Sur l’avenue de la Chapelle du cimetière du Père-Lachaise s’élève l’imposant mausolée d’Adolphe Thiers. Premier président de la iiie République, il restera comme celui qui, en mai 1871, organisa la sanglante répression des communards.
Ici, le personnage de Tardi avait 20 ans en mai 1871 et, au crépuscule de sa vie, il entreprend un dernier voyage pour dire, une fois encore, sa rage intacte de communard.
Avoir 20 ans en 1871 à Paris, c’est avoir connu les terribles combats de la Semaine sanglante et ses massacres ordonnés alors par Adolphe Thiers. Hommes, femmes et enfants, plus de 15 000 périront sous les balles et les baïonnettes de la troupe du pouvoir exécutif. Sept jours, du 21 au 28 mai, qui seront nécessaires aux versaillais pour reconquérir Paris et mettre fin à la Commune.
Les combats du Père-Lachaise
Le 27 mai 1871, avant-dernier jour de l’insurrection, les communards sont acculés dans le Nord-Est de Paris et de terribles affrontements ont lieu au cimetière du Père-Lachaise. Les combats sont féroces, à l’arme blanche, au corps-à-corps entre les tombes. En fin de journée, les versaillais prennent le contrôle du Père-Lachaise et fusillent 147 fédérés contre le mur d’enceinte du cimetière qui porte aujourd’hui leur nom et deviendra le lieu emblématique de la célébration de la Commune.
On estime aujourd’hui le bilan humain de la Semaine sanglante à plus de 15 000 morts dans les rangs des fédérés, dont 12 000 fusillés, auxquels il faut ajouter un nombre inconnu de ceux qui ont été brûlés, jetés dans des puits ou dans des fosses communes. Du côté des versaillais, il y aurait eu entre 500 et 800 tués.
Le graffiti communard…
La tombe d’Adolphe Thiers est l’un des plus imposants édifices du cimetière du Père-Lachaise. En, 1971, à l’occasion du centenaire de la Commune, un attentat y fut perpétré, mais sans grande gravité pour le prétentieux monument…
Réservé aux visiteurs curieux et attentifs, un discret graffiti à l’entrée du mausolée est aujourd’hui toujours visible, ses lettres maladroites font apparaître trois mots presqu’effacés : « Vive la commune ».
Le Père-Lachaise et la Semaine sanglante chez Tardi
Tardi connaît bien le cimetière du Père-Lachaise que l’on retrouve régulièrement dans les aventures burlesques d’Adèle Blanc-Sec. Un lieu profondément ancré dans l’univers de Tardi qui l’associe à la fois aux histoires fantastiques de sa célèbre héroïne, mais aussi aux combats des communards et au souvenir de la sinistre Semaine sanglante de mai 1871.
Dans l’œuvre de Tardi, 20 ans en mai 1871 est évidemment aussi à rapprocher du Cri du peuple, adaptation en quatre tomes du roman de Jean Vautrin. Tardi vient ici ponctuer son travail de mémoire sur la Commune, rendant hommage, avec son empathie libertaire, aux jeunes fédérés d’alors dont les fantômes peuplent encore les allées du Père-Lachaise qu’il aime arpenter.
Avec ce court récit, Tardi s’attache plus particulièrement à cet endroit emblématique de Paris qu’il affectionne et qu’il visite régulièrement en voisin. Les habitués reconnaîtront sous ses traits de crayon certaines perspectives, passages et tombes, comme l’étonnant monument orné d’un impressionnant pélican.
Le trait de Tardi est sobre et toujours très enlevé, du noir et du blanc, sans niveaux de gris, tel que Frans Masereel l’affectionnait. L’humour et l’ironie pointent sous son crayon aux détours des yeux malicieux de la Mort avec son sablier qui, de page en page, égrène le temps qui passe. Quant au personnage principal, Tardi le dessine en vieillard titubant, malhabile sur le sol inégal, mais déterminé à avancer coûte que coûte vers les hauteurs du cimetière où trône l’immense tombeau d’Adolphe Thiers pour lui réserver, sous les regards goguenards des corbeaux, un dernier geste profanateur, une vengeance éternelle.
Tardi
Né à Valence dans la Drôme, Tardi est un auteur dont l’œuvre a marqué l’histoire de la bande dessinée. Lauréat du grand prix de la ville d’Angoulême en 1985, il a reçu de nombreuses récompenses à travers le monde, dont deux fois le prix Max et Moritz (Allemagne) et à deux reprises le prix Will Eisner (États-Unis). Toutefois, en 2013, Tardi refusera la Légion d’honneur. En 2021, il est récompensé par le Einhard-Preis (Allemagne) de la meilleure biographie pour Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B.
Depuis plusieurs générations, les lecteurs ont pu partager et lire, dans l’impressionnante production de Tardi, les dix tomes des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, ses adaptations des romans noirs de Léo Malet et de Jean-Patrick Manchette, son travail sur la Première et la Seconde Guerre mondiale ou encore ses illustrations des romans de Louis-Ferdinand Céline.
En 2021, il publie Élise et les Nouveaux Partisans, une bande dessinée scénarisée par Dominique Grange, qui retrace l’engagement militant d’une jeune chanteuse, depuis la Guerre d’Algérie jusqu’à la fin des années 70.
La collection 25 Images
Il s’agit de construire un court récit tel qu’il a été défini en 1918 par Frans Masereel avec son livre 25 images de la passion d’un homme, premier roman sans paroles moderne :
Un récit en 25 images ; une image par page ; en noir et blanc ; pas de texte.
L’histoire sans paroles, un principe de Frans Masereel qui a inspiré de nombreux artistes, graveurs sur bois de la première moitié du xxe siècle, comme Lynd Ward, Otto Nückel ou encore Clément Moreau (Carl Meffert) et que l’on retrouve aujourd’hui chez de nombreux créateurs de romans graphiques et auteurs de bandes dessinées.
La collection 25 Images privilégie avant tout l’aspect littéraire du récit, qui s’écrit ici comme une nouvelle de Gogol ou d’Edgard Allan Poe. Quelques pages qui peuvent être lues en 30 secondes comme en trente minutes, c’est-à-dire portées par une histoire et des images assez fortes pour supporter le récit court et la relecture. La profondeur du propos, l’émerveillement et le mystère sont autant de manières de capter le lecteur qui, dès les premières images, doit accepter de se laisser aller à s’abandonner dans l’univers que lui propose l’auteur.
Les différents volumes proposent une variété d’artistes et leurs histoires parfois intimistes, fantastiques, militantes ou à caractère social. Les techniques varient, les dessins sont réalisés à la carte à gratter (Thomas Ott), à la plume (Nina Bunjevac), au pinceau (Lucas Harari, Joe Pinelli) ou encore au stylo à plume tubulaire Rotring et au pinceau (Tardi), autant de variations techniques et stylistiques sur un même thème : 25 images en noir et blanc et sans paroles.