Cette journée d’étude, associée à un atelier de réflexion et de mise en pratique, part d’un constat lié à la création contemporaine, et plus spécifiquement à un point de rencontre entre arts plastiques et poésie : actuellement, de nouvelles pratiques de collectage nourrissent la création, et conduisent à mettre en place des formes de restitution inédites. L’objectif de cette manifestation sera alors d’interroger les pratiques contemporaines du collectage en poésie (ce mot étant ici entendu dans un sens le plus large possible), et d’observer en quoi elles ont évolué quant à ce qui les a précédées.
Le « collectage », notion au cœur des sciences sociales comme l’ethnologie et la sociologie, recouvre des pratiques et des méthodes très différentes. Au tournant du XIXe au XXe siècle, le collectage change de forme, de contenu, de méthode : il était une pratique expérimentale, possédant une dimension personnelle et affective ; il devient application d’une méthode. Les pratiques de collectage menées par certains auteurs (en premier lieu Gérard de Nerval[1], George Sand, Thomas Hardy) ont déjà été étudiées, et différents travaux retracent l’évolution des pratiques de folkloristes[2]. Il semble pourtant que l’histoire des pratiques de collectage elles-mêmes demeure encore à constituer.
Des travaux récents, élaborant une anthropologie littéraire du terrain (Mathilde Roussigné), s’intéressant aux dispositifs de collecte de voix (Maud Lecacheur), et envisageant les états de la littérature hors du livre (Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel), se penchent en premier lieu sur les genres du témoignage, de l’enquête, de la narration documentaire, du récit, à la charnière entre fiction et non fiction. En dépit de l’existence quelques études, il semble que la poésie ait moins suscité l’attention[3]. Pourtant, à l’ère contemporaine, la poésie aussi se constitue en « littérature de terrain », selon la riche notion forgée par Dominique Viart[4]. Ce renouveau actuel des études littéraires a permis de faire émerger de nouveau outils d’analyse, dont nous espérons qu’ils puissent permettre l’examen des pratiques de collectage à l’œuvre dans la poésie et les arts plastiques contemporains.
Nous voudrions proposer les questions suivantes à la réflexion collective, qui concernent l’évolution des pratiques de « collectage », et leurs rapports avec la création contemporaine.
1. Évolution des pratiques de collecte
- quels sont les objets de la collecte ? Le matériau collecté naguère (contes, superstitions, musiques, chants, éléments de culture populaire, etc.) a-t-il cédé la place à des témoignages, des récits de vie, des bribes mémorielles, matière qu’a largement investie la littérature contemporaine ?
- qui sont les populations auprès desquelles sont menées des collectes ? Les populations déplacées, les migrants peuvent notamment se trouver au centre des préoccupations contemporaines.
- quelle est la place des langues minoritaires dans les collectages (langues dialectales et régionales, langues autochtones, langues migratoires) ?
- quelles méthodes et quels protocoles de la collecte ? Quels outils ? Les progrès technologiques ont-ils une incidence sur le collectage ? Les artistes et poètes contemporains procèdent-ils de manière spontanée (mettant en place ce que l’on pourrait nommer des pratiques amateures) ou bien se nourrissent-ils, en toute connaissance de cause, des méthodes et des théories des sciences sociales ?
- quelles sont les formes actuelles de conservation pour les matériaux collectés ? Comment constituer des archives sonores ? Quel rôle ces archives peuvent-elles jouer dans la création ultérieure ?
2. Investissement de la collecte dans les pratiques littéraires contemporaines
- quelles sont les dynamiques et les relations mises en œuvre entre l’oral et l’écrit ? Comment oraliser l’écrit, comment rematérialiser la poésie ? Certaines collectes, passant directement par l’écrit, mettent-elles néanmoins en place des procédés pour donner une place à l’oralité ?
- quelles sont les formes et les dispositifs contemporains de restitution ? Quels croisements entre poésie et arts plastiques? Comment le recueil de poésie, l’anthologie sont-ils réimaginés comme des objets propices à restituer la collecte ? Le matériau collecté est parfois restitué en subissant le moins de transformation possible, mais il peut aussi, dans certains cas, apparaître comme une matière première par la suite librement mise en forme par les artistes, les poètes. Ces derniers, animés par un imaginaire du collectage peuvent aussi agir sur des matériaux découverts de seconde main
- comment des imaginaires du collectage se développent-il alors ? On observe que cet imaginaire croise fréquemment ceux de la cueillette, de la récolte, et donc du monde végétal. Le roman contemporain (de Gao Xingjian à Gouzel Iakhina) contribue-t-il à irriguer cet imaginaire en présentant des figures de collecteuses ou de collecteurs ?.
- Enfin, n’y a-t-il pas dans la création contemporaine une forme de disjonction entre pratique d’une part, et théorie et méthode d’autre part ? Le matériau collecté devient un objet artistique en soi, parce qu’il a été collecté. Dans les formes contemporaines, l’idée de collectage est valorisée en tant que telle pour diverses raisons : elle permet de donner la parole à ceux que d’ordinaire on n’entend pas, elle tente de sauver de l’oubli ce qui pourrait disparaître. De même, l’idée de restitution, permettant de rediffuser les « voix » sous de nouvelles formes, est valorisée pour elle-même. Collectage et restitution ne sont plus des méthodes mises au service de la sauvegarde d’un matériau fragile à préserver, mais des gestes de création (prenant aussi une valeur symbolique). C’est notamment cette disjonction entre la pratique, la méthode, la théorie, les outils que nous voudrions interroger.
Détails pratiques
Nous souhaitons que la manifestation soit transdisciplinaire et qu’elle contribue à déplacer les lignes habituellement tracées entre les champs et les disciplines (ainsi, il est rare que les spécialistes des langues régionales, des langues autochtones et que les comparatistes puissent se rencontrer alors qu’ils ont pourtant des objets en commun). Elle en effet des chercheuses et chercheurs en littérature (littératures en langues régionales, littérature comparée, littératures anglophones, littératures autochtones, etc.), mais elle peut intéresser musiciens et musicologues, elle croise littérature et sciences sociales et même, dans la mesure où seront abordées des langues fragiles et souvent minorées, des questions de socio-linguistique. Enfin, la manifestation entend faire dialoguer chercheurs, chercheuses, et des acteurs et actrices de terrain, et accueillera ainsi des collecteuses et des artistes afin qu’ils et elles présentent leurs travaux respectifs et nourrissent la réflexion collective.
La manifestation se déroulera durant deux jours. Une première journée, le jeudi 13 juin, sera consacrée au lancement la réflexion, ainsi qu’à des activités pratiques et à des entretiens avec des collecteuses et collecteurs toulousains. Le vendredi 14 juin se déroulera à Martres-Tolosane, à l’Épicentre, lieu consacré à la culture de l’oralité et accueillant les activités de l’association des « Amis du verbe » (fondée par Dick Annegarn).
Le logement et le transport en train des participantes ou participants sera pris en charge. Dans l’espoir d’encourager à la sobriété dans les déplacements, nous ne prendrons pas en charge les billets d’avion.
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Organisation (Laboratoire LLA de l’UT2J)
Claire Gheerardyn, MCF en Littérature comparée à l’Université de Toulouse Jean Jaurès, membre junior de l’IUF
Raphaël Rabu, doctorant en Littérature comparée à l’Université de Toulouse Jean Jaurès
Magali Tritto Moris, doctorante en Littérature comparée à l’Université de Bourgogne et à l’Université de Toulouse Jean Jaurès.
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Merci d’adresser vos propositions (d’environ 500 mots), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, avant le 8 avril 2024, aux trois adresses suivantes simultanément :
claire.gheerardyn@uni-tlse2.fr,
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Pistes bibliographiques
Alban Bensa et de François Pouillon (dir.), Terrains d'écrivains : littérature et ethnographie, Toulouse, Anacharsis, 2012.
Denis-Michel Boëll, Jacqueline Christophe et Régis Meyran (dir.), Du folklore à l’ethnologie, Paris, Éditions des sciences de l’homme, 2018.
Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête : portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, José Corti, coll. « Les Essais », 2018 (voir notamment le chapitre III « Collecter » et le chapitre IV « Restituer »)
Éléonore Devevey, Terrains d’entente : anthropologues et écrivains dans la seconde moitié du XXe siècle, Nantes, Les Presses du réel, 2021.
Abigail Lang, Michel Murat et Céline Pardo (dir.), Les Archives sonores de la poésie, Les Presses du réel, 2020.
Maud Lecacheur, « La littérature sur écoute : recueillir la parole d'autrui de Georges Perec à Olivia Rosenthal », thèse de doctorat, sous la direction de Laurent Demanze, soutenue le 1er avril 2022.
Jean-François Puff (éd.), Dire la poésie ? Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2015.
Mathilde Roussigné, Terrain et littérature, nouvelles approches, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « L’Imaginaire du texte », 2023
Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel (dir.), dossier « La littérature exposée. Les écritures contemporaines hors du livre », Littérature, vol. 160, no 4, 2010.
Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel (dir.), dossier « La littérature exposée (2) », Littérature, vol. 192, n° 4, 2018.
[1] Voir par exemple Paul Bénichou, Nerval et la chanson folklorique, Paris, Corti, 1970.
[2] Voir par exemple Denis-Michel Boëll, Jacqueline Christophe et Régis Meyran (dir.), Du folklore à l’ethnologie, Paris, Éditions des sciences de l’homme, 2018.
[3] Le livre dirigé par Abigail Lang, Michel Murat et Céline Pardo, Archives sonores de la poésie, ouvre des perspectives permettant de considérer les pratiques des poètes comme un matériau à collecter, selon des méthodes à définir.
[4] Dominique Viart, « Les Littératures de terrain », introduction à Alison James et Dominique Viart (dir.), Fixxion, n°18, juin 2019, dossier « Les littératures de terrain », p. 4-18.