguistiquement exprimées, mais elles s’incarnent dans toute une série de signes, d’images, de médias, de pratiques et de techniques (2010b : 33). 

Dans cet axe, nous attendons des propositions qui mobilisent la phénoménologie de Waldenfels au service d’une réflexion plus large. Des contributions de sociologues, d’ethnologues, de géographes, de psychologues et plus largement de praticiens des sciences humaines et sociales sont ici particulièrement bienvenues, avec un usage des propositions de Waldenfels au service de l’analyse d’éléments empiriques, ou pour adapter un cadre théorique disciplinaire avec les outils proposés par Waldenfels. Des contributions philosophiques sur les conséquences théoriques du déplacement de la phénoménologie qu’opère Waldenfels sont également attendues, ou des contributions qui commentent Waldenfels à l’aune d’un projet philosophique propre. 

3)     Les conséquences morales, politiques et sociales de la pensée de l’étranger de Waldenfels

La phénoménologie de l'étranger développée par Waldenfels porte en elle un grand potentiel de renouvellement des pensées morales, politiques et sociales ; renouvellement d'autant plus important et urgent que nos sociétés contemporaines font actuellement face à des tentations de repli identitaire et à une certaine pente logocentrique qui tend à vouloir faire disparaître l'hétérogénéité des cultures. Dans les deux cas, il s'agit d'exclure l'étranger du monde propre, de le rejeter à l'extérieur, dans l'abîme fantasmatique d'une multitude hostile et potentiellement invasive, ou de se l'approprier suffisamment pour lui retirer son caractère inquiétant et questionnant. 

Or, Waldenfels nous a légué des réflexions et des outils conceptuels extrêmement précieux pour penser cette étrangeté qui hante le propre, non seulement d'un point de vue théorique mais également d'un point de vue éthique – il s'agit d’adopter une posture d’ouverture à l’égard de l’étranger, d'accueillir sa présence, y compris dans ce qu'il porte d'interpellation et ce qu'il exige comme réponse, laquelle est d’ailleurs toujours potentiellement critique ou se donnant dans un mouvement de fermeture, lorsque l’étranger risque de menacer le soi. Waldenfels a lui-même utilisé sa phénoménologie a plusieurs reprises pour décrire le monde social, depuis les guerres dans les Balkans dans les années 1990 (Waldenfels, 1997) jusqu’à la crise des politiques d’accueil du milieu des années 2010 (Waldenfels, 2022).

Dans cet axe, sont attendues des contributions qui mettent au jour la pensée politique de Waldenfels, qui la formalisent davantage qu’il ne le fait lui-même ou qui l’utilisent pour analyser des faits moraux ou des situations sociales ou politiques. Des rapprochements peuvent par exemple être faits avec les pensées politiques de Lefort ou de Castoriadis, des comparaisons peuvent être proposées avec la philosophie de Habermas, antagoniste notoire de Waldenfels dans le champ de la philosophie allemande et, plus généralement, sont bienvenues des propositions de revisite de la philosophie politique à l’aide d’une posture responsive (à travers les concepts de communauté ou d’hospitalité, par exemple).

Œuvres de Bernhard Waldenfels citées :

Das sokratische Fragen. Aporie, Elenchos, Anamnesis, Meisenheim/Glan: A. Hain, 1961 (thèse soutenue en 1959).

Das Zwischenreich des Dialogs. Sozialphilosophische Untersuchungen in Anschluß an E. Husserl, Den Haag: M. Nijhoff, 1971.

„Verstehen und Verständigung. Zur Sozialphilosophie von A. Schütz“, in: W. Sprondel, R. Grathoff, Hg., A. Schütz und die Idee des Alltags in den Sozialwissenschaften, Stuttgart: Enke, 1979.

Phänomenologie in Frankreich, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1983.

„Das umstrittene Ich. Ichloses und ichhaftes Bewußtsein bei A. Gurwitsch und A. Schütz“, in: R. Grathoff, B. Waldenfels, Hg., Sozialität und Intersubjektivität, München: W. Fink, 1983.

Antwortregister, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1994.

Deutsch-Französische Gedankengänge, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1995.

Topographie des Fremden. Studien zur Phänomenologie des Fremden, Bd. 1, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1997.

Grenzen der Normalisierung. Studien zur Phänomenologie des Fremden, Bd. 2, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1998.

Sinnesschwellen. Studien zur Phänomenologie des Fremden, Bd. 3, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 1999a.

Vielstimmigkeit der Rede. Studien zur Phänomenologie des Fremden, Bd. 4, Frankfurt/M.:

Suhrkamp, 1999.

Das leibliche Selbst. Vorlesungen zur Phänomenologie des Leibes, hg. von Regula Giuliani, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 2000.

Bruchlinien der Erfahrung. Phänomenologie, Psychoanalyse, Phänomenotechnik, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 2002.

„Der Fremde und der Heimkehrer. Fremdheitsfiguren bei Alfred Schütz“, in: I. Srubar, St. Vaitkus, Hg., Phänomenologie und soziale Wirklichkeit, Opladen: Leske + Budrich, 2003.

Idiome des Denkens. Deutsch-Französische Gedankengänge II, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 2005.

« Une philosophie de la réponse : Bernhard Waldenfels » (dossier), Revue de Théologie et de Philosophie, 137, 2005, p. 291-385.

Schattenrisse der Moral, Frankfurt/M.: Suhrkamp, 2006.

„Alltagsmoral. Fragen mit und an Alfred Schütz“, in: M. Staudigl (Hg.), Alfred Schütz und die Hermeneutik, Konstanz: UVK, 2010.

« Description indirecte », Archives de Philosophie, vol. 73, no. 1, 2010, p. 29-45.

Platon. Zwischen Logos und Pathos, Berlin: Suhrkamp, 2017.

Erfahrung, die zur Sprache drängt. Studien zur Psychoanalyse und Psychotherapie aus phänomenologischer Sicht, Berlin: Suhrkamp, 2019.

Globalität, Lokalität, Digitalität. Herausforderungen der Phänomenologie, Berlin: Suhrkamp, 2022.

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Calendrier :

25 mars : lancement de l’appel à communication

15 juin : date limite de réponse

Début juillet : réponse des organisateurs

7 et 8 novembre : tenue du colloque (deux jours)

Modalités de soumission :

Les propositions de communication devront être envoyées avant le 15 juin 2024 aux adresses suivantes : audran.aulanier@gmail.com ; pr.natalie.depraz@gmail.com ; marco.franceschina@ehess.fr ; matthias.vallery@gmail.com 

Merci d'indiquer 'colloque Waldenfels' en objet.

Les propositions ne devront pas excéder 6000 signes et devront être accompagnées d’une courte biobibliographie.

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Institutions partenaires :

EHESS, CEMS, Univ. Nanterre, Ireph, Univ. Rouen, ERIAC, Archives Husserl de Paris.