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Regards autochtones sur le passé colonial français (Collège universitaire Glendon, Toronto)

Regards autochtones sur le passé colonial français (Collège universitaire Glendon, Toronto)

Publié le par Marc Escola (Source : Marie-Christine Pioffet)

Appel à communications 

« Regards autochtones sur le passé colonial français »

Journée d’étude

organisée par Marie-Christine Pioffet et Matthieu Tardif 

Musée canadien des langues (Collège universitaire Glendon), Toronto

22 mars 2024

Au sujet du passé de la nation wendate, Georges E. Sioui déplore le préjudice subi par son peuple en raison de la perspective dominatrice et souvent infantilisante des Européens : « Nous avons l’impression que le fait que notre histoire a d’abord été racontée par des non-Autochtones nous a nui par le passé et continue de nous nuire, ainsi qu’à nos terres[1] ». On pourrait sans crainte d’erreur étendre ce jugement à tous les peuples premiers de l’espace américain. En vérité, les nations indigènes du continent, trop souvent perçues comme orphelines de l’histoire parce que dépossédées des ressources de l’écriture pour transmettre leur point de vue, sont souvent dévalorisées par les chroniqueurs français. Gilles Bibeau note à juste titre que « le discours que les Européens ont tenu sur l’Autochtone d’Amérique ne concernait ce dernier qu’indirectement : l’image que les Français dessinaient de lui visait non pas à le décrire tel quel, mais plutôt à susciter l’intérêt des rois, armateurs, marchands et bienfaiteurs des missions[2] ». Aussi, les écrits du corpus de la Nouvelle-France, s’ils contiennent des renseignements précieux sur les mœurs locales, peuvent susciter des doutes légitimes sur l’objectivité de certaines descriptions, à plus forte raison dès lors qu’il est question des traditions et des croyances indigènes, contraires aux valeurs européennes.

Devant les partis pris et les silences de l’histoire traditionnelle, le but de la journée d’étude envisagée est d’interroger de manière critique le corpus issu de la colonisation française en Amérique afin de déceler le point de vue indigène qui transparaît à l’occasion dans le discours rapporté par les voyageurs, mais aussi dans les désignations et les surnoms que les Autochtones donnent communément aux Français dans leur langue. À en croire le dominicain Raymond Breton, les Kalínagos appellent tantôt les Européens « Etoútou noubi », c’est-à-dire « ennemis contrefaits » à cause « de [leurs] habits [qui] ne sont pas ni si justes, ni si naturels que les leurs[3] » tantôt « Oüacálla » soit « Aigrette blanche[4] » en raison de la couleur des vêtements qu’ils portent : « ils [leur] donnent [c]e nom […], parce qu’ils sont peut-être toujours en caleçon et en chemise[5] ». Sans être aussi moqueurs, les Innus, qui virent les premiers navigateurs arriver sur les côtes de leurs terres, les appellent « ouemichtigouchiou, c’est à dire un homme qui travaille en bois, ou qui est en un canot ou vaisseau de bois[6] ». Pour connaître les sentiments des Autochtones, le chercheur ne peut donc faire l’impasse sur les écrits de la colonisation qui font écho de toute évidence à certaines plaintes formulées par les Autochtones. Quoique ces textes doivent être examinés avec circonspection, il n’en demeure pas moins que certaines relations de voyage ou de séjour illustrent les tensions ressenties de part et d’autre ainsi que la méfiance réciproque entre les deux groupes en présence. En effet, certains passages des récits de Jean de Léry et du pasteur Charles de Rochefort, pour ne donner que deux exemples, dressent un véritable réquisitoire contre les colonisateurs, présentés respectivement comme de « grands fols » qui franchissent les mers afin d’amasser de vaines richesses et comme des usurpateurs de territoires qui ne leur appartiennent pas[7].

On ne pourra cerner le point de vue des Premières Nations face à la présence européenne sans tenir compte de la tradition orale autochtone et sans prêter l’oreille aux protestations plus récentes de ceux qui se sentent injustement privés de leurs terres et de leur héritage ancestral. Pour reprendre les mots de Louis-Karl Picard-Sioui, la littérature autochtone depuis plusieurs décennies « fait violence à l’hégémonie coloniale et à son métarécit d’épopée glorieuse[8] ». Il faut donc être attentif à leurs voix et étudier leur version des événements. Que l’on pense aux cris qu’An Antane Kapesh met dans la bouche d’un enfant pour dénoncer sans ménagement l’appropriation de sa terre par les descendants des colons français : « Tu as préféré me voler, rien que pour pouvoir t’appeler QUÉBÉCOIS[9] ». Que l’on pense à l’entreprise historiographique de G. E. Sioui, qui s’efforce de libérer la mémoire du peuple wendat des stigmates de l’emprise européenne.

Les propositions de communication, qui contiendront un titre, un résumé d’intention de 150 à 200 mots et une notice biobibliographique de 150 mots, devront parvenir aux adresses suivantes : mpioffet@yorku.ca et matthieu.tardif@umontreal.ca avant le 1er décembre 2023.


 
[1] Eatenonha : racines autochtones de la démocratie moderne, trad. Geneviève Deschamps, Québec, Presses de l’université Laval, coll. « À propos », 2021, p. 3.
[2] Les Autochtones, la part effacée du Québec, Montréal, Mémoire d’encrier, 2020, p. 18.
[3] Dictionnaire caraïbe-français, [désormais DCF], Paris, Karthala, 1999, p. 113. 
[4] DCF, p. 201.
[5] Id.
[6] Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’année 1633., dans Relations des Jésuites : contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, Montréal, Éditions du Jour, 1972, p. 9.
[7] Charles de Rochefort, Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l’Amérique, éd. Bernard Grunberg, Benoît Roux et Josiane Grunberg, Paris, L’Harmattan, 2012 [éd. de Rotterdam, 1658], t. II, p. 9.
[8] « Préface » dans Marie-Hélène Jeannotte, Jonathan Lamy et Isabelle St-Amand (dir.), Nous sommes des histoires. Réflexions sur la littérature autochtone, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, p. 5.
[9] An Antane Kapesh, Tanite nan etutamin nitassi / Qu’as-tu fait de mon pays ?, éd. Naomi Fontaine, trad. José Mailhot, Montréal, Mémoire d’encrier, 2020, p. 77.