« Filmer le fleuve : figuration et modulations paysagères »
Colloque international, 2025
Dir. Philippe Ragel et Sophie Lécole Solnychkine
Laboratoire PLH, équipe ELH / LLA-CREATIS, Université Toulouse – Jean Jaurès
Appel à communication
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« On dit d'un fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l'enserrent »
Bertolt Brecht
Depuis les plus lointaines origines bibliques ou antiques, le fleuve irrigue, féconde et ordonne la Terre. Ainsi le Gange, le Nil, le Tigre et l’Euphrate constituent les fleuves matriciels jaillis de l’Eden. Entailles pour le cartographe, les fleuves ont très vite formé une frontière naturelle entre les États (Michel Foucher), assumant une fonction politique. C’est que le fleuve fabrique du territoire, à l’image des bassins versants des trois grands fleuves de l’Hexagone qui regardent plutôt vers l’Ouest et non vers le continent dont la France est l’extrémité. Orientation qui nous dit sans doute quelque chose du mouvement des fleuves, cette direction aussi politique qu’à notre insu ils impriment.
Si ses rives séparent, ce faisant le fleuve relie. D’amont en aval, il se fait alors couture, liant les peuples que, d’un bord à l’autre, par ailleurs il divise. Pour l’historien c’est alors une route, une voie de circulation, de commerce, de ressources (pêche, gravières, etc.), d’échanges (économiques, culturels), parfois de pèlerinage pour atteindre quelque sanctuaire qui, depuis toujours, vénère sa source. Les villes qui le bordent, ainsi, lui doivent tout. Combien de capitales ne seraient-elles pas ce qu’elles sont devenues sans le bénéfice de ses ressources, et sans ses aménagements non plus ? Comme le fleuve est naturellement sauvage, inconstant, il fallut le domestiquer pour satisfaire aux besoins des cités qu’il parrainait. À partir du 18ème siècle, on commence à l’endiguer. On le corsette, on l’aménage, pour dompter ses crues, assurer sa navigabilité, pour mieux répartir ses dépôts alluvionnaires, et tirer bientôt de sa force quelque énergie hydroélectrique avant d’y trouver de quoi refroidir l’atome en fusion qui éclaire actuellement nos villes.
Source de développement et de profit, le fleuve n’en demeure pas moins une inépuisable réserve d’imaginaires. Il a nourri bien des épopées, bien des récits, inspiré bien des compositions musicales comme picturales (le Paphlagonéios dans les Posthomerica de Quintus de Smyrne, la Moldau de Smetana, les peintres de la Hudson River School). C’est que le fleuve est une inépuisable fabrique d’images qui articule le proche et le lointain : « Que de grandeurs étaient parties avec le flot descendant de cette rivière [La Tamise] vers les mystères d’une terre inconnue !... Les rêves des hommes ; les semences des colonies, les germes des empires » (Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres). Sa poétique se déploie sur sa nature coulante, fluente, dont on ne voit pas la fin, pas plus que l’on n’imagine son origine. On le remonte car à sa source obscure (Courbet, Les sources de la Loue) se loge toujours quelque mystère d’un monde d’avant, plus sauvage, plus primitif, plus absolu ; on le descend, là pour défier ses humeurs et vaincre sur son autorité et sa force nos peurs maladives.
Si sa longue traîne fabrique du récit, le fleuve bat aussi d’un autre temps le pouls de sa mesure, plus poétique, plus sensible, plus organique. Loin de la brutalité du monde humain qui à l’intérieur des terres ronge et humilie, sur ses rives l’homme trouve un éternel refuge. Le temps d’une parenthèse, là on médite, regrette, fabule, imagine. Ou rien de tout cela. Car le temps qui là se dilate, va comme il va, chose d’autant plus précieuse dans ce monde qui toujours plus le compresse et le tend (Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement). Drapé dans le manteau de ses majestueuses courbures, de tous les cours d’eau le fleuve est en effet l’expression philosophique sans doute la plus aiguë du temps, un temps qui ne passe ni plus vite ni plus lentement, mais mieux : les eaux du fleuve sont là mais toujours en train de s’en aller, mobiles et immobiles, éternelles et passagères, furtives et permanentes. Le temps y coule tout en s’y arrêtant et la lumière qui l’accompagne s’y fait toujours changeante. Ce qui est beau en effet, c’est ce que cette forme d’eau fait à la lumière et dans la lumière, comme l’ont très vite compris les peintres impressionnistes, avec tout au bout les ports d’embouchure et leurs ciels de traîne où ces rais de lumière dans la mer ou l’océan se diluent.
Enfin, depuis quelques années, ce sont d’autres pratiques à la croisée des arts, des humanités écologiques et du militantisme qui émergent, en s’organisant comme des rencontres citoyennes autour de et en présence des fleuves. Le Parlement de Loire, par exemple, lutte pour la reconnaissance des droits de ce fleuve, dans un contexte de crise écologique marqué par la baisse du débit, l’altération de la qualité de l’eau et l’appauvrissement des écosystèmes. Ce type de pratiques assembléistes s’inspire des travaux de Bruno Latour (le Parlement des choses) ou de Philippe Descola (Par-delà nature et culture). L’actualité juridique internationale porte les échos de telles démarches, notamment lorsque des États reconnaissent la personnalité juridique de certains de leurs fleuves (le Whanganui en Nouvelle-Zélande par exemple).
Sans écarter sa dimension géopolitique, historique ou anthropologique (Les fils de l’eau, Jean Rouch), le colloque « Filmer le fleuve » s’intéressera à la fonction d’abord esthétique et (éco)poétique de ces majestueuses coulées qui, tout en modulations paysagères, depuis les origines du cinéma hydratent l’art de l’écran (Les images de l’eau dans le cinéma français des années vingt, Éric Thouvenel). Motif plastique s’il en est, formidable « réserve d’envolée » (Gaston Bachelard), le fleuve inscrit en effet du temps dans l’espace ; c’est une traversée, une durée, un récit de la nature et des hommes qui l’empruntent et l’arpentent. De D. W. Griffith (À travers l’orage) à Jia Zhangke (Still Life), de Jean Renoir (Le fleuve) à Fritz Lang (House by the River), d’Otto Preminger (La rivière sans retour) à Elia Kazan (Le fleuve sauvage), de F. F. Coppola (Apocalypse Now) à Werner Herzog (Aguirre ou la colère de Dieu, Fitzcarraldo), de Kornél Mundruczó (Delta) à Ciro Guerra (L’étreinte du serpent), de M-S Haroun (L’homme qui crie) à Alekseï Fedortchenko (Le dernier voyage de Tania), c’est donc moins à sa fonction de décor qu’à sa puissance narrative, imageante, de figuration esthétique et poétique, que s’attachera ce colloque sur le fleuve à l’écran.
Nous vous invitons à y participer en envoyant votre proposition de communication avant le 15 avril 2024 (3000 signes maximum, espaces compris), complétée d’une biographie sommaire, à Philippe Ragel (ragel@univ-tlse2.fr) et Sophie Lécole Solnychkine (s.lecole@univ-tlse2.fr).
Ce colloque organisé par l’équipe ELH du laboratoire PLH (Patrimoine, Littérature, Histoire) en partenariat avec le laboratoire LLA CREATIS, se déroulera à l’Université Toulouse – Jean Jaurès au printemps 2025, et à la Cinémathèque de Toulouse. Les communications seront données en français. L’organisateur prend en charge l’hébergement (2 ou 3 nuitées) et la restauration sur place mais pas les déplacements.
Frais d’inscription obligatoires : 30 €
Comité scientifique :
Fabienne Costa, Université Grenoble-Alpes
Antoine Gaudin, Université Sorbonne Nouvelle
Sophie Lécole Solnychkine, Université Toulouse – Jean Jaurès
José Moure, Université Paris I – Panthéon Sorbonne
Massimo Olivero, Université Paris I – Panthéon Sorbonne
Philippe Ragel, Université Toulouse – Jean Jaurès
Benjamin Thomas, Université de Strasbourg
Éric Thouvenel, Université Paris Nanterre