À l’heure où les discours de la droite politique tentent de renforcer les valeurs traditionnelles pour préserver le pouvoir sur le modèle ancien de la famille, qui dicte autant l’hétéronormativité que l’usage des capitaux voire de certaines lois, il apparaît important de l’extraire de l’illusion de nature dans laquelle elle est maintenue. Pensée comme une fatalité, elle peut tenir lieu de cage – de laquelle on espère s’évader.
Durant la pandémie de Covid-19, la résurgence de la figure du bon père de famille en la personne de François Legault qui gouvernait par décret a fait parcourir dans la société artistique et intellectuelle le frisson qu’une domination « pour notre bien » peut toujours ressusciter, rappelant dans le même mouvement combien le règne long des patriarches laisse des traces dans les mémoires et pratiques culturelles. Dans cette perspective, la mise en commun de lectures critiques d’œuvres littéraires qui risquent – ou pas – la remodélisation de la famille s’avère pertinente pour réfléchir aux outils que ces dernières offrent pour résister à l’omerta recouvrant souvent les tyrannies, grandes ou petites, qu’elles soient exercées par le père, la mère ou de quelqu’autre figure familiale.
On l’a dite morte (Cooper), on a considéré qu’elle pouvait nous rendre fou/folle (Laing). En littérature, plusieurs l’ont maudite, conspuée, rejetée, d’André Gide à Marie-Pier Lafontaine en passant par des auteurices aussi divers·es que Claire Martin, Marie Cardinal, Dorothy Allison, Michaël Delisle et Maël Maréchal. Néanmoins, elle demeure un microcosme obligé, le berceau où se tisse l’appartenance à une communauté, où les rapports affectifs et émotionnels tiennent lieu de dispositifs qui façonnent les subjectivités. Ces liens intersubjectifs sont tantôt mortifères, tantôt émancipateurs – d’une libération timide ou fracassante. Et même si, en littérature, elle est souvent dépeinte comme lieu de douleur, elle reste fantasmatiquement lieu de chaleur et de douceur. On peut difficilement s’en tirer tant elle s’impose partout, jusque dans l’entreprenariat, qui n’hésite pas à se qualifier de « grande famille » auprès de ses employé·es, pendant que les gestionnaires se vantent d’agir en « bons pères de famille ». Ailleurs, dans les communautés queers, on dira que le groupe auquel on appartient est une « famille choisie ». Comment expliquer cette propension à vouloir recréer une structure que l’on a peut-être quittée parce qu’elle ne laissait pas de place pour sa voix? Quelle est cette foi qui nous fait avoir envie d’embrasser à nouveau cette entité qui abrite pourtant tant de secrets « honteux », de manipulations, et qui, se définissant par sa fermeture, impose l’omerta? Comment, dans les œuvres littéraires contemporaines, dessine-t-on la famille? Alors qu’elle se présente aujourd’hui sous diverses configurations, en principe plus ouvertes, et qu’elle se dit souvent « choisie », lui arrive-t-il encore de rendre ses membres fous? La figure du père tyrannique est-elle toujours visible dans la littérature contemporaine? Quelles figures monstrueuses de mères hantent les récits? Qu’en est-il des frères et des sœurs : inspirent-iels rivalité ou complicité? Enfin, quelle(s) politique(s), quelle(s) poétique(s) la famille fait-elle émerger sur la scène contemporaine?
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Les propositions de communication, d’une longueur de 300 mots, accompagnées d’une courte notice biobibliographique seront envoyées à isabelle.boisclair@usherbrooke.ca et melanie.landreville@usherbrooke.ca avant le 12 février.
Idéalement seront présentés, de façon synthétique, les éléments suivants : problématique, objectif, approche théorique, méthodologie et corpus.