Série Colette, Revue des Lettres modernes (Minard), numéro 2
« Force et beautés du bref »
Pour ce deuxième numéro de la série, à paraître en 2025, nous souhaiterions proposer aux contributeurs de réfléchir sur l’art de la brièveté dans l’oeuvre de Colette. Nous entendrons cette dernière au sens large : il s’agit autant de se pencher sur les genres brefs (contes, nouvelles, portraits, reportages, articles, pièce en un acte, féerie-ballet, poème en prose[i], textes de théâtre[ii] etc.) que sur les formes brèves disséminées dans des récits plus ou moins longs (sentence[iii], maxime, bons mots etc.) et qui dérivent souvent de cette « forme décrétale de l’observation » étudiée par Francine Dugast-Porte, mais aussi de son sens de l’humour, parfois rosse. Le mélange des tons et des genres qui caractérise ses écrits et dont la variété même donne un effet d’hétérogénéité et d’éclatement, nous paraît également intéressant à analyser sous cet angle. Nous pourrons également nous intéresser aux pratiques scripturales hybrides, en relation avec son métier d’écrivaine : dédicaces, correspondance brève (cartes postales), envois, textes publicitaires ou fragments pour éditions de luxe – tout paratexte auctorial fonctionnant aussi comme l’élaboration d’une parole brève adressée à autrui.
Dès ses débuts et pendant toute sa carrière, Colette a pratiqué une écriture influencée et contrainte par ses multiples activités. Vers la fin de sa vie, elle retrouve le rythme de la déambulation et la brièveté du fragment, et ce que Claude Pichois a identifié comme « son module préféré – le texte de dix, douze pages ». Nécessité ou prédilection ? Comme toujours chez Colette, la réponse n’est pas tranchée et l’écriture vit de cette tension et montre la volonté de l’écrivaine de s’approcher au plus près de l’instant, de l’éphémère et de tenter de le fixer comme l’a analysé Jacques Dupont au sujet des « éphémérides » de L’Almanach de Paris – An 2000 (1949).
D’autre part, ce sont l’anecdote et le quotidien, à partir d’expériences propres ou recueillies, qui nourrissent son écriture et fournissent le point de départ aux nombreux questionnements sur notre rapport au langage, aux représentations et aux normes. Ainsi, parce que la forme brève porte « en elle-même très souvent la critique des systèmes » (Montandon, 1992 : 162), nous pourrons réexaminer le rapport de Colette à la forme et à la norme (morale et littéraire). Pour les lecteurs, l’art du portrait, la bigarrure, les formes fragmentaires, la méfiance envers le romanesque ralentissent le rythme de lecture, ou l’accélèrent brutalement, laissant une certaine liberté dans l’appropriation du sens, ce qui compense un ton parfois péremptoire. Aussi, la maîtrise d’un discours bref offre à Colette la possibilité d’impliquer lectrice et lecteur dans la construction participative d’une vérité plurielle. La Femme cachée, « Bella-Vista », « Chambre d’hôtel », « La Lune de pluie » sont autant de récits qui construisent avec une grande habileté un discours « juste » (Dessons, 2015) sur les genres, les crimes, la monstruosité humaine.
Finalement, du côté de la réception de son œuvre, nous pourrons réfléchir aux lectures pratiquées par les lecteurs de Colette. D’une part, la réception peut avoir été influencée par sa pratique du recueil de textes brefs et hétérogènes. D’autre part, de nombreuses lectures cherchent à recueillir l’essence de l’œuvre de Colette en utilisant sa fragmentation et son penchant pour les formulations à visée proverbiale : morceaux d’anthologie, collection de sentences et de bons mots (« Moi, je veux faire ce que je veux ») qui fragmentent l’œuvre et en donnent, à chaque époque, une vision actualisée et différente.
Ces variations impliquent que l’œuvre soit envisagée du point de vue de sa complexité énonciative, générique et esthétique. Bref, que la brièveté apparaisse dans toutes ses facettes.
Aux auteurs qui voudraient explorer d’autres aspects de l’œuvre ou de sa réception, il est rappelé que la Série Colette dispose de rubriques « Variétés » et « Mémoire de la critique ».
Orientations bibliographiques
· Dossier « Colette et la forme brève », Cahiers Colette, nº15, « Le génie créateur de Colette » qui comporte les articles suivants : Bernard Bray, « Colette et les bêtes dans leurs prisons-paradis », Michel Mercier, « De la commande au produit fini : des « Serpents » aux Paradis terrestres » et Jacques Dupont, « Colette et ses éphémérides ». Incluons l’article de Francine Dugast-Port, « L’art du portrait dans Trait pour trait » dans le même numéro.
· Entrées « contes merveilleux » et « poème en prose », Dictionnaire Colette, Guy Ducrey et Jacques Dupont (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2018.
· Francine Dugast-Portes: « Colette ou les variances du bon et du mauvais aloi” in Littérature et exemplarité Emmanuel Bouju, Alexandre Gefen, Guiomar Hautcœur et Marielle Macé (dir.), 2007.
· Marie-Ève Thérenty, « Colette feuilletoniste », Lendemains de Colette, Guy Ducrey (dir.), revue Lendemains, 174/175, 2019, p. 76-79 et Femmes de presse, femmes de lettres, Paris, CNRS Éditions, 2019.
· Alain Montandon, Les Formes brèves, Paris, Hachette, 1992.
· Gérard Dessons, La Voix juste. Essai sur le bref, Paris, Manucius, 2015.
Date limite d’envoi des propositions : 15 mai 2024
Date de confirmation d’acceptation : 24 juin 2024
Date de remise des articles : 15 décembre 2024
Les propositions d’article (titre et résumé de 15-20 lignes, bibliographie indicative), assorties d’une courte bio-bibliographie (5 lignes : principales lignes de recherche, coordonnées et rattachement institutionnel), sont à envoyer à revuecolette2022@gmail.com.
—
Comité scientifique:
Guy Ducrey, Université de Strasbourg
Jacques Dupont
Corentin Zurlo-Truche
Flavie Fouchard, Université de Séville
Responsables du numéro 2 : Flavie Fouchard, Corentin Zurlo-Truche
[i] Entrées « contes merveilleux » et « poème en prose », Dictionnaire Colette, Guy Ducrey et Jacques Dupont (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2018
[ii] Nous pensons ici à En Camarades (1909), petite comédie en 2 actes.
[iii] Francine Dugast-Portes: « Colette ou les variances du bon et du mauvais aloi” in Littérature et exemplarité Emmanuel Bouju, Alexandre Gefen, Guiomar Hautcœur et Marielle Macé (dir.), 2007.