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Le temps de l'art : mémoires intertextuelles et déconstruction des clichés (Strasbourg)

Le temps de l'art : mémoires intertextuelles et déconstruction des clichés (Strasbourg)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Nathalie Bittinger)

Appel à contribution pour une Journée d’études interdisciplinaire organisée par

Nathalie Bittinger et Geneviève Jolly le jeudi 6 juin 2024 à l’Université de Strasbourg.

Laboratoire ACCRA, Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques (EA3402),

CREAA, Centre de recherche et d'expérimentation, Université de Strasbourg.

Pour définir les axes de cette Journée d’études, on partira du fait que le temps qui intéresse le domaine des arts n’est évidemment pas celui de la météorologie, ou l’« État de l'atmosphère caractérisé par l'élément senti comme dominant en un lieu et à un moment donnés[1] », mais qu’il renvoie de multiples manières à un « Milieu indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses, […] caractérisé par sa double nature, à la fois continuité et succession », c’est-à-dire pouvant être relié à « une durée » plus ou moins mesurable, à « une succession » ou à une « essence ».

Il s’agit plus précisément d’interroger la manière dont certaines topiques se voient déconstruites ou, au contraire, revivifiées par des jeux formels tels la citation, le pastiche, le collage, le montage, l’épurement, la saturation, etc., lesquels fonctionnent quelle que soit la forme artistique choisie. Ainsi, le Britannique Peter Blake et son Homage to Schwitters – Mickey (2005) offrent un assemblage de matériaux hétéroclites de différentes époques, et une citation – ou pastiche – de l’œuvre du réalisateur Walt Disney (U.S.A.) comme de celle du plasticien Kurt Schwitters (Allemagne). De son côté, le tableau plus ancien de Francis Bacon (Angleterre), Étude d’après le portrait du pape Innocent X par Vélasquez (1953), constitue un exemple assumé de pastiche ou de réécriture d’un portrait espagnol datant du XVIIe siècle.

Concernant cette fois la Sinfonia[2] (1968) du compositeur italien Luciano Berio, Anne Roubet rappelle que, dans le troisième mouvement, celui-ci « met en scène […] [une] perspective historique à travers le feuilleté de la mémoire : il superpose en effet au scherzo de la Deuxième Symphonie de Mahler[3] une multitude de citations d’autres compositeurs, [allant] de Bach à Stockhausen, [et] qui sonnent comme autant de commentaires et d’amplifications de la source musicale principale[4] ». Un spectacle peut aussi offrir un « mille-feuille » temporel, c’est-à-dire convoquer ou faire coexister en même temps, sur scène, différentes périodes de l’histoire. On peut citer Nathan !? du metteur en scène allemand Nicolas Stemann, qui associe plusieurs textes et plusieurs temporalités : Nathan le sage (1779) de Gotthold Ephraïm Lessing – texte du XVIIIe siècle évoquant les croisades du XIIe siècle –, et deux textes contemporains d’Elfriede Jelinek (Autriche) : Crassier (2009) et Bataclan (2016).

Si l’on prend maintenant des œuvres reposant sur la lenteur ou l’étirement temporel, on pensera à la manière dont la durée hors-norme d’une projection, d’un spectacle chorégraphique, circassien ou théâtral, d’un concert ou d’une performance convoque de manière singulière la mémoire intertextuelle du public. Sur la question, on peut songer aux apports fondateurs de quatre penseurs du XXe siècle : Roland Barthes, Gérard Genette, Mikhaïl Bakhtine et Julia Kristeva. La dilatation temporelle porte, en effet, en elle une réinterprétation des invariants, des topoï et des « unités culturelles », au sens défini par Umberto Eco dans Le Signe. Histoire et analyse d’un concept (Le Livre de Poche, 1992).Car si ceux-ci structurent en partie l’acte artistique, ils sont étirés, voire décomposés.

C’est ce que produisent les 7 h 30 mn du film Le Tango de Satan (1994) du Hongrois Bela Tarr[5], dans une patiente et inédite représentation de l’ère post-communiste, composée de plans-séquences pouvant durer près de 10 mn. C’est également vrai pour les « monuments » que constituent, d’une part le texte français du Soulier de satin (1929) de Paul Claudel[6], et d’autre part la mise en scène d’Antoine Vitez durant une nuit d’été (12 h), dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, au Festival d’Avignon de 1987.

Diverses procédures artistiques mettent encore en jeu des lieux communs faisant appel à « toute la mémoire du monde » – celle d’œuvres ou de motifs antérieurs –, mais aussi à la mémoire subjective propre au spectateur, à l’observateur ou à l’auditeur. Par le jeu entre « différence et répétition » (Gilles Deleuze), ou par « la proximité entre la répétition et la mémoire » (Giorgio Agamben), l’articulation de l’universel et du particulier se trouve ainsi décentrée et réinterprétée. Aux chercheur.e.s de les débusquer et de les analyser.

Les propositions d’intervention (10 000 signes) sont à envoyer pour le 15 février 2024 à :

Nathalie Bittinger (nbittinger@unistra.fr) et Geneviève Jolly (genevieve.jolly@unistra.fr)


[1] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, « Temps », https://www.cnrtl.fr/definition/temps. Ibid. pour les citations suivantes. 
[2] La Sinfonia de Luciano Berio a été conçue, en 1968, pour huit solistes (soprano, alto, ténor et basse) et orchestre.
[3] La Symphonie n° 2 en ut mineur ou « Résurrection » de Gustav Mahler a été composée entre 1888 et 1894.
[4] Anne Roubet, « Dossier : Sinfonia de Berio », « Emprunts et citations », site de la Cité de la Musique - Philharmonie de Paris, http://www.citedelamusique.fr/francais/evenements/citation.aspx.

[5] Bela Tarr explore « la désolation au travers de plans longs, extrêmement soignés, dans un noir et blanc détaillé, qui lie les éléments par ses différentes profondeurs de noir », site Silence action !, « Sátántangó », http://www.silence-action.com/2020/09/test-blu-ray-satantango/.
[6] Le Soulier de satin ou Le pire n'est pas toujours sûr. Action espagnole en quatre journées située au Siècle d’Or des conquistadors, pendant vingt ans, entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. La pièce a été créée, pour partie, par Jean-Louis Barrault, à la Comédie-Française en 1943, puis intégralement au Théâtre d'Orsay en 1980, mais encore par Antoine Vitez en 1987, et par Olivier Py en 2003.

Pistes bibliographiques :
 
- AGAMBEN Giorgio, Image et Mémoire. Écrits sur l’image, la danse et le cinéma, Desclée de Brouwer, 2004.
- BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique de la création verbale, Gallimard, 1984.
- BANOUN Bernard, « Brecht et la musique au théâtre. Entre théorie, pratique et métaphores », Études germaniques, n° 63, 2008.

- BARTHES Roland, Le Degré zéro de l’écriture (1953), Seuil, 1972.

- BLEEK Tobias, « Quelques réflexions sur l’intertextualité dans la musique de György Kurtág », in GRABOCZ M., OLIVE J.-P. (dir.), Gestes, fragments, timbres : la musique de György Kurtág, L’Harmattan, 2008. 

- CECCHETTO Céline, Chanson et Intertextualité, Presses Universitaires de Bordeaux, 2012, https://books.openedition.org/pub/19926.
- CORRE Christian, Citation et Intertextualité dans les musiques récentes, thèse dirigée par D. Charles, Paris 8, 1988.
- DE BIASI Pierre-Marc, « Théorie de l’intertextualité », Encyclopædia Universalis, 1989, www.pierre-marc-debiasi.com/textes_pdf/2369.pdf.
- DELEUZE Gilles, Différence et Répétition, Presses Universitaires de France, 2000.

- EIGENMANN Eric, « Alchimie de la scène et précipitation des temps (à propos de Forêts de Wajdi Mouawad) », in GRONEBERG M. (dir.), Penser la scène, n° 1, 2018.

- GENETTE Gérard, Palimpsestes, Seuil, 1982.

- GRACYK Theodore, « “Ils écoutent avec les yeux” : sur quelques problèmes de l'intertextualité radicale », Volume !, n° 1, 2013, https://doi-org.scd-rproxy.u-strasbg.fr/10.4000/volume.3724.

- KRISTEVA Julia, Pulsions du temps, Fayard, 2013.
- La Part de l’Œil, n° 30, dossiers « Arts plastiques / cinéma » et « Mikhaïl Bakhtine et les arts », 2016-17.
- MICHEL Pierre, « Restaurer, sauvegarder, s’exprimer autrement… », in SCHNEBEL D. (dir.), Musique visible. Essais sur la musique, Contrechamps, 2019.

- MICHEL Pierre, « Les goûts, les oreilles, et le temps qui passe… », Dissonance / Dissonanz #92, 2005.

- MONTÉGU Frédéric, « Les peintres, stratèges du temps », Fabula / colloques en ligne : L’Art, machine à voyager dans le temps, http://www.fabula.org/colloques/document4714.php.
- SAMOYAULT Tiphaine, L’Intertextualité, mémoire de la littérature (2e éd.), Armand Colin, 2005.
- ŠIMIĆ Snježana, « La photographie comme machine temporelle », Fabula / colloques en ligne : L’Art, machine à voyager dans le temps, http://www.fabula.org/colloques/document4700.php.
- STAWIARSKI Marcin, « Intertextualité, intermédialité et interculturalité dans l’œuvre de John McLeod : l’exemple de Lieder der Jugend », Textes & Contextes, n° 15, 2020.
- STEVANCE Sophie, « Reprise et intertextualité musicale. L’hommage à La Bolduc par des compositrices engagées vers l’avant », Volume !, n° 7, 2010.
- STOCKHAUSEN Karlheinz, « Comment le temps passe », Essais sur la musique, Contrechamps, 2017.
- TOUBOUL Patricia, « Ce que l’art fait à la mémoire : le renouvellement éthique de l’appropriation du temps humain », Nouvelle revue d’esthétique, n° 18, 2016, https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2016-2-page-103.htm.