– Appel à communication –
Journée d’étude jeunes chercheurs & chercheuses « Littératures du Sud » (APELA)
le 9 février 2024, Université de Paris III Sorbonne Nouvelle
« Résistance des réécritures dans les littératures afro-caribéennes »
Si l'œuvre littéraire naît toujours dans le bruissement de l'ensemble des textes antérieurs qui ont nourri son auteur, la pratique de la réécriture implique de revendiquer ouvertement le lien privilégié entretenu avec le corpus qui sert de base à la création. De la citation à l'adaptation, du pastiche à la parodie, la réécriture change ainsi de forme au gré de la distance que l'auteur prend par rapport à son modèle, tout autant que de l'attitude plus ou moins révérencieuse qu'il adopte à son égard. À travers ce choix complexe de la position depuis laquelle écrire, l'auteur se confronte à l'autorité des textes littéraires qu'il décide de retravailler. Comme le souligne Dominique Maingueneau dans L'Analyse du discours, la réécriture « vise moins à modifier qu'à exploiter dans un sens destructif ou légitimant le capital d'autorité attaché à certains textes. »[1] Réécrire offre dès lors l'occasion à l'auteur soit de chercher une forme de légitimité à travers la reconnaissance dont bénéficient les œuvres qu'il reprend, soit au contraire de questionner, voire de rejeter, le canon que celles-ci incarnent.
Lors de cette édition 2023-2024 de la journée d’étude jeunes chercheurs et chercheuses de l'APELA, nous aimerions inviter à réfléchir à la place de la réécriture et de l'équilibre délicat qu'elle implique entre inspiration et subversion dans le champ des littératures afro-caribéennes. Nous proposons pour ce faire d'interroger la réécriture sous l'angle de la résistance, entendue comme refus de subir les contraintes esthétiques, culturelles mais aussi historiques et politiques, imposées à soi par une autorité dominante.
En effet, la réécriture trouve un écho particulier dans des littératures afro-caribéennes qui entretiennent un rapport complexe avec le patrimoine littéraire et linguistique occidental, traversé par les tensions liées à la période coloniale. Comme le signale Michel Foucault dans le premier tome d’Histoire et sexualité, « là où il y a pouvoir, il y a résistance »[2]. Mais celle-ci n’est pas toujours évidente, ou « ouverte » pour reprendre la terminologie de James Scott[3]. Dans les littératures francophones afro-caribéennes, la résistance – qui implique par définition la présence d’une forme de domination – est fréquemment employée de manière sous-jacente, « masquée », à la fois comme moyen de revendication et stratégie de défense du dominé. En ce sens, les réécritures sont un instrument de choix, offrant à la fois le rempart d’une influence (souvent occidentale) revendiquée et les outils internes pour subvertir une tradition littéraire européenne mise en scène, proposant ainsi « une variété de stratégies en mesure de décoloniser l’esprit »[4].
Dans son ouvrage Littératures francophones et théorie postcoloniale[5], Jean-Marc Moura souligne d’ailleurs que depuis la fin de la guerre, de nombreux essais et œuvres engagés francophones paraissent appuyés par ce qu’il appelle une esthétique de la résistance. Suivant celle-ci, le patronage de la littérature européenne ne serait finalement invoqué que pour être transgressé, la création littéraire empruntant et s’arrachant à la fois aux cadres coloniaux, dans une contestation de l’ordre occidental et l’affirmation d’une identité, renforcées par une rhétorique de l’auto-détermination. Pour le critique, ceci définit l’invention d’un champ littéraire non européen et donc la nécessité pour les auteurs du refus d’accepter et de subir des contraintes et des normes qui lui sont imposées.
Nous nous proposons, lors de cette journée d’étude, d’élargir le cadre de cette réflexion à l'ensemble des littératures africaines et caribéennes, sans les limiter à l'aire francophone. À travers l'analyse des formes que peut y prendre la réécriture (réappropriation plus ou moins subversives des « classiques » des littératures occidentales, jeu sur les genres et formes littéraires, introduction de l'oralité dans l'écriture[6], inventions de poétiques singulières...), il s'agira donc de s'interroger sur la façon dont l'acte d'écrire à nouveau peut servir à écrire « en réponse à » une norme esthétique et culturelle dominante, pour reprendre l'idée de « writing back » développée par Ashcroft, Griffiths et Tiffin[7]. Une attention particulière sera aussi portée à des réécritures qui se joueraient davantage sur un plan linguistique, en retravaillant par exemple la langue d'écriture à la croisée des langues des auteurs afro-caribéens[8]. Nous accueillerons par ailleurs des communications qui s’intéresseraient à la réécriture en tant que geste fondateur de nouveaux arts poétiques[9] : les auteurs afro-caribéens expriment leur liberté créatrice non selon des normes poétiques, reposant notamment sur une définition aristotélicienne, mais selon leurs convictions propres qui dirigent leur conception de l’écriture/de la littérature.
Cependant, malgré le potentiel créatif de la réécriture mise au service de la résistance, il semble aussi nécessaire de questionner son possible caractère limitant. La notion de résistance pourrait en effet être considérée comme une norme nouvelle qui bornerait et restreindrait les auteurs postcoloniaux, nécessairement en proie à une vision européenne dominante du monde et à leur « surconscience linguistique »[10]. Réécrire, résister pourraient alors être perçus comme des obligations et des devoirs plutôt que comme des ressorts créatifs libérateurs. Dans cette perspective, nous invitons donc les participants à considérer aussi d’autres intentionnalités susceptibles de motiver le geste de réécriture dans les littératures afro-caribéennes : hommage rendu à une référence littéraire choisie, intégration au champ littéraire…
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[1] MAINGUENEAU, (Dominique), L'Analyse du Discours. Introduction aux lectures de l'archive, Paris, Hachette Supérieur, 1997.
[2] FOUCAULT (Michel), Histoire et sexualité, tome I : La volonté de savoir, Gallimard, 1994, p.125.
[3] SCOTT (James C.), Domination and the Arts of Resistance : Hidden Transcripts, Yale University Press, 1992.
[4] SAIDOU (Amina), Allégorie initiatique et stratégies de résistance féminines. Littérature et cinéma francophones en Afrique, L’Harmattan, 2022, p.142.
[5] MOURA (Jean-Marc), Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, coll. « Quadrige Manuels », 3e édition, 2019.
[6] On peut notamment penser au travail de Jean-Marie Adiaffi qui tente de réinventer les modes de production de la parole orale africaine en proposant la poétique du N’zassa. L’écriture du N’zassa se distingue aussi bien par ses caractères subversifs et militants que par sa dimension orale. Voir Adiaffi (Jean-Marie), D’éclairs et de foudres, Abidjan, CEDA, 1980.
[7] ASHCROFT (Bill), GRIFFITHS (Gareth) et TIFFIN (Helen), The empire writes back: theory and practice in post-colonial literatures, London ; New York, Routledge, coll. « New accents », 1989.
[8] On peut ici mentionner Ahmadou Kourouma pensant le français à l'aune du malinké dans Les soleils des indépendances (1968).
[9] MESCHONNIC (Henri), Pour la poétique I, Paris, Gallimard, 1970 ; Pour la poétique II. Épistémologie de l’écriture. Poétique de la traduction, Paris, Gallimard, 1973 ; Pour la poétique III. Une parole écriture, Paris, Gallimard, 1973.
[10] GAUVIN (Lise), L’écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens, Karthala, coll. « Lettres du Sud », 2009.
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La journée se tiendra le vendredi 9 février 2024 à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 (4 rue des Irlandais 75005 Paris). S'il nous tient à cœur de proposer des échanges en présentiel qui permettent de tisser des liens, les communicant.e.s ne pouvant se déplacer auront toutefois la possibilité d'intervenir en visioconférence. Un déjeuner et des collations seront offerts aux personnes présentes sur place, mais les frais de déplacement et d'hébergement ne pourront pas être pris en charge.
Nous invitons tout particulièrement les jeunes chercheurs et chercheuses qui souhaitent s’initier à la pratique de la communication scientifique à proposer une intervention : cette journée d’étude a aussi pour vocation d’offrir un cadre bienveillant à ceux et celles qui ne sont pas encore rompus à l’exercice.
Les propositions de communication, d’un maximum de 400 mots, accompagnées d'une courte notice bio-bibliographique et de la mention de vos nom, prénom et affiliation institutionnelle, sont à envoyer pour le 13 novembre 2023 aux trois adresses suivantes : ismael.kone@univ-lorraine.fr, lea.dumetier@etu.unistra.fr et marie.pernice@sorbonne-nouvelle.fr.
Merci de préciser dans votre courriel la modalité selon laquelle vous prévoyez de participer (sur place ou à distance) et d'intituler votre fichier joint selon le modèle : "NOM Prénom_Titre abrégé de la communication". Les réponses aux propositions seront envoyées à partir du 27 novembre 2023.
Organisation : Laboratoires Configurations littéraires (EA 1337, Université de Strasbourg), Écritures (EA 3943, Université de Lorraine) et THALIM (UMR 7172, Université Paris III – Sorbonne Nouvelle), sous l’égide de l’APELA.
- Léa Dumetier, Université de Strasbourg,
- Ismaël Koné, Université de Lorraine,
- Marie Pernice, Université de Paris III Sorbonne Nouvelle.
Bibliographie indicative :
ASHCROFT (Bill), GRIFFITHS (Gareth) et TIFFIN (Helen), The empire writes back: theory and practice in post-colonial literatures, London ; New York, Routledge, coll. New accents, 1989.
CHAMOISEAU (Patrick), Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 1997.
DOUAIRE-BANNY (Anne) (dir.), Oralités subversives, Rennes, PUR, coll. « Plurial », 2004, 212 pages.
ELUTHER (Ena), “La résistance aux sources de la littérature africaine du continent et des Amériques”, L’Africanité dans la littérature caribéenne, Paris, Karthala, coll. “Lettres du Sud”, 2021.
GAUVIN (Lise), L’écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens, Karthala, coll. « Lettres du Sud », 2009.
GAUVIN (Lise), VAN DEN AVENNE (Cécile), CRINUS (Véronique) & SELAO (Ching), Littératures francophones. Parodies, pastiches, réécritures, Lyon, ENS Éditions, 2013.
GENETTE (Gérard), Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, 1992.
MAINGUENEAU (Dominique), L’analyse du discours (Nouvelle édition), Paris, Hachette Supérieur, 1997.
MANGEON (Anthony) (dir.), Postures postcoloniales. Domaines africains et antillais, Paris, Karthala, coll. “Lettres du Sud”, 2012.
MESCHONNIC (Henri), Pour la poétique I, Paris, Gallimard, 1970 ; Pour la poétique II. Épistémologie de l’écriture. Poétique de la traduction, Paris, Gallimard, 1973 ; Pour la poétique III. Une parole écriture, Paris, Gallimard, 1973.
MOURA (Jean-Marc), Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, coll. « Quadrige Manuels », 3e édition, 2019.
PESSENTI ROSSI (Erik), "Réécriture(s)", ReCHERches, n°20, Presses universitaires de Strasbourg, 2018.
SAIDOU (Amina), Allégorie initiatique et stratégies de résistances féminines. Littérature et cinéma francophones en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2022.
SCOTT (James C.), Domination and the Arts of Resistance, New Haven, Yale University Press, 1992.