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Circulations des récits de transfuges de classe : perspectives internationales, éditoriales et médiatiques (Orléans)

Circulations des récits de transfuges de classe : perspectives internationales, éditoriales et médiatiques (Orléans)

Publié le par Marc Escola (Source : Laélia Véron)

Colloque International, 12-13 juin 2024, Orléans 

Les actes de ce colloque(ainsi que quelques publications supplémentaires) seront publiés au printemps 2025 dans la revue COnTEXTES. Revue de sociologie de la littérature. https://journals.openedition.org/contextes/ 

Mercredi 12 juin. Hôtel Dupanloup (1 rue Dupanloup, centre d'Orléans) (9h30-17h30) Bilan historique et perspectives internationales

Discutante: Sara de Balsi (CY Cergy-Paris Université)

9h: accueil

9h15: Mot d'accueil par Noëlline Castagnez, directrice de l'équipe CEPOC (laboratoire POLEN)

9h30 : Introduction : Karine Abiven (Sorbonne U.) & Laélia  Véron   (U. d'Orléans)    

10h-11h : Table-ronde : Approches diachroniques : Jérôme Meizoz (U. de Lausanne), Fanette Mathiot (Sorbonne U.), Laure Depretto (U. d'Orléans) Cette table-ronde reviendra notamment sur les points suivants

-Les définitions de la mobilité sociale : transfuge de classe/ parvenu / grimpion/ arriviste/ambitieux, etc… Que signifient ces termes ? En quoi se différencient-ils ? Que révèlent-ils des visions de la mobilité sociale selon les époques ? (Ancien Régime, XIXe, XXe, XXIe siècle ?)

-Peut-on employer l’expression « transfuge de classe » pour parler des œuvres du passé ? Est-il pertinent de penser un usage heuristique de la notion de “transfuge de classe”, avant l’émergence de la notion de « classe sociale »? Serait-ce un "anachronisme contrôlé" et fécond, ou a-t-on plutôt intérêt confronter cette catégorie contemporaine à des notions endogènes aux périodes anciennes, comme le mépris ou la naissance d’un désir de reconnaissance?

-La réception (moderne et contemporaine) des œuvres passées : ce que disent les récits, et ce qu’on leur faire dire. Pourquoi Rousseau est-il souvent présenté comme  « le premier transfuge »? (est-ce pertinent ?) En quoi le thème et l'ethos du transfuge de classe semblent-ils propices à projeter des questions de société, parfois renouvelées à chaque génération ? On peut penser à la manière dont Rousseau a été relu à la lumière de mouvements de gauche très divers (Meizoz, 2003). Quel vous semble être le rôle des critiques, des médias, des médiations paratextuelles diverses dans ce mouvement de réception et de réinterprétation ? 

-La pluralité des récits de la mobilité sociale. Quels autres genres permettent de penser la représentation des classes populaire et de la mobilité sociale ? (en littérature comme en sociologie). Quelle différence entre récits de transfuge et récits d’autodidacte, de refus de parvenir, récits d’établis, récits de la littérature prolétarienne, de l’autobiographie ouvrière, etc… En quoi ces récits se différencient-ils des récits de transfuge contemporains? Pourquoi ces autres genres n’existent-ils plus (ou moins ?) Le succès des récits de transfuge s’expliquent-ils, au moins en partie, parce qu’ils viennent remplir un vide ?

-Perspectives internationales : cette écriture de la mobilité sociale, associée au récit de soi, ou cette distribution générique entre divers types de récits de la mobilité sociale se pose-t-elle dans les mêmes termes à l'étranger en diachronie ?

11h-11H40: Katja Ploog (U. d'Orléans) Approche socio-linguistique du récit de soi.

Omniprésent dans les recherches en sociolinguistique, le récit de soi a été conçu tout d’abord dans la droite lignée des entretiens biographiques tels qu’ils sont pratiqués en sociologie (Bertaux, 2005 [1995]). Toutefois l’approche sociolinguistique appréhende le récit non pas comme représentation d’une réalité donnée, mais comme activité créatrice de sens, de « mise en intrigue » (Ricoeur, 1983), par laquelle le témoin construit une logique entre événements expérimentés. C’est cet événement communicationnel, en tant qu’élaboration formelle singulière, qui constitue l’objet d’analyse en sociolinguistique. Notre contribution proposera une cartographie succincte des enjeux liés à cet objet et aux différentes approches ayant fait tradition dans la discipline. Références: Bertaux, Daniel, 2005 [1997], Le récit de vie, Paris, Armand Colin ; Ricœur, Paul, 1983, Temps et Récit, t.1, L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil.

11h40-12h20  : Elisa Russian (U. de Zurich) : “Théoriser en transclasse. Le cas autobiographique chez Carolyn Steedman”

Cette communication examine la relation entre expérience, narration et théorie dans le domaine des études culturelles britanniques – caractérisé, selon Raymond Williams, par de nombreux « hybrid[s] of autobiography and argument ». L’analyse se focalisera en particulier sur l’autoreprésentation en tant que transclasse de l’historienne Carolyn Steedman (1947), élaborée dans son ouvrage Landscape for a Good Woman. A Story of Two Lives (1986). Pour raconter l’histoire de sa mère et la sienne, l’écrivaine mobilise le modèle théorique et littéraire de l’« étude de cas ». Dans la tradition herméneutique freudienne, à laquelle Steedman fait référence, le cas s’appuie sur le singulier parce qu’il « fait problème » par rapport aux cadres de pensée existants et permet ainsi de créer de nouvelles généralités. Le choix de cette forme par l’écrivaine renvoie à la fois à la perception d’une méconnaissance des classes populaires dans le discours sociologique et féministe britannique de l’époque et à son sentiment d’altérité vis-à-vis du contexte social dans lequel elle vit. La prise de parole autobiographique se justifie également par le désir de promouvoir de nouvelles formes de participation démocratique au débat public à travers l’exemple. Steedman espère que son histoire créera les conditions sociales pour que d’autres – « the people in exile, the inhabitants of the long streets » – puissent raconter à leur tour leurs propres parcours de vie. La dernière partie de la communication portera brièvement sur l’impact du projet critique de Steedman sur la littérature britannique, à une époque où l’écriture autosociobiographique est en plein essor.

13h45 : Elise Hugueny-Leger (U. de St Andrews) : "Annie Ernaux à l'international: résonances et réceptions d'une œuvre « universelle »"

L’œuvre d’Annie Ernaux est souvent qualifiée d’« universelle », bien qu’elle touche à des expériences personnelles et souvent ancrées dans un contexte historique et géographique précis – la France d’après-guerre. La diffusion de son œuvre à l’international, en français et en traduction, ainsi que la reconnaissance mondiale apportée par l’attribution du Prix Nobel, confirment la portée de son écriture et des questions qu’elle aborde, dont l'intersection entre la place des femmes dans la société et la mobilité sociale. Cette communication visera à évaluer l’évolution de la diffusion et de la réception de son œuvre à l’international, en apportant un éclairage particulier sur l’après-Nobel et sur le milieu anglophone. On se demandera aussi dans quelle mesure son œuvre peut être génératrice de prises de parole et de récits, au-dehors des frontières de la France.

14h25: Nicolas Balutet (U. Polytechnique Hauts-de-France) : "Souffrances, rejets et séparations dans Hunger of Memory (1982) de Richard Rodriguez"

Après un préambule sur la place des récits de transclasses dans le monde hispanique, cette contribution se concentrera sur l’autobiographie Hunger of Memory (1982) de Richard Rodriguez, écrivain et essayiste états-unien d’origine mexicaine. Bien que le parcours social de l’auteur puisse, à première vue, sembler une réussite personnelle éclatante, il est en réalité jalonné de souffrances, de rejets et de séparations (sentiment de différence par rapport à sa famille, acharnement presque sacrificiel dans le travail, rejet de ses origines ethniques et de la discrimination positive, tristesse, angoisse et multiples lamentations), autant de points que cette communication tentera de mettre en lumière. En outre, bien que Richard Rodriguez pense s’être totalement détaché de son milieu d’origine au prix de ces épreuves, cette intervention cherchera également à montrer qu’il demeure un être hybride, occupant, comme de nombreux transfuges de classe, une position singulière, celle de l’entre-deux.

15h15 Daniela Vitagliano (U. Nice Côte d'Azur), Récits italiens et « transfuges de classe » : une rencontre (im)possible ? Travail, révolte et victimisation dans la panorama littéraire et culturel italien contemporain

L’expression « transfuge de classe » a fait son entrée en Italie via les noms des écrivain×es qui sont au centre du débat à ce sujet en France. Et bien que l’on trouve des personnages littéraires que l’on pourrait qualifier ainsi, le concept n’est pas répandu au point qu’il y ait des écrivain×es qui revendiquent, ou auquel.les l’on a attribué, cette étiquette. Mais la diffusion médiatique et culturelle est-elle la seule raison de ce manque de « succès » ou y a-t-il d’autres raisons inhérentes aux contextes culturels, politiques et sociaux, qui différencient la France et l’Italie ? Une écriture du moi ancrée dans des réalités sociologiques précises est bien présente en Italie et se développe à partir des années 1950. Cependant elle est plutôt liée à l’émancipation/frustration/révolte/victimisation provoquées par le travail et par le lieu d’origine (le Sud ou la campagne) que par la classe sociale d’appartenance. Par ailleurs, l’intériorisation du discours victimisant (Critica della vittima, D. Giglioli 2024) qui vise, inconsciemment ou pas, à affecter la manière dont la société nous perçoit est commune aussi bien aux transfuges français – et à leurs récits – qu’aux récits italiens – et à leurs auteur×es. Nous voudrions nous interroger ici sur la manière dont le discours sur le travail et les revendications sociales ont caractérisé les récits – surtout les romans mais aussi les autofictions journalistiques – italiens et la surreprésentation de ce type de fictions dans la littérature italienne contemporaine.

16h15 Delphine Edy (CPGE/U. de Strasbourg) :  "Récits de transfuges de classe sur la scène internationale. Le défi de l'actualisation théâtrale" (avec diffusion d'extraits de films et captations vidéo de spectacles)

L'analyse de la programmation des théâtres de ces dernières années montre un réel engouement pour le récit de soi mis en scène, et notamment pour les récits de transfuges de classe, en particulier ceux d'Edouard Louis, Didier Eribon et Annie Ernaux qui, l'an passé, a même fait son entrée au répertoire de la Comédie-Française. Cette réalité a largement débordé des scènes françaises avec les performances particulièrement remarquées de Thomas Ostermeier, Ivo van Hove ou Sarah Kohm, pour ne citer que quelques exemples. Ces spectacles, le plus souvent hybrides, entre film documentaire et performance théâtrale et musicale, prennent appui sur ces récits mais les actualisent, au cours d’un processus transmédial et transculturel. Les mises en scène ouvrent alors un entre-deux dialogique avec les spectateurs, interrogeant les mécanismes de domination et d’oppression à plusieurs niveaux, et permettent ainsi de réinterroger nos rapports aux mots, aux images et à notre histoire. Dans cette communication, il s'agira de montrer comment les dispositifs scéniques prolongent ou mettent à distance les récits initiaux, afin de les faire déborder dans notre présent et de tisser de nouvelles relations. L’objet théâtral autobiographique et autoréflexif apparaît alors, plus que jamais, comme un paradigme cognitif pour se (re)connaître soi-même. 

Discussion

Fin de la journée : 17H30

Jeudi 13 juin. Université d'Orléans, UFR LLSH (salle 272), 9h30-12h30. Approches éditoriales, médiatiques et stylistique. 

Discutant.es :  Annabelle Allouch (UPJV (CURAPP-ESS), Frédéric Martin-Achard (U. Jean Monnet, Saint-Etienne), Isabelle Charpentier (U. de Picardie Jules Verne), David Vrydhags (U. de Namur), Paola Boué (CUNY, New York), Clara Cini (Sorbonne Université)


9h30:  Bérengère Moricheau Airaud (U. de Pau et des pays de l'Adour) : "D’un discours à l’autre : de l’hétérogénéité des représentations de discours à celle des récits de transfuge"

L’appréhension des discours par un transfuge et, de là, la représentation de ces derniers dans un récit de transfuge sont si spécifiques que cette propriété formelle est souvent retenue comme un stylème de ces textes. Il en est pourtant de la variété de cette représentation comme de celle de la mise en récit des trajectoires de transfuge, ainsi que le font entendre déjà les modulations de la représentation de discours au sein des textes successifs d’Annie Ernaux. Le récit des Pays, de Marie-Hélène Lafon, et celui de Miette, de Pierre Bergougnioux, montrent eux aussi comment la manière dont sont donnés les discours autres distingue les différentes mises en récit d’une vie de transfuge, et c’est ce que s’offre d’observer cette communication. Il s’agira de proposer une caractérisation de l’écriture de ces deux récits depuis celle de leurs représentations respectives de discours – qui ne manquent pas de points communs –, ainsi de relier l’identité de leur discours littéraire à celle de leur gestion de l’hétérogénéité énonciative, afin de faire entendre comment ils s’inscrivent dans la circulation des récits de transfuge. Les personnages de ces deux romans se distinguent de fait par leur manière de partir et aussi bien de rester, leurs discours par leur façon de dire et aussi bien de les dire, et ces récits par leur manière de raconter une vie de personnage aussi bien que de cristalliser une transmission.

10h10: Hervé Serry (CNRS) : "Récits de transfuge et espace éditorial français. Réflexions sur les logiques de sélection des livres et des auteur.e.s."

La diversité des parcours d’auteur.e.s, des instances de diffusion ou encore des réceptions des récits de transfuge de classe est souvent notée. L’hétérogénéité de cette actualité éditoriale serait-elle révélatrice d’éléments significatifs de l’espace médiatique, littéraire et éditoriale français de ces dernières décennies ? En s’appuyant sur diverses analyses et études, en tentant des parallèles avec d’autres actualités éditoriales, cette communication entend proposer des éléments de discussions sur les logiques de sélections éditoriales contemporaines que les parcours à succès des auteur.e.s phares de cette catégorie d’ouvrages semblent condenser. Par ailleurs, qu’est-ce que cette dynamique des discours sur les transfuges pourrait dire des sciences humaines et sociales actuelles, à commencer par la discipline sociologique, qui est l’un de ses supports ?

10h50: Marion Dalibert (U. de Lille) : "Le «  transfuge » et les « Autres ». La production de la classe sociale dans les médias d’information"

Cette communication interroge la manière dont la classe sociale a été produite dans les médias d’information grand public à l’occasion de la médiatisation de la sortie de l’ouvrage d’Edouard Louis En finir avec Eddy Bellegueule (2014-2016). Elle s’intéresse notamment aux processus médiatiques de catégorisation et d’altérisation des « classes populaires » en montrant que ces dernières sont rendues intelligibles dans les médias par la mise en scène de féminités et de masculinités repoussoirs caractérisant l’ensemble d’un groupe marqué par la classe. Celles et ceux qui ne sont pas affiliés à cette catégorisation apparaissent en tant qu’exceptions, à l’instar de la figure du « transfuge de classe ». 

11H20-12h : discussion finale

12h : Conclusion 

 Crédit illustration pour l'affiche : Yohann Propin

Ce colloque s’inscrit dans la continuité du Séminaire d’approches critiques des récits de transfuge de classe, et dans le cadre du projet TRANSILANGUE (Université d’Orléans)