Qui est dandy ? La réponse n’est pas simple. Est dandy celui qui se pare de discrétion comme celui qui affiche ses couleurs ; celui qui aime le luxe comme celui qui le dédaigne ; celui qui agit comme celui qui paresse. Le dandy est l’homme aux mille visages qui n’est jamais là où on l’attend. En dépit de leur infinie diversité, les dandys appartiennent tous une même famille, froide et exclusive, dont chaque membre est animé de la volonté de s’opposer, de se distinguer et de s’élever en faisant, à tout instant, œuvre de beauté.
Né au XIXe siècle, le dandy est de tous les temps. Au plus lointain de ses origines, Alcibiade, le disciple de Socrate, pratiquait déjà le plaisir aristocratique de déplaire : il étalait ses fastueuses robes de pourpre, et coupait la queue de ses plus beaux chiens. Ces scandaleuses fantaisies trouvent leur écho chez Brummell, Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Oscar Wilde, et, plus près de nous, chez Karl Lagerfeld, Serge Gainsbourg, David Bowie et bien d’autres dandys célèbres ou anonymes.
En ce siècle d’uniformisation massive, il est réjouissant de voir se prolonger la lignée de ces singuliers rebelles, de ces hommes qui, dit Baudelaire, représentent « ce qu’il y a de meilleur dans l’orgueil humain ».
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Agrégée de lettres, spécialiste du dandysme, Marie-Christine Natta est l’auteur de plusieurs biographies : Eugène Delacroix (2010), Baudelaire (2017, Prix de la Biographie du Point) et Serge Gainsbourg making of d’un dandy (2022).
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Table des matières
Avant-Propos
Chapitre I – L’impossible définition
Chapitre II – Un rebelle singulier
Chapitre III – Le dandy en politique
Chapitre IV – Le dandy à la guerre
Chapitre V – Barbey d’Aurevilly et Baudelaire : le rouge et le noir
Chapitre VI – Noli me tangere
Chapitre VII – Sourire sous la morsure du renard
Chapitre VIII – La chair et la très-chère
Chapitre IX – La souveraineté de l’artifice
Chapitre X – Le dandy et ses œuvres
Conclusion
Bibliographie
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Extrait :
Qui est dandy ?
George Bryan Brummell, un chef-d'œuvre de sobriété britannique ? Jules Barbey d’Aurevilly, le flamboyant aux gilets jonquille ? Charles Baudelaire, l’ascétique vêtu de noir portant le deuil de son époque souffrante ? Boni de Castellane, l’hôte fastueux du Palais Rose ? Jean Floressas des Esseintes, le solitaire cloîtré dans sa thébaïde ? Serge Gainsbourg, le provocateur dadaïste ? David Bowie, le rocker à la lippe dédaigneuse ?
Impossibles réponses. Les dandys narguent les académies et se dérobent aux curiosités. Leurs individualités les rendent inclassables, et leur mystère masque le secret de leur nature. Le mot dandy suppose donc un infini pluriel et une singularité indéfinie. Le mot dandysme, lui, suggère une généralité illusoire. Lorsqu’on tente de le circonscrire, on oscille entre deux attitudes opposées : ou bien on exclut, comme Barbey d’Aurevilly pour qui Brummell est un modèle inégalé ; ou bien on accueille à bras ouverts tous les candidats au dandysme : les sobres et les excentriques, les mondains et les misanthropes, les affables et les ombrageux.
Avant même de s’incarner dans les célèbres figures de Byron, de Brummell et du comte d’Orsay, le mot se joue des étymologies. Pourquoi le dandy s’appelle-t-il ainsi ? Parce qu’il se dandine ? Parce qu’il ne vaut pas grand’chose ? Pas plus que le dandi-pratt, une pièce de menue monnaie, pas plus que le dandelion ou dent-delion, le pissenlit, pas plus que Jack a Dandy, le jeune fat excentrique écossais ? Nul ne sait.
En revanche, ce dont on est sûr, c’est que les premiers dandys sont apparus en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle dans une société étouffée par le cant. Ce formalisme excessif, cette hypocrisie de manières et de langage typiquement anglaise donnent des envies de rébellion. Il ne s’agit pas de renverser des trônes et de brûler des châteaux, mais tout simplement de rompre avec le conformisme ambiant en affirmant son originalité. Sur ce chemin de traverse, les dandys ont été précédés par les macaronis. Vers 1770, de retour d’Italie, des jeunes gens fortunés avaient fondé à Londres le Macaroni Club où l’on dégustait le fameux plat napolitain. Plus excentriques qu’élégants, ils déambulaient dans Hyde Park, le visage fardé, la tête coiffée d’une perruque démesurée, le corps serré dans un habit de soie blanche, les pieds chaussés d’escarpins à boucles de diamant. Pour donner un peu plus de hauteur à leur invraisemblable toilette, ils affichaient ostensiblement leur dédain en toisant les promeneurs avec des « lunettes d’espion ».