Les réécritures contemporaines des mythes en littérature de jeunesse : des réceptions plurielles ? (Arras)
Dans la lignée des travaux de « Textes et Cultures » sur les transformations du patrimoine et du numéro 44 des Cahiers Robinson, Bible et littérature de jeunesse, ce séminaire, qui aura lieu le 7 juin, s’intéresse aux enjeux des réécritures de mythes dans la littérature de jeunesse contemporaine. Il vise à confronter, sous l’angle très circonscrit du destinataire enfantin, les trois sources majeures de la culture européenne, comme le rappelle Olivier Millet, que sont les mythes d’origine biblique, gréco-romaine et celtique. Cela permettra d’interroger la manière dont tout un pan du patrimoine immatériel est transmis, actualisé, détourné, voire instrumentalisé pour le jeune lectorat.
Partant de la définition du mythe comme un récit ancestral, primitif, que la littérature antique ou médiévale a transmis, il ne s’agit pas d’aborder le mythe au sens où l’entendent les anthropologues comme un « mythe ethno-religieux », récit oral des temps primordiaux qui serait tenu pour vrai en faisant surgir le sacré. La réflexion porte sur les mythes littéraires qui, selon Philippe Sellier, conservent les trois autres caractéristiques des mythes religieux fondateurs, à savoir la portée symbolique et universelle, la structuration dramatique et la dimension métaphysique. Nous interrogerons la manière dont la littérature de jeunesse contemporaine diffuse cette culture patrimoniale en faisant état de sa dimension symbolique, métaphysique, philosophique, donnant à penser la nature humaine et la place de l’homme dans la société ou dans l’univers. Nous nous demanderons plus précisément dans quelle mesure la fictionalisation des mythes, adressée à la jeunesse sur le mode de la « feintise ludique » (Jean-Marie Schaeffer), impliquerait des modes de réception singuliers.
Plusieurs hypothèses peuvent être formulées, la première reposant, dans la lignée du raisonnement de J.-M. Schaeffer, sur l’immersion fictionnelle, sur une adhésion libre loin de toute forme de croyance.
Une deuxième hypothèse relève de l’imprégnation culturelle. Ces réécritures permettraient la construction d’une culture commune par le pouvoir d’« irradiation » des mythes (Pierre Brunel) ou, sous un angle plus didactique par la « transmythicité » (Marie-José Fourtanier). Dans ce cas, ne participeraient-elles pas à une sorte d’imprégnation culturelle au même titre que les contes ou autres textes du patrimoine indispensables à la construction progressive d’une culture commune ? Sylviane Ahr propose d’envisager le jeune lecteur comme « sujet de culture ». Mais comme le fait remarquer Véronique Gély, à la suite des réflexions de Véronique Léonard-Roque, comment s’opère dans l’esprit d’un jeune lecteur le passage entre la figure mythique originelle et le personnage littéraire : quelles en sont les « modalités de reconfiguration » ? Inversement, dans l’approche qui est la nôtre, comment passe-t-on du personnage au héros mythique ?
Une troisième hypothèse concerne la « lecture actualisante » (Yves Citton), l’interprétation symbolique, métaphysique, philosophique renvoyant le jeune lecteur, lecteur modèle ou sujet lecteur, à des questions fondamentales sur la nature humaine et la place de l’homme dans la société ou dans l’univers.
Pour interroger ces modes de réception singuliers du jeune lecteur, plusieurs pistes sont envisageables :
- La prise en compte du jeune lecteur dans les choix des maisons d’édition, des collections de romans (chez Nathan), d’albums (albums fictionnels et collections hybrides comme « les petits Platons », « Musée du Louvre »), de bandes dessinées, de mangas, de pièces de théâtre... Quelles différences avec les documentaires (en histoire, en histoire de l’art, etc.) et quelles disparités en matière de lecture, de mode de réception ?
- Les postures du jeune lecteur : l’implication du sujet lecteur opère-t-elle face au héros ou au monstre ? Comment la violence est-elle traitée ? Quelles seraient les valeurs transmises ? Des divergences sont-elles perceptibles vis-à-vis des réécritures de contes par exemple ?
- La transposition didactique : Quels corpus privilégier à l’école ? Comment les enseigner ? Les réflexions sur l’interdisciplinarité (en lien avec l’histoire des arts, l’histoire, l’EMC, les langues anciennes), via les Parcours d’éducation artistique et culturelle et les enseignements pratiques interdisciplinaires pourront éclairer les propos.
- Les spécificités culturelles : la littérature de jeunesse étant constituée de nombreuses traductions, des divergences de traitement selon les langues, selon les pays sont-elles perceptibles ? Quelles divergences ou similitudes avec d’autres mythes notamment les mythes nordiques/ scandinaves ?
Les propositions, accompagnées d’une brève bio-bibliographie, sont à envoyer aux organisatrices pour le 29 mars 2024 : beatrice.ferrier@univ-artois.fr">beatrice.ferrier@univ-artois.fr">beatrice.ferrier@univ-artois.fr; isabelle.olivier@univ-artois.fr">isabelle.olivier@univ-artois.fr">isabelle.olivier@univ-artois.fr
Une publication des travaux de ce séminaire, qui donnera lieu à d’autres manifestations en 2024-2025, est prévue dans les Cahiers Robinson de 2026.
Bibliographie indicative :
Ahr, Sylviane, Enseigner la littérature aujourd’hui : disputes françaises, Paris, Champion, 2015
Backès, Jean-Louis « Quelles réécritures pour les mythes antiques ? », Métamorphoses du mythe. Réécritures anciennes et modernes des mythes antiques, sous la direction de Peter Schnyder, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 41-52.
Bazin, Hervé, « Littérature d’enfance et de jeunesse », La Bible dans les littératures du monde, sous la direction de Sylvie Parizet, Paris, Éditions du Cerf, 2016, t. I, p. 452-456
Besson, Anne, « Les “versions jeunes” de personnages littéraires mythiques : un principe de déclinaison », dans Les Personnages mythiques dans la littérature de jeunesse, dir. Nathalie Prince et Sylvie Servoise, PUR, 2015, p. 195-204.
Besson, Anne, La Fantasy, Paris, Klincksieck, 2007 (partie III « Des mythes d’hier pour aujourd’hui », p. 121-181)
Besson, Anne, « Le mythe culturel en fiction : deux relectures de la préhistoire arthurienne par les cycles de fantasy contemporains », dans Images du Moyen Age, dir. Isabelle Durand-Le Guern, PUR, 2006, p. 175-184.
Brunel, Pierre (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, éd. du Rocher, 1988
Casta, Isabelle, Nouvelles Mythologies de la mort, Champion, “ BLGC ”, 2007
Citton, Yves, Lire, interpréter, actualiser : pourquoi les études littéraires ?, Paris, éditions Amsterdam, 2007.
Denizot, Nathalie, « Les textes fondateurs dans les programmes et manuels depuis 1938 », Lecture des textes fondateurs. Enjeux culturels et littéraires, Le français aujourd’hui, n° 155, 2006, p. 49-56.
Ferrier, Béatrice (dir.), Bible et littérature de jeunesse, Cahiers Robinson, n° 44, 2018.
Fourtanier, Marie-José, « Écritures littéraires et transmythicité », dans Le pari de la littérature, dir. A. Brillant-Annequin et J.-F. Massol, Grenoble, Université de Grenoble, Scéren éditeur, 2005, p. 119-128.
Fourtanier, Marie-José (dir.), Les Mythes dans l’enseignement du français, Paris, Bertrand Lacoste, 1999.
Gély, Véronique, « Personnage, mythe, enfance : quelques notes introductives », Les Personnages mythiques dans la littérature de jeunesse, dir. Nathalie Prince et Sylvie Servoise, PUR, 2015, p. 15-26.
Guyonvarc’h, Christian-Jacques, Le Roux, Françoise, Les Druides, Rennes, Ouest-France, 4e édition, 1986.
Hamaide, Éléonore, « Cabotage et navigation à bord de quelques arches de Noé en littérature de jeunesse », Cahiers Robinson, n° 34 : Présences animales dans les mondes de l’enfance, octobre 2013, p. 67-80.
Henky, Danièle, L'Empreinte de la Bible : récritures contemporaines de mythes bibliques en littérature de jeunesse, Berne, Peter Lang, 2014.
Jouët, Philippe, Dictionnaire de la mythologie et de la religion celtiques, Fouesnant, éditions Yoran Embanner, 2012.
Laroque, Lydie, Le Mythe de Jonas dans la littérature contemporaine : des adaptations pour la jeunesse aux réécritures les plus novatrices, thèse de doctorat soutenue à Paris 10, sous la direction de Sylvie Parizet, 2010.
Laroque, Lydie, « Le mythe de Jonas dans l'édition contemporaine pour la jeunesse », Cahiers Robinson, n°31 : La Collection « page blanche », 2012.
Laroque, Lydie, « Pinocchio et ses réécritures littéraires ou l’approbation du mythe de Jonas par la littérature de jeunesse », Les Personnages mythiques dans la littérature de jeunesse, sous la direction de Nathalie Prince et Sylvie Servoise, Rennes, PUR, 2015, p. 79-88.
Léonard-Roques, Véronique (dir.), Figures mythiques, fabrique et métamorphoses, sous la direction de, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008.
Mercier-Faivre, Anne-Marie et Perrin, Dominique (dir.), Métamorphoses en culture d'enfance et d'adolescence questions de genres, Presses universitaires de Bordeaux, 2019.
Olivier, Isabelle, « Sur les ailes de l’oiseau : de la mythologie celtique à la littérature arthurienne », D’ailes et d’oiseaux au Moyen Âge. Langue, littérature et histoire des sciences, dir. Claude Thomasset, Paris, Champion, « Sciences, techniques et civilisations du Moyen Âge à l’aube des Lumières », 2016, p. 37-75.
Olivier, Isabelle, « Des avatars du Graal et de la quête du Graal dans Harry Potter et la fantasy néo-médiévale pour la jeunesse », revue Médiévales 57 : « Le Graal : genèse, évolution et avenir d’un mythe » sous la direction de Danielle Buschinger et alii, Amiens, Presses du Centre d’Études médiévales de Picardie, 2014, p. 256-265.
Prince, Nathalie et Servoise, Sylvie (dir.), Les Personnages mythiques dans la littérature de jeunesse, Rennes, PUR, 2015
Schaeffer, Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Seuil, 1999
Sellier, Philippe, « Qu’est-ce qu’un mythe littéraire », Littérature, 55, 1984, p. 112-126 (reproduit dans Essais sur l’imaginaire classique, Paris, Champion, 2005).
Walter, Philippe, Mythologie chrétienne. Fêtes, rites et mythes du Moyen Age, 2e édition, Imago, 2003.