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Senghor et la promotion de la négritude (ENS Paris & en ligne)

Senghor et la promotion de la négritude (ENS Paris & en ligne)

Publié le par Marc Escola (Source : Edoardo Cagnan)

Journée d’étude

AIELCEF / ITEM / UCAD

« Senghor et la promotion de la négritude »

Format hybride : en ligne / Paris, ENS-Ulm

Samedi 21 septembre 2024 

Qu’il y ait eu un mouvement de la négritude et que celui-ci ait été fondé à Paris au début des années 1930 autour des personnalités de Césaire, Senghor et Damas apparaît comme un acquis pour l’histoire littéraire et l’histoire des idées. Néanmoins, si l’on se penche sur les textes, les revues, les archives et les réseaux intellectuels, les origines et les confins de ce mouvement s’avèrent quelque peu flous. Il semblerait même que cette idée, somme toute, unitaire du mouvement de la négritude soit le produit d’une construction discursive et institutionnelle rétrospective. Cette journée d’étude — qui se déroulera avec un format hybride, en ligne et en présence (à l’ENS-Ulm de Paris) — souhaite examiner la manière dont Senghor, poète, président et théoricien, au cœur du champ politique et du champ littéraire, a su jouer un rôle crucial dans cette promotion de la négritude.

Déjà en 1984, Edward O. Ako, dans un article publié dans Research in African Literatures, remet drastiquement en question le récit communément admis de l’émergence de la négritude : il affirme que les historiens de la littérature, en l’absence de preuves à avancer pour soutenir leurs propos, se seraient adonnés à la fiction plutôt qu’à la reconstitution des faits. Il reproche ainsi vigoureusement à Lilyan Kesteloot d’avoir fait de L’Étudiant noir le journal du mouvement, et ce sans l’avoir jamais consulté. Selon lui, puisqu’il est vrai que la grande majorité des mouvements littéraires se sont constitués autour de périodiques qui ont fédéré les auteurs et diffusé les idées du groupe, Kesteloot a promu ce journal estudiantin à cette fonction, inventant ainsi la genèse de la négritude. Ako va jusqu’à douter de l’existence du mouvement littéraire pendant l’entre-deux-guerres, relevant notamment que ni Léopold Sédar Senghor ni Léon-Gontran Damas ne présentaient leurs anthologies de l’Après-guerre comme illustratrices de ce mouvement.

Sans enlever le mérite de la passeuse de la littérature africaine et pionnière des études francophones, on peut reconnaître que le doute instillé par Ako est fécond. En effet, la négritude ne s’est jamais dotée d’une organisation formelle, contrairement à d’autres mouvements « noirs » en France comme la Ligue de défense de la race nègre (Dewitte 1985, Edwards 2003) ou les diverses organisations panafricaines du monde anglophone (Boukari-Yabara 2017, Adi 2022). Gary Wilder la qualifie plutôt de « cohorte » (Wilder 2005 : 151) et insiste sur la nature informelle des relations entre les différents membres. Selon Wilder, ce n’est qu’après la guerre que la négritude « est passée d’un projet culturel peu organisé à un mouvement quasi-institutionnel soutenu par des livres largement lus, la revue Présence Africaine et des congrès internationaux » (Wilder 2005 : 298). Cependant, il ne précise pas qui sont les auteurs qui représenteraient le mouvement, tout en laissant entendre que Présence Africaine était le nouvel organe de la négritude et que les congrès organisés grâce à Alioune Diop étaient des manifestations culturelles du mouvement. Cela revient à ranger sous cette étiquette les diverses manières de se penser et d’agir comme « Africain » ou « Noir » qui étaient présentes dans le réseau d’intellectuels fédéré par Diop. Comment expliquer cette tendance générale à subsumer sous le concept de négritude les réflexions en langue française au sujet de « la condition noire » (Ndiaye 2008) et les défenses et célébrations de l’« originalité africaine » (Diop 1947) ?

Il s’agit dans cette journée d’étude de s’interroger sur ce succès de la négritude et de se pencher, plus particulièrement, sur le rôle joué par Senghor dans la promotion de ce label. Plusieurs pistes sont proposées, de manière non exclusive :

1.     À partir de la figure de Lilyan Kesteloot, revisiter l’histoire littéraire communément admise, encore aujourd’hui, dans les études francophones en examinant notamment les archives de cette chercheuse conservées à la bibliothèque centrale de l’UCAD. Nous renseignent-elles sur la fabrication de sa reconstitution de la négritude ? Pouvons-nous y retrouver les textes de ses informateurs ? Contiennent-elles, par exemple, les lettres de Senghor dont Kesteloot fait mention dans son texte ?

2.     La Fondation Senghor de Dakar a par exemple soutenu la publication d’ouvrages comme Le Rythme dans la poésie de Léopold Sédar Senghor de Renée Tillot et Léopold Sédar Senghor ou la Poésie du royaume d’enfance de Geneviève Lebaud. Quel est le rôle que cette fondation, en appuyant la diffusion de travaux scientifiques, a joué dans la promotion d’une certaine vision de la négritude ? Que nous apprennent les archives de cette fondation ?

3.     Senghor est docteur honoris causa de trente-sept universités et récipiendaire de nombreux prix littéraires. À partir du corpus des allocutions prononcées à l’occasion de la réception de ces titres et prix, est-il possible de mettre en évidence la manière dont Senghor a promu sa vision de la négritude au sein des instances de légitimation académique et littéraire ?

4.     En 1974, Senghor inaugure la chaire des études francophones de l’Université Paris-Sorbonne. À partir de sa correspondance, pouvons-nous découvrir si Senghor est impliqué dans la création de cette chaire et plus généralement dans la promotion de l’étude de la littérature francophone en France ? 

5.     L’ouvrage de Claire Ducournau (2017) La Fabrique des classiques africains a décrit les mécanismes de réception et de consécration des écrivains francophones d’Afrique subsaharienne, en étudiant des maisons d’édition et des prix littéraires qui ont participé à la valorisation de la littérature francophone africaine. Une plongée dans les archives du Seuil, éditeur de Senghor, peut-elle nous en apprendre davantage sur sa part active dans la promotion de son œuvre et de sa pensée ?

6.     En prolongation des travaux d’André-Patient-Bokiba (2006), l’étude des préfaces écrites par Senghor pourrait nous renseigner sur la manière dont, promouvant de nouveaux talents, le poète-président les inscrit dans le sillage de la négritude. De manière plus générale, étudier le rapport entretenu par Senghor avec les générations d’intellectuels qui le suivent se révélera certainement fécond.

7.     Senghor a prononcé les discours inauguraux du « Colloque sur l’art nègre » organisé dans le cadre du Festival mondial des arts nègres de 1966 et du « Colloque sur la négritude » tenu à Dakar en 1971. Quel a été le rôle joué par ces colloques dans la promotion de la négritude ?

Direction scientifique

Sébastien Heiniger pour le groupe Senghor (ITEM-CNRS/ENS et UCAD)

Comité d’organisation

Edoardo Cagnan (ENS-BnF)

Claire Riffard (ITEM)

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Calendrier prévisionnel

24 février : envoi des propositions de communication (500 mots max.), suivies d’une brève notice bio-bibliographique aux adresses suivantes :

claire.riffard@cnrs.fr et edoardo.cagnan@ens.psl.eu

15 mars : acceptation des propositions

2 septembre 2024 : envoi de la première version orale de la communication

21 septembre 2024 : déroulement de la journée d’étude avec un format hybride, en ligne et à l’ENS-Ulm (Paris).

31 janvier 2025 : réception des articles issus des communications

1er semestre 2026 : publication des actes dans la revue électronique Recherches Francophones (AIELCEF, U. McGill) : https://recherchesfrancophones.library.mcgill.ca/

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Ouvrages mentionnés

ADI, Hakim, Histoire du panafricanisme, Paris, Présence Africaine, 2022.

AKO, Edward O, « “L’Etudiant Noir”’ and the Myth of the Genesis of the Negritude Movement », Research in African Literatures, vol. 15, no. 3, 1984, pp. 341–53. 

BOKIBA, André-Patient, Le paratexte dans la littérature africaine francophone, Paris, L’Harmattan, 2006.

BOUKARI-YABARA, Amzat, Africa Unite !Une histoire du panafricanisme, Paris, La Découverte, 2017.

DEWITTE, Philippe, Les mouvements nègres en France 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1985.

DIOP, Alioune, « Niam n’goura : ou les raisons d’être de Présence Africaine », Présence Africaine, no. 1, 1947, pp. 7–14. 

DUCOURNAU, Claire, La fabrique des classiques africains. Écrivains d’Afrique subsaharienne francophone, Paris, CNRS Éditions, 2017.

EDWARDS, Brent Hayes, The Practice of Diaspora: Literature, Translation, and the Rise of Black Internationalism, Cambridge, Harvard University Press, 2003.

KESTELOOT, Lilyan, Les Écrivains noirs de langue française : naissance d'une littérature, Bruxelles, Institut de Sociologie de Université Libre de Bruxelles, 1963. 

NDIAYE, Pap, La Condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008.

WILDER, Gary, The French Imperial Nation-State, Négritude and Colonial Humanism between the Two World Wars, Chicago-London, The University of Chicago Press, 2005.