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Les écrits d’autrices sur les arts plastiques aux XXe et XXIe siècles. Critique d’art, fiction, essai (Rennes)

Les écrits d’autrices sur les arts plastiques aux XXe et XXIe siècles. Critique d’art, fiction, essai (Rennes)

Appel à contributions

Les écrits d’autrices sur les arts plastiques aux XXe et XXIe siècles (critique d’art, fiction, essai)

Université Rennes 2, CELLAM, 

Vendredi 8 novembre 2024

Considérer les écrits sur l’art, catégorie éditoriale et protéiforme, comme un genre littéraire à part entière ne va pas de soi. Pourtant, au-delà de leur objet, qui les identifient, plusieurs facteurs les réunissent. Les écrits sur l’art « interrogent la relation de l’écriture et de l’œuvre d’art » et « inscri[vent] dans l’écriture […] une réaction au problème de l’art et du discours que l’on tient sur lui ». Ils élaborent également « en relation avec l’évolution d’une certaine pensée de l’art et de l’écriture indissociables de conduites socio-culturelles[1]. » C’est d’autant plus vrai pour les écrivains qui se livrent à l’exercice et, suivant la leçon de Baudelaire, le font de façon « partiale, passionnée, politique[2] ». L’écrit sur l’art, qu’il relève de la littérature d’art (poème dit « pictural », roman de l’artiste) ou du commentaire d’art (salon, préface de catalogue d’exposition, essai), « engage alors l’auteur […] en tant que créateur mais dans un domaine qui n’est pas le sien ». Il « expose […] au jugement, et donc à un certain risque[3] » et favorise la constitution d’un ethos particulier.

Or, l’historicisation de l’hypergenre des écrits sur l’art conduit à mettre au jour en France la persistance littéraire d’une domination masculine : Balzac, Gautier, Baudelaire, Huysmans pour n’en citer que quelques éminents représentants au XIXe siècle ; Apollinaire, Aragon, Leiris, Malraux ou encore Ponge, modeste échantillon de l’importante production du XXe siècle. Si elles y demeurent minoritaires, les femmes ne sont néanmoins pas absentes du domaine : Heather Belnap Jensen identifie la critique d’art du début du XIXe siècle en France comme « l’un des espaces de production culturelle les plus accueillants pour elles[4] », bien que cette tendance s’estompe dans la seconde moitié du siècle[5]. De la même façon, le roman de l’artiste naît en Allemagne avec les œuvres de Heinse, Tieck et Novalis, là où le canon français se constitue avec celles de Balzac, des Goncourt et de Zola. Pourtant, c’est Corinne ou l’Italie de Germaine de Staël (1808) qui en fournit le premier avatar français, et des autrices comme Marceline Desbordes-Valmore (avec L’Atelier d’un peintre, 1833) et George Sand (notamment avec Consuelo, 1842-1844) se sont elles aussi emparées du genre. 

Si, dans les années 1980, la critique anglophone a fait émerger tout un corpus de textes représentant des femmes artistes, qu’ils soient ou non l’œuvre d’une écrivaine, au point de recourir à la notion de « female Künstlerroman[6] » et si « la production critique des femmes sur l’art au XIXe siècle est devenue depuis plus de trente ans un véritable objet d’étude[7] », les études sont moins développées pour les siècles ultérieurs. Elles portent davantage sur la place des plasticiennes dans le monde de l’art que sur les écrits (tels le catalogue Women Artists. Femmes artistes du XXe et du XXIe siècle[8], ou encore l’ouvrage Créatrices en 1900 de Charlotte Foucher Zarmanian [9]). Et lorsqu’ils envisagent la critique d’art pratiquée par les femmes, les travaux, majoritairement conduits par des historiennes ou des sociologues, ne font pas un sort particulier à celle des femmes de lettres[10]. Dans une période où la littérature multiplie les formes d’intervention et les discours sur les arts plastiques, le rôle joué par les écrivaines semble pouvoir encore offrir matière à investigation. Cette journée d’étude sera donc l’occasion d’examiner la littérature sur l’art faite par les femmes aux XXe et XXIe siècles, en français d’abord, mais sans exclure d’autres aires linguistiques ; de réfléchir peut-être aussi à sa présence presque invisible dans ce qui, en France, au XXe siècle, a été, en ce qui concerne les arts plastiques, un domaine critique et essayistique de premier plan pour les écrivains. Toutes les propositions qui contribueront par la mise en avant d’autrices à réévaluer le corpus de leurs écrits factuels ou fictionnels en ce domaine sont donc bienvenues.

Mais s’intéresser à la question du genre (gender) au sein des écrits sur l’art va au-delà d’une simple évaluation statistique du nombre de textes composés par des femmes. Dans une perspective qui exclut l’essentialisation du point de vue féminin, mais prend en compte les contraintes socio-culturelles qui déterminent les possibles énonciatifs et informent leur regard critique (ainsi que le suggère la Standpoint Theory développée aux États-Unis par Sandra Harding ou encore Donna Haraway), il s’agira d’interroger les positionnements énonciatifs qui font état au-delà du genre littéraire du genre social[11]. Heather Belnap Jensen adopte déjà une telle démarche lorsqu’elle étudie le cas de six femmes critiques d’art qui, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, « ont considéré, non comme un handicap mais comme une force, leur position à la périphérie de l’institution de la critique d’art[12] ». Les écrivaines contemporaines semblent à leur tour prêter attention au caractère traditionnellement androcentré du genre littéraire : Marie-Hélène Lafon énumère ses prédécesseurs illustres, tous masculins, lorsqu’elle entreprend son Cézanne (Flammarion, 2023[13]) ; tandis que l’ouvrage que Nathalie Piégay consacre à Niki de Saint Phalle, Louise Bourgeois et Annette Messager porte dans son titre, Trois nanas (Seuil, 2023), une forme de défi qui appelle commentaire. Avant elles, Maryline Desbiolles inscrit son statut de « femme qui dit non[14] » dès les premières pages des Draps du peintre (2008), situant d’emblée son point de vue dans un espace à la fois genré et sexualisé. Ces quelques pistes demeurent ouvertes, et une étude des postures spécifiquement élaborées par les écrivaines reste à mener, que ces dernières choisissent, par exemple, de revendiquer les stéréotypes associés à leur genre, d’emprunter les codes dominants développés par leurs homologues masculins, ou encore d’élire des femmes artistes avec lesquelles tisser un lien sororal.

Les propositions de communication (entre 2000 et 3000 signes), accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 24 mai 2024 aux deux adresses suivantes : dominique.vaugeois@univ-rennes2.fr et nicolas.thierry@univ-rennes2.fr

Les contribut.eur.ice.s seront informé.e.s de la décision dans le courant du mois de juin 2024.

— 
[1] Dominique Vaugeois, « Noms de genre : le nom. De l’usage des "écrits sur l’art" », L’Écrit sur l’art : un genre littéraire ?, Figures de l’art. Revue d’esthétique, n° 9, dir. D. Vaugeois, 2005, p. 13-32.
[2] Charles Baudelaire, Écrits sur l’art, éd. Francis Moulinat, Le Livre de Poche, coll. « Classiques », 1992, p. 141.
[3] Dominique Vaugeois, art. cit.
[4] Heather Belnap Jensen, « Le privilège des femmes dans la critique d’art en France, 1785-1815 », Sociétés & Représentations, vol. 40, n° 2, 2015, p 145.
[5] Claire Dupin de Beyssat ne relève que 2% de femmes critiques d’art sous le Second Empire, tandis que Charlotte Foucher signale les attaques misogynes dont elles font l’objet. Voir Claire Dupin de Beyssat, « Être critique d’art sous le Second Empire. Parcours et carrières de quelques salonniers entre 1852 et 1870 », in Marie Gispert et Catherine Méneux (dir.), Critique(s) d’art : nouveaux corpus, nouvelles méthodes, 2019 et Charlotte Foucher Zarmanian, « Le bas-bleu artistique. Portrait au vitriol de la femme critique d’art », in Melissa Hyde, Mechthild Fend et Anne Lafont (dir.), Plumes et Pinceaux. Les discours des femmes sur l’art en Europe (1750-1850), vol. 1, Études : théories, discours, esthétiques, Dijon, Les Presses du réel, 2012.
[6] Véronique Gély en établit une brève bibliographie (« Un autre roman de l’artiste : L’Atelier d’un peintre de Marceline Desbordes-Valmore », Revue de littérature comparée, vol. 358, n° 2, 2016, p. 174).
[7] Charlotte Foucher Zarmanian, « Les femmes artistes sous presse. Les créatrices vues par les femmes critiques d’art dans la presse féminine et féministe en France autour de 1900 », Sociétés & Représentations, 2015/2, n° 40, pages 111 à 127.
[8] Uta Grosenick (dir.), Women Artists. Femmes artistes du XXe et du XXIe siècle, trad. de l’allemand par Wolf Fruthrunk, Paris, Taschen, 2001.
[9] Charlotte Foucher Zarmanian, Créatrices en 1900. Femmes artistes en France dans les milieux symbolistes, Paris, Mare & Martin, 2015.
[10] L’article de Brigitte Malinas-Vaugien, « A. S. Byatt critique d’art : un regard féminin sur des œuvres picturales au masculin » fait exception dans un numéro de la revue Texte et image qui propose surtout des études sur la critique d’art pratiquée par les artistes elles-mêmes : Valérie Dupont (dir.), Les Femmes parlent d’art, Texte et image, vol. 1, 2011, URL : http://revuesshs.u-bourgogne.fr/texte&image/sommaire.php?id=27
[11] Phénomène que l’analyse du discours est à même de mesurer convergence que Marlène Coulomb-Gully et Juliette Rennes, par exemple, appellent de leurs vœux (« Genre, politique et analyse du discours. Une tradition épistémologique française gender blind », Mots. Les langages du politique, n° 94, 2010, p. 175-182.)
[12] Heather Belnap Jensen, « Le privilège des femmes dans la critique d’art en France, 1785-1815 », art. cit., p. 146.
[13] « Rilke, Ramuz, Juliet, Sollers, Handke et d’autres, assurément, dont j’oublie ou ignore le nom, ont écrit sur Cézanne. C’est écrasant et j’ai une longue expérience de cette sensation d’écrasement culturel, qui ne m’empêche toutefois pas de faire ce que je crois avoir à faire, à l’établi, à ma façon, toujours à tâtons » (Marie-Hélène Lafon, Cézanne. Des toits rouges sur la mer bleue, Paris, Flammarion, « D’/après », 2023, p. 17.)
[14] Maryline Desbiolles, Les Draps du peintre, Paris, Seuil, « Fiction & cie », 2008, p. 11. Voir D. Vaugeois, « Entretien avec Maryline Desbiolles », Revue critique de Fixxion française contemporaine, juin 2014, p. 119-125 ; « Se situer pour s’instituer : le sujet et son territoire dans les écrits sur l’art de Maryline Desbiolles », dans P. Daros, A. Gefen et A. Prstojevic (dir.), Territoires de la non-fiction, Amsterdam, Brill/Rodopi, « Chiasma », 2020, p. 343-358.