Lire et étudier (avec) la Bible en langue française.
École, université, formation des enseignantes et des enseignants.
Metz, Université de Lorraine, du jeudi 20 au samedi 22 mars 2025
Date de tombée : 1er juillet 2024
La place de la Bible dans l’enseignement du français et de la littérature est complexe. À l’heure actuelle [automne 2023], des textes bibliques – plus spécifiquement, « un extrait long de la Genèse » – figurent au programme de français de la classe de 6e. C’est le seul item des programmes de l’enseignement secondaire public français qui demande une lecture effective d’un texte reçu comme sacré par les traditions monothéistes, que vise à compléter la recommandation, tournée vers d’autres textes sacrés et profanes, de lire « des extraits significatifs de plusieurs des grands récits de création d’autres cultures, choisis de manière à pouvoir opérer des comparaisons ». La Bible et le Coran sont en outre évoqués indirectement dans une perspective historique dans les programmes d’histoire. L’histoire des arts, la littérature, la philosophie mettent constamment les élèves en contact avec des références religieuses qui ne sauraient être comprises sans une référence aux textes bibliques.
Or les élèves, mais également les enseignantes et enseignants, sont bien souvent démuni·e·s devant des références qui échappent largement à des personnes vivant dans des sociétés en grande partie sécularisées, où la Bible n’est plus un objet de lecture courante, et où même sa fréquentation ne va pas sans susciter certaines craintes, du fait notamment d’une mauvaise compréhension du principe de laïcité. Se pose en effet en creux d’emblée le problème de l’historicisation de la Bible : l’étudier dans le cadre de l’école ou de l’université laïque en requiert une lecture critique, postulant une origine et une transmission humaine des textes. Dans la mesure où la Bible reste, dans ses divers canons et ses diverses versions, un texte sacré pour le judaïsme et le christianisme, est-elle un objet didactique comme les autres, en particulier comme les textes dits fondateurs de l’antiquité ?
Nous constatons ici un manque de ressources : si l’approche des faits religieux a donné lieu à de nombreuses réflexions et colloques, et produit des ressources pédagogiques par exemple disponibles en ligne sur le site de l’IREL-EPHE, la lecture et l’étude des textes bibliques dans le cadre du cours de français et de littérature a donné lieu à un nombre de travaux restreints, et n’a notamment pas ou peu posé la question spécifique de la médiation des traductions dans la lecture des textes bibliques et des textes littéraires qui s’y réfèrent. La Bible est couramment posée comme un objet invariable, faisant abstraction aussi bien de la pluralité des canons que de la diversité des traductions, diversité confessionnelle mais également formelle, dans les partis-pris de traduction.
L’étude de la Bible à l’université, dans les cursus de Lettres, trouve sa place essentiellement via l’étude des intertextes bibliques dans la littérature, notamment dans les cours de littérature française et comparée focalisés sur les questions de réception et de réécriture. Ces cours visent en général non tant à construire une connaissance du corpus biblique, qu’à illustrer sa grande productivité dans la littérature occidentale. Au contraire de ce que l’on observe aux États-Unis où les cours de Bible as literature fleurissent, les approches littéraires ne s’intéressent pas tant à la Bible comme corpus littéraire ancien que comme référence à connaître pour appréhender l’histoire littéraire et plus généralement l’histoire des arts. Se pose dès lors la question de la finalité des cours introduisant des textes bibliques : visent-ils à une meilleure intelligence de la littérature profane dans ses liens aux sources bibliques ? ou sont-ils (peut-être simultanément) l’occasion d’une introduction au corpus biblique bien souvent méconnu des étudiantes et étudiants ? Si l’on considère les débouchés des étudiantes et étudiants en lettres, qui sont nombreux à se présenter aux concours de l’enseignement primaire et secondaire, il ne peut échapper aux concepteurs des cours universitaires qu’ils contribuent à la formation des enseignantes et enseignants de demain, celles et ceux-là même qui assurent l’approche des faits religieux dans le cadre des programmes évoqués plus haut.
La conception même des nouvelles épreuves du CAPES peut être le lieu d’une interrogation à la fois sur l’enseignement de la Bible à l’école et à l’université, et sur l’articulation de cet enseignement aux valeurs de la République. La nouveauté principale du nouveau concours réside dans l’épreuve d’entretien visant à évaluer la capacité des candidates et candidats à réagir à deux « mises en situation professionnelle », en « s’appropri[ant] les valeurs de la République, dont la laïcité, et les exigences du service public (droits et obligations du fonctionnaire dont la neutralité, lutte contre les discriminations et stéréotypes, promotion de l'égalité, notamment entre les filles et les garçons, etc.) ». Une réflexion sur le positionnement des candidates et candidats sur l’approche des faits religieux peut être attendue et doit être anticipée.
Le but du présent colloque est de réfléchir, dans une perspective à la fois réflexive, comparatiste, et de construction d’outils didactiques, aux enjeux de la lecture et de l’étude des textes bibliques dans le cadre des cours de français et de lettres, et à la prise en charge des intertextes bibliques dans les textes littéraires.
Ce colloque a pour cadre le programme IUF « lire, étudier et écrire avec la Bible en traduction » porté par Claire Placial (membre junior de l’IUF, promotion 2021) qui comprend également un colloque sur la postérité de la « Bible nouvelle traduction » (Bayard/Médiaspaul, 2001) qui a vu la collaboration d’écrivains et d’exégètes pour chaque livre biblique.
Le colloque aura lieu du 20 au 22 mars 2025, à Metz. Il s’appuie sur la spécificité du centre de recherches Écritures, qui allie des recherches en littérature française et étrangère, en philosophie, en arts et en théologie ; le département de théologie de l’université de Lorraine est par ailleurs le premier en France à avoir introduit une licence de théologies, au pluriel, déconfessionalisée.
Au cœur de la démarche du colloque se situe la volonté de travailler en synergie :
· avec des universitaires spécialistes des interactions entre Bible et littérature et/ou de la Bible à l’école ; avec des spécialistes de didactique ;
· avec des acteurs de l’enseignement secondaire : formateurs et formatrices des INSPE, inspection, enseignantes et enseignants de terrain ;
· avec des universitaires francophones hors de France, amenant une perspective comparative (Belgique, Québec, Suisse)
Les productions concrètes de ce colloque envisagées sont les suivantes :
· publication des actes, si possible en ligne afin qu’ils puissent entrer dans les ressources auxquelles se réfèrent souvent les enseignantes et enseignants au moment de la préparation des cours
· éventuellement, en parallèle, publication de certains textes dans une revue en ligne en garantissant l’accessibilité large (envisager un numéro spécial de la revue Théorèmes)
· enrichissement des ressources pédagogiques (sur le site de l’IREL ou ailleurs : brochures informatives, documentation scolaire…)
· création de formations à destination des enseignantes et enseignants du secondaire
Sa perspective est résolument transdisciplinaire, même si le point de départ reste l’enseignement littéraire. Les communications peuvent s’inscrire aussi bien dans une perspective littéraire, de didactique de la littérature, de didactique des faits religieux, de sciences des religions, d’histoire de l’éducation, sans exclusive. Des perspectives réflexives sur les pratiques d’enseignement de et avec la Bible, des perspectives comparatives confrontant les pratiques en France et dans d’autres pays de la francophonie sont encouragées.
Les axes de travail pourront être les suivants :
· les retours d’expérience et des enquêtes de terrain : enseigner la Bible dans le cadre du cours de français et de littérature, à l’école et à l’université
· utilité de la lecture de la Bible. Pourquoi inclure des extraits de la Bible en cours de 6e, en plus de l’étude du fait religieux et de la laïcité essentiellement en histoire et EMC ? Quel recours au texte biblique dans les cours de littérature des autres classes du collège, au lycée et à l’université ? Y a-t-il une pertinence d’un enseignement centré sur la Bible dans les cursus littéraires universitaires ?
· la spécificité de lectures d’extraits bibliques dans un cadre scolaire et universitaire laïc. Une lecture confessionnelle étant exclue dans un contexte laïc, les textes reçus comme sacrés sont lus avant tout pour leur importance littéraire culturelle. Partant de là, quelles sont les méthodes de lectures employées ? En fait-on une lecture littéraire au même titre que des textes profanes ? Déploie-t-on sur les textes bibliques – lus en traduction – une étude grammaticale, en particulier au collège ?
· enjeux et limite d’une lecture patrimoniale (d’extraits) de la Bible dans le but de comprendre les intertextes bibliques chez les auteurs et autrices du canon littéraire scolaire ; a contrario, existe-t-il des stratégies d’évitement de certains auteurs, de certains passages, du fait de leur dimension biblique ou religieuse ?
· quelle Bible pour l’étude littéraire ? Il est évident que ce n’est pas la Bible intégrale que lisent les élèves et étudiantes et étudiants, mais des extraits. Quels passages sont choisis ? Quelle représentation cela construit-il du texte biblique ? Cela a-t-il des répercussions sur la nature des exercices et applications proposées en classe ? (par exemple l’étude de la narration ou des temps des verbes, tributaire de l’étude de la Genèse, texte narratif) Fait-on recours en cours de français aux versions de la Bible pour enfant ou jeune public ?
· le rapport entre Bible et mythe. La prépondérance de la Genèse ne permet-elle pas une réduction de la Bible à une lecture mythique ? Quel statut pour le Nouveau Testament ? pour les textes poétiques de la Bible hébraïque ?
· la question de la diversité littéraire des textes bibliques. La Bible n’est pas un corpus homogène : sa diversité (en termes de genres littéraires, d’époques de rédaction, de langues sources…) est-elle prise en compte, et si oui, comment ?
· la médiation des traductions dans l’étude scolaire et universitaire des textes bibliques : quelles traductions choisir ? Comment penser leur rôle ? Des élèves et étudiantes et étudiants francophones lisent nécessairement la Bible dans une traduction française : cette médiation des traductions est-elle pensée par les concepteurs et conceptrices des programmes et des manuels, par les enseignantes et les enseignants ? Quelles traductions sont choisies, pour quelles raisons ?
· les résistances et oppositions à l’étude de textes bibliques : conceptions étroites de la laïcité s’opposant à l’étude du religieux à l’école ; à l’inverses résistance des groupes religieux à une laïcisation de la Bible ; méfiance envers le risque de « catéchisme » à l’école…
· quels outils pour les enseignantes et enseignants de français et de littérature ? Réflexion sur la formation des enseignantes et des enseignants.
· la place des textes bibliques dans l’enseignement francophone notamment belge, suisse et québécois. L’enseignement public et confessionnel conventionné belge et québécois donne au fait religieux une place bien différente : d’une part des cours confessionnels s’intègrent, de façon plus ou moins optionnelle, dans les programmes nationaux ; d’autre part ces enseignements ne sont pas intégrés aux heures de français et d’histoire mais font l’objet d’un enseignement spécifique. Quelle place y occupe l’étude de la Bible ? Quelles méthodes de lectures sont adoptées ? Les lectures faites dans un cadre confessionnel sont-elles intrinsèquement différentes des lectures effectuées dans un cadre laïc ?
Les propositions de communications, comprenant un titre, un résumé du projet de communication, et une brève bio-bibliographie de la ou des personnes qui les soumettent, devront parvenir avant le 10 mai 2024 aux deux adresses suivantes :
Claire Placial claire.placial@univ-lorraine.fr
Magalie Myoupo magalie.myoupo@univ-lorraine.fr
Comité d’organisation
Claire Placial [pilotage] – Université de Lorraine, Institut universitaire de France
Magalie Myoupo – Université de Lorraine, responsable du parcours MEEF 2nd degré de Lettres
Comité scientifique
Claire Placial [pilotage] – Université de Lorraine, Institut universitaire de France
Laurent Husson – Université de Lorraine, INSPE Lorraine
Magalie Myoupo – Université de Lorraine, responsable du parcours MEEF 2nd degré de Lettres
Isabelle Saint-Martin – EPHE-PSL
Alain Brunn – Inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche