Tempêtes, représentations formelles et mentales
En janvier 2006, un colloque international s’est tenu à l’université de Paris III, autour des thèmes : climat, orages et tempêtes. Il s’agissait pour les intervenants d’étudier les définitions de « l’évènement climatique du XVIIe au XVIIIe siècle » et d’en relever les impacts sur la création littéraire et artistique. Il peut y avoir recoupement entre ce colloque et celui que le présent argument annonce mais alors ce recoupement serait moindre. Il ne s’agit pas pour nous d’étudier le changement climatique planétaire bien que la tempête soit au départ un « évènement climatique et astrologique ».
Notre exploration porte sur « La » tempête en tant que fait culturel et historique, et, de concert, sur la figuration formelle des représentations mentales. Dans l’art et la littérature, précisément, elle est figure formelle.
Les colorations conjoncturelles, historiques et culturelles de cette figure n’en saturent pas l’essence spirituelle. Nous sommes en effet en présence d’une question ou d’un thème qui traverse l’histoire, les langues et les cultures. Les représentations peuvent varier mais il est une donnée essentielle de la tempête qui persiste : elle est basculement d’un ordre préalable vers un éventuel chaos, crise géophysique et métaphysique. Il y a des voyages qui reconstituent le trajet d’une quête spirituelle ou d’une méditation. À l’origine, vengeance de Dieu ou des Dieux, elle devient une possibilité, cycliquement vérifiée du monde. Il y a des voyages qui ont pour scène la conscience ou l’intériorité. Signe de la cruelle nature (extérieure), elle glisse et fait glisser les représentations vers l’intériorité psychique du moi ou de l’autre (la tempête passionnelle romantique par exemple, est une expérience intime).
Tempête psychique. Dans la nouvelle, Le Horla par exemple, Guy de Maupassant décrit une tempête de l’âme : la montée des ombres fait trembler jusqu’au délire son personnage, assailli de bouffées délirantes. Il perd le sens du réel et se noie dans ses remous intérieurs. Cette tempête littéraire semble décrire une crise paranoïaque.
Il y a une expérience spatiale de la tempête. Il y a des voyages qui sont la spatialisation d’un temps qui passe. Nous devons aux relations de voyages, tantôt fictifs, tantôt réels, la consécration de cette expérience. Les récits de voyage, en vogue au cours des XVIe-XVIIIe siècles instituent cette expérience en topos littéraire. C’est d’ailleurs, entre autres grâce à ces innombrables récits, que nous devons l’intérêt théorique et narratologique accordé à la thématique du voyage et ses suites, dont la tempête. Cela ne doit pas étonner. Au cours de ces deux siècles, particulièrement effervescents, voyager constitue une exigence. Partir à la découverte de nouvelles contrées devient quasiment un mot d’ordre. Il faut de ces voyages pour assurer à l’esprit une sorte de régénération. L’aspect géographique est partiel quand nous concevons les approfondissements philosophiques, éthiques et esthétiques actualisés à l’occasion de chaque voyage.
Tempête interculturelle. Usbek l’enseigne dans Les lettres persanes : « Nous sommes nés dans un royaume florissant ; mais nous n’avons pas cru que ses bornes fussent celles de nos connaissances, et que la lumière orientale dût seule nous éclairer. »
L’Autre que cible le voyageur et qui sert de destination dans d’innombrables voyages est une structure complexe. Il y a une confrontation fascinante à l’Autre. Cela relève, semble-t-il, de l’anthropologie. La littérature a incontestablement le mérite d’en vivifier l’urgence et d’en éclairer les aspects mais cette tentation n’est pas l’apanage de la seule littérature. Tous les arts / L’art et la philosophie la révèlent aussi. Quand on s’interroge sur l’Autre (aux manifestations infinies), quand on va vers l’Autre, le passage et le transit s’avèrent périlleux.
La tempête, dans ce cas prévisible, marque le danger inhérent au déplacement. Il n’y a pas de voyage heureux parce qu’il n’est pas de voyage sans crise. Quant on sème nourrit/ féconde l’Autre, on récolte la tempête, or se lier à l’Autre peut s’exprimer de différentes manières. A chacun son Autre, à chacun sa tempête. Mais il n’est pas d’élévation, d’agrandissement sans l’autre, sans l’Autre. La crise en puissance, embellit.
Tempête créative. L’engendrement du texte ou de l’œuvre artistique n’est pas sans des tourments assimilables à une tempête. A chaque voyage sa tempête mais il semble que cette expérience concoure activement à la constitution du sujet humain. Il faut peut-être confronter les innombrables tempêtes pour apprécier la richesse de cette expérience et pour prendre conscience des possibles théoriques et poétiques qu’elle fournit.
Il y a d’autre part, des représentations formelles de la tempête. Les récits, les descriptions et les œuvres picturales en font un moment privilégié de la création littéraire et artistique. C’est là, semble-t-il, une image survivante, inépuisable quand on considère la quantité de romans, de poèmes et de tableaux qui l’explorent et l’exploitent. Les textes fondateurs, sacrés religieux, sacrés révélés (abrahamiques par exemple) et sacrés séculiers ou textes profanes, font de la tempête un moment incontournable. La littérature, bien que majoritairement profane, répercute interminablement ce moment. Shakespeare, Molière, Marivaux, Defoe, Bernardin de Saint-Pierre, Voltaire, Sade, Hugo, Chateaubriand, Baudelaire et d’autres fournissent une matière assez abondante autour de cette question. La tempête a aussi inspiré des peintres, tel Turner, qui y auraient vu l’occasion de représenter le sublime. La quantité d’émotions que la tempête suscite ainsi que la manifestation d’une superbe énergie cosmique dont elle sert d’exemplification/ dont elle est l’illustration, ne pouvaient échapper aux yeux guetteurs de quelques peintres qui ont parfaitement donné à voir la tempête. En témoigne le commentaire de Diderot.
Qu’il s’agisse de l’expérience ou de sa représentation, « la tempête » constitue un sujet inépuisable, est toujours objet d’études et d’interrogations. Organiser un colloque international autour de ce thème permettra de prendre conscience de la richesse à la fois philosophique et poétique qu’elle renferme. Il serait souhaitable de multiplier les angles de vue, en interrogeant des textes et œuvres assez variés, venus de cultures différentes et de siècles différents, pour mesurer, en fin de parcours, l’étendue de ses possibles.
Axes :
1) Les tempêtes dans l’art et la littérature, celles du dedans et celles du dehors. Entre deux, seuils, limites, difficiles passages.
2) Les tempêtes des philosophes, les gestations de l’esprit et les tourments de la quête.
3) Les orages du discours, point de vue des linguistes et des pragmaticiens.
Le colloque aura lieu du 25 au 27 avril 2024 à l’Institut Supérieur des Etudes Appliquées en Humanités de Tozeur (Université de Gafsa - Tunisie). Les propositions de communication (une page maximum, accompagnée d’une brève note bio-bliographique) doivent être envoyées avant le 20 février 2024 à l’adresse suivante : bensaadnizou@yahoo.fr
Comité scientifique :
Nizar Ben Saad (Université de Sousse)
Laure Lévêque (Université de Toulon)
Ibtissem Bouslama (Université de Sousse)
Jalel El Gharbi (Université de la Mannouba)
Badreddine Ben Henda (Université de Tunis)
Samir Marzouki (Université de la Mannouba)
Mokhtar Farhat (Université de Gafsa)
Comité d’organisation
Moufida Aliou (ISEAH Tozeur)
Mohamed Amine Jaballah
Khaled Brahmi (ISEAH Tozeur)
Aida Bouhani (FLSHS)
Wael Tabbabi (ISEAH Tozeur)
Arwa Ouannes (FLSHS)
Ines Khalaf (ISEAH Tozeur)
Saida Boukamcha
Seif Rabhi (ISEAH Tozeur)
Salah Hmida.