Inalco - Institut des langues et civilisations orientales, Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE, EA 4513)
Université de Lorraine, Centre de recherche sur les médiations (Crem, UR3476)
Université de Tchernivtsi (Ukraine)
Inalco (Paris), 26 février 2024
Colloque international
Raconter et dire le Holodomor. Quand la littérature fait histoire
Les témoignages littéraires sur la Grande famine ukrainienne, le Holodomor, sont à nos jours si nombreux qu’ils constituent une catégorie générique en elle-même. À ses débuts, la littérature du Holodomor s’est formée, schématiquement et topologiquement parlant, en deux volets : d’une part, des témoignages littéraires produits et/ou publiés en Ukraine soviétique, et, d’autre part, des témoignages diffusés hors de l’urss (dans la littérature de la diaspora). Ainsi le traitement du Holodomor a-t-il débuté dans la littérature ukrainienne dans les années 1920-1930, période caractérisée par une activité littéraire et artistique intense et riche de la part de la génération dénommée « la Renaissance fusillée ».
En même temps, les œuvres prototypiques de cette catégorie générique, à savoir, Mariya d’Oulas Samtchouk et Le Prince jaune de Vassyl Barka (toutes les deux traduites en français), ont été écrites et diffusées en dehors de l’Ukraine soviétique. Après l’indépendance de l’Ukraine, la littérature du Holodomor a connu un réel essor ; en effet, d’une part, on édite un grand nombre d’œuvres qui avaient été « écrites pour leur tiroir », vu la censure régnant à leur époque sur un tel sujet, par des auteur·trices ukrainien·nes, et, d’autre part, de nouveaux textes qui traitent de ce génocide ne cessent pas de paraître jusqu’à nos jours (par exemple, L’Age des fourmis rouges de T. Piankova, Kyïv, Nach format, 2022). Le Holodomor est devenu aussi un sujet à part entière d’ouvrages littéraires écrits et parus hors de l’Ukraine (Cf. Les Cahiers ukrainiens [mémoires du temps de l'URSS] d’Igort, Futuropolis, 2010, en français).
Objectifs du colloque
La section ukrainienne de l’Inalco a consacré à ces thématiques deux colloques, à savoir « La Grande Famine – Holodomor : Connaissance et reconnaissance » (2016) et « Holodomor : Les Témoins. La Grande famine en Ukraine 1932-1933 » (2018). Ce troisième volet de ce projet scientifique a pour objectif d’étudier la « littérature du Holodomor ». Il s’agira, donc, non seulement d’analyser quelles formes (stylistiques, génériques, thymiques, figurales…) que peut prendre cette littérature, mais aussi de s’interroger sur la capacité qu’elle a de narrer l’inénarrable, d’imaginer l’inimaginable, tout en restant « fidèle » à l’événement qu’a été le Holodomor. Fidélité non seulement au sens de respect de la vérité historique, mais aussi au sens qu’Alain Badiou donne à ce terme qu’il conçoit comme une « procédure » par laquelle est sollicité un événement, en le reconnaissant et en agissant de telle sorte que les conséquences de cet événement deviennent aussi des événements. On peut estimer, en effet, que le « réel » visé par la littérature se situe non seulement dans ses références – son amont – mais aussi dans ses effets – son aval.
Le colloque entre en résonance avec les préoccupations de Catherine Coquio, spécialiste de l’étude des formes littéraires de la violence historique, quand elle conseille d’effectuer un « recentrage philologique sur les textes », en tenant compte « de la complexité réelle des textes, et, lorsqu’il s’agit des témoignages, de la diversité des modes d’écriture et procédés de littérarisation » (Coquio C., 2007, p. 180).
On s’interrogera aussi sur les délimitations et les fondements des corpus littéraires sollicités. On pourra ainsi analyser comment des éléments testimoniaux, extraits de leurs contextes géographique, historique et linguistique, prennent une dimension et une valeur autres dans un contexte nouveau, comment ils sont herméneutiquement interprétés et communicationnellement inter-prêtés.
De ce fait, la problématique de ce colloque s’articule autour de plusieurs axes, dont il s’agira d’interroger la pertinence et la portée :
Œuvre littéraire comme témoignage sur le Holodomor
· Fonctions et portées testimoniales et mémorielles de la littérature ;
· Apports testimoniaux des œuvres prototypiques et périphériques de la catégorie générique « littérature du Holodomor » ;
· Statut testimonial des auteurs et qualité discursive et de diction (G. Genette, 1991) de leurs témoignages littéraires.
Littérarisation du Holodomor
· Modes d’écriture et procédés de littérarisation d’une catastrophe ;
· Diversité des formes littéraires des témoignages sur la famine (poésie, roman, récit, théâtre, roman graphique, etc.) ;
· Dispositifs poétologiques du récit des témoins empêchés, interdits de parole
Réception des témoignages littéraires sur le Holodomor
· Modalités des réceptions d’un témoignage littéraire sur une catastrophe ;
· Statut épistémologique de la production/traduction/réception des témoignages littéraires sur le Holodomor ;
· Traduction et violence : la (non)réception de la « littérature du Holodomor ».
Littérature du Holodomor comme espace d’élucidation et de libération
· Temporalité et témoignage littéraires ;
· Interprétation des témoignages littéraires sur le Holodomor ;
· « Réparer les vivants » : fonction thérapeutique d’un témoignage littéraire sur une catastrophe.
Langues des communications : français, ukrainien (avec traduction)
Adresser aux responsables du colloque avant le 7 décembre 2023 un résumé de 4000 à 5000 signes (indiquer dans quel axe thématique du colloque s’inscrit le sujet de la communication), accompagné d’une bio-bibliographie et des coordonnées du participant·e. Les propositions seront examinées par un comité scientifique.
Le comité scientifique communiquera sa décision avant le 30 décembre 2023. Les communications donneront lieu à une publication.
Propositions de communication à adresser par courriel auх directrices du projet :
Iryna Dmytrychyn : irina.bonin@inalco.fr
Galyna Dranenko : galyna.dranenko@univ-lorraine.fr
Comité d’organisation
Iryna Dmytrychyn, Maîtresse de conférences, responsable de la section ukrainienne à l’Institut des langues et civilisations orientales, Paris
Galyna Dranenko, Maîtresse de conférences, HDR, directrice du Département de philologie romane et de traduction à l'Université Nationale de Tchernivtsi (Ukraine), membre temporaire du CREM à l'Université de Lorraine (programme Pause)
Comité scientifique
Aurélie Barjonet, maître de conférences en littérature comparée, directrice adjointe du Centre d’Histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines
Béatrice Fleury, professeure en sciences de l'information et de la communication, Centre de recherche en sur les médiations (CREM), directrice de l'École doctorale Humanités Nouvelles - Fernand Braudel, Université de Lorraine
Catherine Coquio, professeure en littérature comparée, Centre d’Études et de Recherches Interdisciplinaires en Lettres, Arts et Cinéma (CERILAC), Université Paris Cité
Iryna Dmytrychyn, maîtresse de conférences, responsable de la section ukrainienne à l’Institut des langues et civilisations orientales, Paris
Galyna Dranenko, maîtresse de conférences, HDR, directrice du Département de philologie romane et de traduction à l'Université Nationale de Tchernivtsi (Ukraine), membre temporaire du CREM à l'Université de Lorraine (programme Pause)
Françoise Lavocat, professeure en littérature comparée et en théorie littéraire Centre d’Études et de Recherches Comparatistes (CERC), Université Sorbonne-Nouvelle
Angeliki Monnier, professeure en sciences de l'information et de la communication, directrice du Centre de recherche en sur les médiations (CREM), Université de Lorraine
Delphine Rumeau, professeure en littérature comparée, Litt&Arts, Université de Grenoble-Alpes
Constantin Sigov, professeur en philosophie, directeur du Centre européen de recherches en Sciences humaines, Université nationale « Académie Mohyla de Kyïv », directeur de la maison d'édition « Duh i litera » (Ukraine)
Jacques Walter, professeur des Universités émérite, Centre de recherche sur les médiations (CREM), Université de Lorraine
Bibliographie indicative :
1. Barka V., 1963, Le Prince jaune, traduit de l'ukrainien par Olga Jaworskyj, Paris, Gallimard, 1981.
2. Conquest R., 1986, Sanglantes moissons. La grande terreur, traduit de l’anglais par Marie‑Alyx Revellat et Claude Seban, Paris, Robert Laffont, 1995.
3. Coquio C. (éd.), 1999, Parler des camps, penser les génocides, Paris, Bibliothèque Albin Michel Idées.
4. Coquio C., 2003, « L'émergence d'une « littérature » de non-écrivains : les témoignages de catastrophes historiques », Revue d'histoire littéraire de la France, Vol. 103, p. 343-363.
5. Coquio C., 2007, « Littérature et catastrophes historiques : point de vue sur la recherche française », p. 173-183, dans Tomiche A., Zieger K. (dirs), La recherche en littérature générale et comparée en France, Presses universitaires de Valenciennes, p. 173-183.
6. Coquio C., 2015, La littérature en suspens. Écritures de la Shoah : le témoignage et les œuvres, Paris, L’Arachnéen.
7. Coquio C., 2015, Le mal de vérité. Ou l’utopie de la mémoire, Paris, Armand Colin, « Le temps des idées ».
8. Dmytrychyn I., Werth N., Graziosi A., Courtois S., Koultchytsky S., Serbyn R., 2017, La Grande Famine en Ukraine - Holodomor, Actes du colloque à l'INALCO, Éditions L'Harmattan.
9. Dmytrychyn I., 2017, Le voyage de Monsieur Herriot, Paris, L’Harmattan.
10. Dolot M., 1987, Les Affamés. L'holocauste masqué Ukraine 1929‑1933, Paris, Ramsay.
11. Dranenko G., 2015, « Autour du Prince jaune de Vassyl Barka : variations hypertextuelles et modélisations axiologiques », dans Fleury B., Walter J. (dir.), Carrières de témoins de conflits contemporains (3). Les témoins consacrés, les témoins oubliés, Nancy, Éditions universitaires de Lorraine, p. 171-193.
12. Dranenko G., 2014, « Le Holodomor dans les œuvres des écrivains de la Renaissance fusillée : déqualification, oubli et palingénésie du témoin », dans Fleury B., Walter J. (dir.), Carrières de témoins de conflits contemporains (2). Les témoins consacrés, les témoins oubliés, Nancy, Éditions universitaires de Lorraine, p. 207-236.
13. Dranenko G., 2013, « Holodomor en régime littéraire : de la répétition à l’itérativité », dans Fleury B., Walter J. (dir.), Carrières de témoins de conflits contemporains (1). Les témoins itératifs, Nancy, Éditions universitaires de Lorraine, p. 101-128.
14. Collectif, 1978, Ethnocide des Ukrainiens en URSS, Paris, PIUF.
15. Graziosi A., 2013, Lettres de Kharkov. La famine en Ukraine (1932-1933), Lausanne, Noir sur Blanc.
16. La famine en 1933, ce que la presse en disait. 1933‑1983. 50e anniversaire de la famine-génocide en Ukraine, 1983, Paris, Club des amis de l'Ukraine.
17. Lavocat, F., 2016, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, « Poétique ».
18. Levitski A., 1993, « La famine ukrainienne dans les publications françaises », La Tribune ukrainienne, n° 14-15, décembre 1993 – janvier 1994, p. 22‑23.
19. Nora P., 2011, « Histoire et roman : où passent les frontières ? », Le Débat. L’Histoire saisie par la fiction, 165, mai-août 2011, p. 6-12.
20. Ozouf M., 2011, « Récit des romanciers, récit des historiens », Le Débat. L’Histoire saisie par la fiction, 165, mai-août 2011, p. 13-25.
21. Raconte la vie heureuse..., Souvenirs d'une survivante de la Grande Famine en Ukraine d'Anastassia Lyssyvets, Paris, L’Harmattan, 2009.
22. Phay S., Bayard P.(dir.), 2013, Cambodge, le génocide effacé ?, Paris, Éditions Cécile Defaut.
23. Pliouchtch L., 1981, « Le génocide ukrainien », Le Monde, du 20 mai 1981.
24. Pliouchtch L., 1994, « L’année trente-noire», trad. de l’ukrainien par M. Malanchuk et A. Osnowycz, L’Intranquille, 2-3, p. 383-437.
25. Ricœur P., 2000, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Seuil.
26. Samtchouk Ou., 1934, Mariya, Paris, Éd. du Sablier, 1955.
27. Sémelin J., 2005, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Éd. du Seuil.
28. Thévenin É., 2008, Ces famines qui ont bouleversé notre monde, du XIXe siècle à nos jours, Tours, cld.
29. Werth N., 2007, La terreur et le désarroi. Staline et son système, Paris, Perrin.
30. Woisard L., 1994, « La notion de crime de génocide, à partir de la famine de 1932‑1933, en Ukraine », L’Intranquille, n° 2‑3, p. 441‑538.