Revue Nerval, n° 9, 2025
Appel à contributions
Alors que le numéro 8 de la Revue Nerval est remis à l’éditeur et paraîtra au mois d’avril 2024 aux éditions Classiques Garnier, la rédaction lance, pour le numéro 9, un nouvel appel à contributions.
Comme les années précédentes, cet appel comprend deux volets : – l’un pour les Varia accueillant toutes recherches en cours sur Nerval, – l’autre en vue du dossier thématique, qui portera cette année sur Les Chimères (voir le texte programmatique ci-dessous).
Les propositions d’articles, pour les Varia comme pour le dossier thématique, doivent nous parvenir avant le 1er avril 2024, sous la forme d’un résumé de 1000 signes environ, assorti d’une courte biobibliographie. Pour les propositions retenues, les articles eux-mêmes doivent nous être remis, sous forme de fichiers électroniques, au plus tard au 1er septembre 2024. Le numéro 9 de la Revue Nerval paraîtra en avril 2025.
Dossier thématique :
Les Chimères de Nerval : Nouvelles lectures
(dir. Jean-Nicolas Illouz et Henri Scepi)
Un regard sur la bibliographie consacrée aux Chimères donne une idée assez claire des principales mutations qu’a connues la critique nervalienne au cours des années récentes :
– Le geste philologique a été refondu dans une approche génétique plus ample, attentive plutôt au dévoilement progressif des sonnets, de la première crise de folie en 1841, au premier ensemble constitué dans la section « Mysticisme » des Petits châteaux de Bohême, puis à la publication en 1854 du recueil des Filles du feu, lequel annexe in extremis la série des douze sonnets, tout en maintenant dans l’ombre quelques-unes de ces « Autres Chimères » que conservent les manuscrits de 1841. Dans le dialogue avec les principes de l’esthétique romantique, chacun de ces groupements provisoires apparaît comme le « fragment », en lui-même autonome et complet, d’un Tout visé qui se dérobe, jamais complètement réalisé.
– La mythocritique, qui avait d’abord permis l’élucidation de bien des sources de la mythographie nervalienne, a été réintégrée, de plus en plus organiquement, à la poétique même des Chimères, en faisant de la chimère mythologique le mode de composition de la forme poétique, procédant elle aussi par assemblage d’éléments hétéroclites. Il en a résulté l’idée d’une poétique « carnavalesque », qui recompose des matériaux intertextuels disparates, selon une diction aux modulations elles-mêmes protéiformes.
– La question de l’énonciation lyrique a été réexaminée à la lumière d’une oscillation tonale fondamentalement ambiguë : ainsi, au feu de l’inspiration sacrée, qui semble conférer aux Chimères l’efficace magique des anciens carmina, répond le contrepoint ironique que leur apporte la prose de la Préface aux Filles du feu, avec, en son sein, le jeu pathétique du comédien raté qu’est Brisacier ; de même, le versant « sublime » des vers, que la rêverie élémentaire de Nerval associe à l’Air, se double d’un versant « grotesque », qui relie l’énonciation aux profondeurs souterraines de la Terre ; de même encore, le lyrisme personnel, infiniment subjectif, qu’assume et diffuse le « Je » initial au premier mot du premier vers du premier poème de la série de 1854 (« Je suis le Ténébreux […] »), se résout dans le lyrisme impersonnel des « Vers dorés », qui referment le recueil tout entier sur une sagesse panthéiste portée par une énonciation anonyme.
– Quant à l’imagination « supernaturaliste », invoquée comme caution poétique et mystique dans la Préface aux Filles du Feu, elle a conduit la critique à replonger toujours plus concrètement Les Chimères de Nerval dans les valeurs propres du Romantisme allemand, que Nerval fait ressurgir au seuil de la modernité et dans la conscience de l’écart : à la « folie », qu’on lui « cloue au visage », le poète tente une dernière fois d’opposer cette plus fervente « raison » qui, avec Novalis, faisait de « la fantastique » la science à venir d’une connaissance poétique du monde, et qui, chez les frères Schlegel, exhaussait la poésie à la puissance supérieure d’une « poésie de la poésie », potentialisée et exposée, réflexive, ironique et consciente d’elle-même.
– Les vibrations internes des sonnets n’ont cessé de s’amplifier au-dehors, comme si elles s’élargissaient en cercles concentriques, au fil de la réception des poèmes, dans des temps et des espaces, ou proches ou lointains : ainsi la lignée initiale Hugo-Nerval-Baudelaire, qui recèle encore bien des pistes à explorer, s’est élargie à la lignée des surréalistes ; elle s’est déployée d’Antonin Artaud à Yves Bonnefoy ; elle a donné matière aux écrivains de l’Oulipo sensibles à la logique combinatoire qui préside à l’engendrement des sonnets. Le travail de la traduction, et de la recréation, a contribué à augmenter plus encore ces résonances, dans la littérature européenne (vers Leopardi par exemple, à la faveur d’une traduction parue dans la Revue Nerval), ou au-delà, avec par exemple la traduction des Chimères en japonais, qui relie Nerval au poète Yasuo Irizawa, aussi bien qu’au poète Gozo Yoshimazu, grâce à l’activité traductrice, et à la force de décentrement, de la revue Po&sie, tournée vers l’extrême contemporain.
Pour ce nouveau dossier de la Revue Nerval sur Les Chimères, il s’agira d’approfondir chacun de ces sillons critiques, dont la fécondité est loin d’être épuisée, jusqu’à ce qu’apparaissent en cours de route de nouvelles pistes, des chemins transversaux ou des lignes de fuite.
– Du fait de la densité caractéristique de l’écriture nervalienne, on pourra proposer des « microlectures » se concentrant sur un seul sonnet des Chimères mais aussi des Autres Chimères, ces dernières, moins étudiées, nous semblant appeler une attention nouvelle.
– On pourra s’intéresser aux concaténations qui relient les sonnets entre eux, formant une laisse poétique d’un nouveau genre, selon des réseaux plus complexes. On réfléchira ainsi à « l’ordonnance du livre de vers », qui porte un enjeu poétique essentiel chez Nerval, comme chez Baudelaire ou Mallarmé.
– On n’oubliera pas les questions relatives à la forme-sonnet, héritage renaissant revenu d’Italie, que Nerval met au service d’une inspiration visionnaire empruntée à l’Allemagne ; on n’oubliera pas non plus les questions relatives à la métrique, s’il est vrai que Les Chimères font revenir l’Alexandrin dans une sorte d’éclat originaire, qui contraste en outre avec la prose des Filles du feu ; on n’oubliera pas également les questions relatives à la généricité de ces poèmes, dans la mesure où ceux-ci mêlent les genres épique, lyrique et dramatique, conformément au programme romantique, mais d’une manière très concentrée propre à Nerval seul.
– On inventera, au sens étymologique d’inventio qui signifie aussi « découverte », des intertextualités secrètes : par leurs motivations complexes, elles augmenteront plus encore les échos des Chimères dans la poésie médiévale, dans la poésie de la Renaissance baroque, ou dans la poésie du Romantisme allemand. On fera le pari que c’est dans ces ramifications intertextuelles qu’opère, comme par en-dessous, la signifiance de ces textes, et que se délie le secret qu’ils encryptent.
Nous espérons ainsi ouvrir toujours davantage l’horizon du sens, non en vue d’« expliquer » les Chimères, mais en faisant en sorte que l’interprétation elle-même augmente leur mystère, – si du moins grâce nous est donnée de lire avec « un cœur intelligent ».
Jean-Nicolas Illouz & Henri Scepi
Indications bibliographiques
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