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L'épopée est morte, vive l'épique? Adaptations, circulations transgénériques et transmédiatiques, réécritures (Xe congrès international du REARE, Rouen)

L'épopée est morte, vive l'épique? Adaptations, circulations transgénériques et transmédiatiques, réécritures (Xe congrès international du REARE, Rouen)

Publié le par Marc Escola (Source : Hubert Heckmann)

Appel à communication ─ Propositions à envoyer avant le 30 avril 2024.

Xe Congrès international du Réseau Euro-Africain de Recherches sur l’Épopée

Rouen, 19-21 septembre 2024

L’épopée est morte, vive l'épique ?

Adaptations, circulations transgénériques et transmédiatiques, réécritures

La formule du titre est certes une boutade. Le constat de la mouvance et de l’adaptabilité épiques bat cependant en brèche depuis longtemps l’idée de l’extinction du genre, et nombre de chercheurs aujourd’hui notent l’adaptation constante du public et des modes de récitation ou de réception des épopées : Monire Akbarpouran pour les bardes turcs, Yann Borjon Privé pour les récitants dolganes, Roberte Hamayon pour les épopées bouriates1. Ce qui est neuf, c’est l’appréciation positive qui est désormais proposée de cette évolution. François Suard invite ainsi à poser un nouveau regard sur la mort du genre poétique de la chanson de geste à la fin du Moyen Âge: le «passage à la prose» ouvre l’épique «à l’universalité du temps et de l’espace. Pourquoi ne pas s’en réjouir?»2 De la même manière, le deuil d’une épopée orale traditionnelle en voie d’extinction peut devenir paradoxalement, grâce au passage vers l’écrit, une «chance», «dépouillant la tradition de ses attaches communautaires» pour «l’ouvrir au monde»3: sous l’impulsion de Tsira Ndong Ndoutoume, le Mvett, sortant de «la bulle de l’oralité», est devenu une «tradition d’écriture, de réécriture, de relecture» ancrée dans la réalité poétique contemporaine, «en quête d’un sens différé, dé-multiplié, dés-horizonné»4.

      L’épopée se meurt car les contextes de récitation et de réception évoluent : les goûts du public changent. L’épopée n’a pourtant pas dit son dernier mot. L’image figée que l’épopée cherche parfois à donner d’elle-même masque une évolution formelle continue et constitutive. L’impulsion créatrice à l’origine de l’épopée n’est-elle pas souvent donnée par d’importantes mutations sociales ? Les sociétés et les textes changent, et les bouleversements qui rendent une épopée caduque n’empêchent pas qu’elle se prolonge sous d’autres formes, laissant survivre quelque chose d’épique.

      Plusieurs termes ont été proposés pour penser cette évanescente survivance de l’épique dans de multiples textes et dans des multitudes de supports : Delphine Rumeau et Inès Cazalas parlent de l’«étoffe» épique d’un héros5, Florence Goyet d’«épopée dispersée»6, Jean Derive d’épopée «en mosaïque»7. Tandis que Daniel Madelénat pouvait encore interpréter la «dérive de la chanson de geste» comme une «décadence»8, les médiévistes lisent aujourd’hui dans «l’automne de l’épopée médiévale» une «promesse de renouveau»9. Susanne Friede et Dorothea Kullmann proposent de nommer «potentiel épique»10 le caractère d’«adaptabilité» propre à la chanson de geste, qui a été mis en évidence par François Suard11.

      L’épique passe de la récitation orale à la mise par écrit; d’une langue à une autre, ce qui implique parfois de très profonds ajustements culturels et génériques; de la poésie à la prose, se rapprochant de la chronique ou du roman; du roman au feuilleton; du livre au cinéma ou à la radio. Bandes dessinées, productions hollywoodiennes, bollywoodiennes ou nollywoodiennes font la part belle aux épopées et saturent le box office.

      Comment se structurent les adaptations et pour quels publics? Comment penser ces circulations transgénériques et transmédiatiques, et ce dès les premières épopées, comme trait constitutif de l’épopée? Comment la réécriture pense-t-elle le contemporain et sous quelles formes? Que reste-t-il alors d’épique, au juste?

      Variation, réécriture, adaptation: le texte pense son contexte contemporain. Eric Jolly l’a montré pour le cas de Soundiata à partir de deux exemples en Guinée et au Mali12. Florence Goyet l’a décrit pour L’Iliade, La chanson de Roland et Hôgen et Heiji monogatari13. Cette pensée du contemporain, aujourd’hui, déborde massivement le cadre strict de l’épopée pour intégrer des circulations transgénériques, voire transmédiatiques. Ce congrès du REARE se placera sous le signe de l’étude des réécritures, de leurs motivations, et des modes de passage d’un genre à un autre, d’un média à l’autre14.

      Les communications pourront porter sur des œuvres «dérivées» qui ne sont plus des épopées car elles appartiennent à d’autres genres littéraires ou relèvent d’autres médias, mais dont on interrogera le caractère épique éventuellement résiduel ou renouvelé.

      Elles pourront également prendre pour objet des épopées, car les questions de l’hybridation transgénérique et de l’adaptation transmédiatique ne sont postérieures à l'épopée qu’en apparence, et se posent en fait souvent dès l’origine, ce qui explique la réjouissante faculté d’adaptation de l’épique.

      Les participants pourraient également étudier les discours produits à partir de l’épopée par ses usages scolaires, religieux, politiques, touristiques (récits de voyage ou guides), ou encore pseudo-savants (prenant la fiction épique pour un fait historique)...: relèvent-ils de la réécriture transgénérique, et que révèlent-ils du «potentiel épique»?

      Les propositions de communication (une page maximum) avec une courte notice bio-bibliographique en format Word ou RTF doivent être envoyées avant le 30 avril 2024 à: reare@univ-rouen.fr

Comité scientifique du congrès :

Elara Bertho, CNRS
Ariane Ferry, Université de Rouen-Normandie
Florence Fix, Université de Rouen-Normandie
Florence Goyet, Université Grenoble-Alpes
Hubert Heckmann, Université de Rouen-Normandie
Abdoulaye Keita, Université Cheikh-Anta-Diop (Dakar)
Beate Langenbruch, ENS Lyon
Claudine Le Blanc, Université Sorbonne-Nouvelle (Paris)
Jean-Pierre Martin, Université d’Artois
Hélène Tétrel, Université de Rouen-Normandie
Ibrahima Wane, Université Cheikh-Anta-Diop (Dakar)

Notes

1. Voir les trois journées d’études organisées par Florence Goyet et Jean Luc Lambert, et notamment : Fl. Goyet et J.- L. Lambert, «Introduction. L’épopée, un outil pour penser les transformations de la société», Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, n°45, 2014, [https://doi.org/10.4000/emscat.2268]; Fl. Goyet et J.-L. Lambert, «“Auralité”: changer d’auditoire, changer d’épopée», Le Recueil Ouvert, n°3 2017, [https://web.archive.org/web/20230326121736/http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/259--auralite-changer-d-auditoire-changer-d-epopee].

2. François Suard, «Le passage à la prose», dans Raconter, célébrer au Moyen Âge. Le lai, la nouvelle, le roman et l’épopée, Paris, Champion, 2021, p. 154.

3. Grégoire Biyogo, préface à Steeve Elvis Ella, Mvett Ékang et le projet Bikalik. Essai sur la condition humaine, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 16.

4. Ibid.

5. Inès Cazalas et Delphine Rumeau, «Introduction. L’épopée dans les littératures postcoloniales et dans les espaces transatlantiques», dans I. Cazalas et D. Rumeau, Épopées postcoloniales, poétiques transatlantiques, Paris, Garnier, 2020, p. 7-43; I. Cazalas, Contre-épopées généalogiques: fictions nationales et familiales dans les romans de Thomas Bernhard, Claude Simon, Juan Benet et António Lobo Antunes, thèse de doctorat, sous la dir. de Pascal Dethurens, Université de Strasbourg, 2011; D. Rumeau, Chants du Nouveau Monde épopée et modernité, Whitman, Neruda, Glissant, Paris, Garnier, 2009.

6. Fl. Goyet, «De l’épopée canonique à l’épopée “dispersée”: à partir de l’Iliade ou des Hōgen et Heiji monogatari, quelques pistes de réflexion pour les textes épiques notés», Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, n°45, 2014, [https://doi.org/10.4000/emscat.2366]; Fl. Goyet, Penser sans concepts: fonction de
l’épopée guerrière, Paris, Champion, 2006.

7. Jean Derive, L’épopée: unité et diversité d’un genre, Paris, Karthala, 2002; Ursula Baumgardt et Jean Derive, Littératures orales africaines: perspectives théoriques et méthodologiques, Paris, Karthala, 2008.

8. Daniel Madelénat précise que «Le processus résulte du lent dépérissement d’une fonction.» (D. Madelénat, L’Épopée, Paris, PUF, 1986, p. 204).

9. Claude Roussel, «L’automne de la chanson de geste», Cahiers de recherches médiévales, 12, 2005, p. 28, [https://doi.org/10.4000/crm.2172].

10. Susanne Friede et Dorothea Kullmann (éd), Das Potenzial des Epos. Die altfranzösische Chanson de geste im europäischen Kontext, Heidelberg, Winter, 2012.

11. Fr. Suard, «La chanson de geste: raisons d’un succès», dans Susanne Friede et Dorothea Kullmann (éd.), op. cit., p. 21-42.

12. Éric Jolly, «L’épopée en contexte. Variantes et usages politiques de deux récits épiques (Mali/Guinée)», Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/4, p. 885-912.

13. Fl. Goyet, op. cit.

14. Dans le prolongement du colloque du CIMEEP de Poitiers en 2022 intitulé «Épopée et intermédialité» [https://forellis.labo.univ-poitiers.fr/wp-content/uploads/sites/271/2022/02/Epopee-Intermedialite-Prog20220214.pdf].