Littérature politique contemporaine et responsabilité de l’auteur
Projet d’ouvrage collectif
Depuis les années trente, on remarque une intensification progressive de l'engagement politique et social dans la littérature de langue allemande: depuis l'intégration documentée de la réalité dans la fiction diégétique de la "Neue Sachlichkeit" jusqu'au réalisme de plus en plus engagé politiquement en passant par le néoréalisme, jusqu'à l'actuel ‘sténographiage’ du présent – pour citer les mots de Juli Zeh – la participation de l'écrivain à la vie publique devient de plus en plus visible et présente. Irene Husser attribue cette conjoncture politique au climat social du XXIe siècle, marqué par des conflits de plus en plus guerriers (pensons au conflit Russie/Ukraine, ou encore au cas du Moyen-Orient), par des mouvements d'extrême droite en réponse à des solutions politiques insuffisantes, par des crises environnementales et sanitaires, etc. Étant donné que, selon Husser, la politique reste souvent sans réponse aux défis du siècle en cours et ne fournit pas de réponses satisfaisantes à la société, "la littérature en tant que moyen d'orientation et de transmission des valeurs et des idées directrices du vivre ensemble démocratique à l'ère de la mondialisation, de la numérisation, de l'aggravation des inégalités sociales et des crises écologiques est plus que jamais requise".[1]
La présence d'auteurs engagés, qui n'hésitent pas à exprimer publiquement leur opinion, est encore renforcée par la diversité et la portée des médias, ce qui actualise encore la question de la responsabilité de l'écrivain quant à ses écrits ainsi qu’à ses déclarations et commentaires faits dans l'espace public. En effet, la proximité croissante entre écriture politique et réalité dilue davantage la frontière entre fiction et réalité et invalide le postulat de l’invisibilité de l’auteur derrière son texte. En particulier pour ce qui concerne les écrits d'écrivains contemporains ‘engagés’, tels que Juli Zeh, Uwe Timm, Ulrich Peitzer, Robert Menasse, Maxime Biller, Bernhard Schlink, Daniel Kehlmann, Josej Winkler, Benjamin Stuckrad-Barre, Peter Handke, Dinçer Güçyeter, Nora Bossong, Navid Kermani, Karen Duve, Karine Tuil entre autres, se pose la question de savoir s'il ne faut pas revendiquer une responsabilité spécifique dans l’intérêt du principe de la paix sociale, du ‘bien vivre’ en société. Selon Gisèle Sapiro, la liberté de l'auteur ne saurait être totale, dès lors que la littérature rompt avec les conventions de lecture selon le mécanisme de « dé-automatisation » et de « défamiliarisation », en modifiant le regard sur la société, ses valeurs, et ses institutions dans un contexte socio-historique déterminé. [2]
Je serais ravie de recevoir des suggestions de contributions qui s'inscrivent dans les champs thématiques suivants (je reste bien sûr également ouverte à d'autres suggestions) :
Explorations de la définition du terme ‘littérature politique’ et sur la responsabilité : Selon Michael Navratil, il ne saurait y avoir une définition exhaustive de la ‘littérature politique’. [3] Claas Morgenroth recommande à cet égard de « mener la discussion sur la littérature politique avec autant de prudence que d'ouverture d'esprit ». [4] Selon Peter Handke, il s'agit de nommer les choses clairement afin de produire une « réalité très simple, énumérable, datable et forfaitaire ». [5] D'autres tentatives pour maîtriser le concept d'écriture politique se réfèrent à l'idée de l'engagement de l'auteur, qui partage ses perspectives critiques et prises de position volontaires sur les événements socio-politiques afin de mettre en évidence les ambiguïtés, les injustices ou les contradictions. [6]
Exploration de l'auteur : Selon Willi Huntemann et Kai Hendrik Patri, la littérature politique ne saurait être « suffisamment appréhendée que dans le carré formé par l'auteur, le texte, le public (littéraire) et le statu quo politique ». [7] Comme le souligne Christian Sieg, la littérature politique ne saurait être dissociée de l'auteur, car c'est finalement lui qui prend position dans les débats sociaux à travers la fiction littéraire. Ainsi, la question de la ‘transparence’ de l'auteur à travers le texte fictionnel doit être soulevée : Dans quelle mesure un texte peut-il, doit-il, être attribué à la responsabilité de l'auteur ? Texte et auteur forment-ils un duo responsable ?
Exploration de la relation entre la liberté artistique et la responsabilité de l'auteur politique : La liberté artistique n'admet que des restrictions dont la justification doit être réévaluée au cas par cas, par d'autres droits fondamentaux, par les lois non spécifiques à l'art ou par les principes du ‘bien vivre ensemble’, de la moralité ou des considérations éthiques. Comment peut-on donc définir le principe de ‘liberté artistique’ pour la littérature ? Exemples, suggestions, commentaires sur cette question complexe.
Explorations thématiques de la littérature politique contemporaine à la lumière de la responsabilité de l'écrivain : Juli Zeh traite des thèmes du radicalisme de l’extrême-droite, de la crise du Covid et de la crise climatique dans Über Menschen (2021), Daniel Kehlmann met en lumière l’opportunisme politique de l'artiste et de son art dans Lichtspiel (2023), Robert Menasse explore les contextes politiques de l'élargissement de l'UE dans Die Erweiterung (2022), Anne Rabe dénonce dans Die Möglichkeit von Glück (2023) l'omerta de la dernière génération de la RDA, Karine Tuil dénonce le système judiciaire français dans La décision (2022).
La liste n'est pas exhaustive, d'autres suggestions, thèmes et idées seront également étudiés et bienvenus.
Je vous remercie de bien vouloir envoyer vos suggestions de contribution d'ici le 30 avril 2024 à l'adresse e-mail suivante : Alexandra.juster@uibk.ac.at.
N'hésitez pas à me contacter par e-mail si vous avez des questions.
Dr. Mag. jur. Alexandra Juster
Universität innsbruck – Institut für Vergleichende Literaturwissenschaft
Innrain 52 – 6020 Innsbruck
https://www.uibk.ac.at/vergl-litwiss/personen/juster/
[1] Husser, Irene. Elfriede Jelineks Theater des (Post-) Politischen. Agonistik der Gegenwartsliteratur. Berlin/Boston. De Gruyter, 2023, p. 2.
[2] Vgl. Sapiro, Gisèle. La responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (XIXe – XXIe siècle). Paris. Seuil, 2011, pp. 715-720.
[3] Navratil, Michael. Kontrafaktik der Gegenwart. Berlin/Boston. De Gruyter, 2021, p. 195.
[4] Morgenroth, Claas. Erinnerungspolitik und Gegenwartsliteratur: Das unbesetzte Gebiet-The Church of John F. Kennedy-Really ground zero-Der Vorleser. Erich Schmidt Verlag. Berlin, 2014, p. 278.
[5] Handke, Peter. Ich bin ein Bewohner des Elfenbeinturms. Suhrkamp Verlag. Frankfurt am Main, 1972, p. 24.
[6] Krstanovič, Andelka & Luka, Banja. „Literatur vs. Engagement. Einige Anmerkungen zu Peter Handkes Elfenbeinturm“. Jelena Knežević & al (Hg.). „Macht und Politik in der deutschen Sprache, Literatur und Kultur". Folia linguistica et litteraria: Zeitschrift für Sprach-und Literaturwissenschaft (18/1), 2017, pp. 83-98, ici: p. 90.
[7] Willi Huntemann und Kai Hendrik Patri. „Einleitung: Engagierte Literatur in Wendezeiten“. Willi Huntemann/ Malgorzata Klentak-Zablocka/ Fabian Lampart/Thomas Schmidt (Hg.). Engagierte Literatur in Wendezeiten. Würzburg. Königshausen & Neumann, 2003, pp. 9–31, ici p. 12.