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La littérature aux politiques et la politique en littérature (revue Mouvances Francophones)

La littérature aux politiques et la politique en littérature (revue Mouvances Francophones)

Publié le par Marc Escola (Source : Armel Jovensel Ngamaleu)

Mouvances Francophones, Vol. 10 N°. 1 (2025)

La littérature aux politiques et la politique en littérature

Dans son autobiographie Long Walk to Freedom, Nelson Mandela se présente comme un lecteur avide de littérature politique, philosophique et romanesque. Grâce à Commando de Deneys Reitz, dit-il, il a pu se faire une idée des stratégies de guérilla non conventionnelles employées par les généraux boers pendant la guerre anglo-boer (1994 : 197). Red Star Over China d’Edgar Snow l’a éclairé sur la détermination et la pensée non traditionnelle de Mao, qui l’ont conduit au triomphe. The Revolt de Menachem Begin l’a aussi inspiré car il présente les insurrections réussies menées par un dirigeant israélien dans un pays dépourvu de montagnes et de forêts (313). Mandela s’est également inspiré des Raisins de la colère de Steinbeck pour sa politique d’immigration ; Guerre et paix de Tolstoï lui a permis d’acquérir des connaissances en matière de relations internationales (558). En Afrique francophone, Thomas Sankara apparaît comme un exemple de l’impact de la littérature, en particulier de la fiction, sur la formation des dirigeants. Dans un entretien avec Elisabeth Nicolini, publié en 1986  par Jeune Afrique, Sankara exprime son mécontentement à l’égard de nombreux écrivains africains pour leur manque d’authenticité et de réalisme. Il préfère les auteurs qui abordent les questions sociales, comme en témoigne son admiration pour l’ouvrage fondamental de Lénine, L’État et la Révolution. De même, depuis son accession au pouvoir en 2016, le président du Bénin, Patrice Talon, a forgé un lien profond avec les auteurs et les livres de fiction, les utilisant pour façonner sa vision politique. En 2016, par exemple, il demande à l’une des écrivaines béninoises les plus prolifiques, Sophie Adonon, de lui faire parvenir toute son œuvre, spécialement dédicacée. Son amour pour la littérature est manifeste dans plusieurs de ses discours et dans son action politique : il l’affirme clairement. Cette affinité avec la littérature a joué un rôle central dans son approche du leadership et de la gouvernance, parce que la « littérature pose les vrais problèmes de société, autrement » (Talon, 2021).

Pour autant, dans sa réponse au célèbre appel à l’engagement littéraire de Sartre, Théodore Adorno (1992) affirmait que l’art  « ne consiste pas à proposer des alternatives, mais à résister, uniquement par la forme artistique, au cours du monde qui continue à braquer le pistolet sur la tête des hommes » (78). Le caractère politique d’une œuvre littéraire, selon  Adorno, ne réside pas dans un programme politique ou une appartenance partisane qu’elle pourrait assumer, mais précisément dans sa résistance à tout programme qui se l’approprierait à ses propres fins.  Ceci correspond à ce que Maurice Blanchot désigne comme étant la « mauvaise foi » inhérente à la littérature, la capacité de celle-ci à enregistrer les tensions historiques et politiques tout en revendiquant sa fictionnalité dès qu'elle est considérée sérieusement. En d’autres termes, on ne sait jamais comment lire une œuvre de fiction, parce qu’elle est mise sur les deux faces de la médaille ironique. C’est cette ambiguïté que Blanchot, dans sa propre réponse à la notion de littérature engagée de Sartre, présente comme le tournant même de la littérature et la cause de sa tromperie inhérente. « La littérature, écrit-il, est le langage qui se transforme en ambiguïté, et elle s’affirme comme une possibilité toujours différente » (1948 : 113). Autrement dit, la littérature signifie toujours plus que ce que nous sommes prêts à reconnaître et peut toujours dépasser nos assignations. En effet, comme le souligne Derrida (2000), la littérature peut tout dire, tout accepter, tout recevoir, tout subir, tout simuler. Cette ambiguïté de l’écriture littéraire, son recours à la fictionnalité et à la simulation est ce qui constitue la résistance spécifique de la littérature en préservant continuellement l’altérité d’un texte littéraire. La littérature est inextricablement liée au monde tout en se réservant un espace de détachement qui lui permet de l’imaginer autrement, surtout au miroir déformant de l’histoire future, qui perdra son contexte et son public-cible attendu. De ce fait, si la littérature s'arrime à une promesse contenue dans la notion de « démocratie à venir » de Derrida (1996 : 47),  le droit à la littérature semble être synonyme de démocratie et de liberté d'expression ; ce qui non seulement garantit notre droit à tout dire, mais implique aussi, de manière plus cruciale, notre droit à décliner toute responsabilité pour ce qui est dit. Cette manière de lier la littérature à l’action politique est résumée par le concept d’« indirection » proposé par Hannah Arendt (2007) qui montre comment les œuvres de Melville et de Dostoïevski tracent des routes d’action capables de répondre à la « question sociale ». Dans cette optique, la littérature aurait la capacité de permettre aux politiciens de comprendre et de résoudre de manière plus efficace les problèmes complexes. En conséquence, la fiction serait considérée comme parfaite, capable de représenter le Bien absolu — ou son contraire, étant donné que toute interprétation est ironique et réversible, bien que cela ne soit pas le cas pour tous les lecteurs (Eco, 1994). Quoi qu'il en soit, la littérature offrirait aux politiciens ce que Bourdieu qualifie dans Les Règles de l'art de « médiation » (1992 : 78), permettant au lecteur d'établir des passerelles entre l'interne et l'externe, et projetant ainsi les implications normatives culturelles et politiques de l'œuvre.

Ainsi posé, on peut supputer que le rapport des gouvernants à la littérature montre que cette dernière contribue, directement ou indirectement, à l’articulation même de la gouvernance et de gouvernementalité. Pareillement, l’écrivain construit son œuvre en lui conférant une possibilité d’intervention dans la praxis politique, de sorte que la littérature devienne aux politiques ce que la politique est en littérature : action politique, lieu de résistance et construction idéologique. 

Le présent numéro de Mouvances Francophones cherche à appréhender le rôle stratégique de l’œuvre littéraire dans la mise en place de l’action politique. On s’intéresse surtout à la manière dont la littérature détermine la construction du leadership, la vision politique, les stratégies de gouvernance et l’action politique d’une part et, d’autre part, la manière dont les écrivains construisent leurs œuvres précisément à l’intérieur d’une pensée politique, de sorte que le texte littéraire devienne mise en scène ou déconstruction d’un programme politique.

Les axes de réflexion, sans être exhaustifs, pourraient inclure :

-          La littérature comme programme politique

-          La littérature et le branding/marketing politique

-          La littérature comme exercice de démocratie

-          Littérature et construction du leadership politique 

-          Les genres, les auteurs et les thèmes littéraires des politiques

-          Les genres littéraires et l’investissement des sujets politiques

-          Les politiques et les idéologies des écrivains

-          La conversion des écrivains en responsables politiques et vice-versa

-          Les amitiés ou animosités entre politiques et écrivains

-          La figure de l’écrivain politique et du politique écrivain

-          La réception critique des écrivains et l’influence des politiques

-          Les mémoires et (auto)biographies des politiques

-          Écritures des (ex-) femmes (au pouvoir) sur leur rapport aux politiques

-          Écrivains et censures politiques 

-          Politiques et procès littéraires

Modalités de soumission

Les propositions (résumés titrés d’environ 300 mots, suivis d’une brève bio-bibliographie) en français ou en anglais doivent être envoyées au plus tard le 15 juin 2024 à l’adresse suivante : politeramf12025@yahoo.com.

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Calendrier prévisionnel

Soumission des propositions (résumés) : 15  juin 2024

Notification des auteurs : 1er  juillet 2024

Soumission des articles : 1er  novembre 2024.

Retour des articles expertisés : 30 décembre 2024

Soumission des articles corrigés : 30 janvier 2025

Publication du numéro thématique : début février 2025

 

Bibliographie sélective

 

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