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Théophile Gautier et la nature (Université Sorbonne nouvelle)

Théophile Gautier et la nature (Université Sorbonne nouvelle)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Yvon Le Scanff)

Journée d’études

« Théophile Gautier et la nature »

Organisée par la Société Théophile Gautier avec le soutien du CRP19 de l’université Sorbonne Nouvelle

22 novembre 2024 

Université Sorbonne Nouvelle, Maison de la Recherche, salle Claude Simon, 4 rue des Irlandais, Paris 5e arrondissement.

 Appel à propositions

Il est sans doute peu évident ou un tant soit peu paradoxal de proposer de réfléchir autour des rapports entre « Théophile Gautier et la nature ». Rien ne semble évident à cet égard entre le voyageur arpenteur « pour qui le monde visible existe[1] » et le militant du romantisme faisant l’éloge paradoxal des « petits intérieurs » (Albertus, « Préface »). Une simple traversée de son œuvre à vol d’oiseau donne l’image saisissante de cette ambivalence. Au terme de sa carrière littéraire, là où peut-être son penchant le mène, Gautier consacre deux de ses derniers livres aux choses de la nature : Ménagerie intime (1869), consacré aux divers animaux domestiques de sa vie, en manière d’autobiographie oblique et La nature chez elle (1870) qui se présente comme un livre d’heures panthéiste aux allures de confidences intimistes. Pourtant, lors de ses débuts littéraires, la nature semble faire les frais de ses saillies excentriques, sous divers masques dont Albertus par exemple : « Un espace de quelques pieds où il fait moins froid qu’ailleurs, c’est pour lui l’univers. — Le manteau de la cheminée est son ciel ; la plaque, son horizon. Il n’a vu du monde que ce que l’on en voit par la fenêtre, et il n’a pas eu envie d’en voir davantage. » (Albertus, « Préface »). Le monde n’est donc que sa représentation : « Je n’ai pas fait un seul voyage : je n’ai vu la mer que dans les marines de Vernet ; je ne connais d’autres montagnes que Montmartre. […]. Du reste, je vous avouerai franchement que je me soucie assez peu de tout cela ; je préfère le tableau à l’objet qu’il représente » (Les Jeunes France, « Préface »). L’esprit goguenard des Jeunes France s’accommode en effet assez peu du lyrisme majuscule de la première génération romantique (Vigny, Lamartine, Hugo) et de son goût pour les grandes harmonies naturelles : « Je déteste la campagne : toujours des arbres, de la terre, du gazon ! Qu’est-ce que cela me fait ? C’est très-pittoresque, d’accord, mais c’est ennuyeux à crever. Le murmure des ruisseaux, le ramage des oiseaux, et tout l’orchestre de l’églogue et de l’idylle ne me font aucun plaisir ; je dirais volontiers, comme Deburau au rossignol Tais-toi, vilaine bête ! » (Les Jeunes France, « Préface »). Dans cette confrontation, on prend peut-être la mesure d’une différence fondamentale qui nous permet sans doute de reformuler le problème. Il semblerait que la nature soit moins l’objet d’une dépréciation que d’une évaluation : la satire dont elle est l’objet prend davantage pour cible la représentation qui en est faite. Ainsi les pochades excentriques semblent tourner en dérision une nature parfaitement embourgeoisée, une nature d’une civilisation malade en manque de nature : « Le paysage fait pour lui-même est un besoin des sociétés vieillies. Il apparaît quand l’ennui des extrêmes civilisations porte l’homme à se réfugier au sein de la nature. Il faut un certain dégoût de l’action, une certaine fatigue misanthropique pour aimer les bois, les forêts, les rochers[2]. » À la lumière de cette différence entre représentation et évaluation, la question prend la profondeur du problème à tel point que tel passage d’Albertus pourrait paradoxalement avoir toute sa place dans La nature chez elle, la clausule désinvolte en moins : « Ce sont d’abord de petits intérieurs d’un effet doux et calme, de petits paysages à la manière de Flamands, d’une touche tranquille, d’une couleur un peu étouffée, ni grandes montagnes, ni perspective à perte de vue, ni torrents, ni cataractes. — […] un ruisseau qui gazouille sous les nénuphars, un buisson avec ses baies rouges, une marguerite qui tremble sous la rosée. — […] Voilà tout ; et puis pour animer la scène, une grenouille qui saute dans les joncs, une demoiselle jouant dans un rayon de soleil, quelque lézard qui se chauffe au midi, une alouette qui s’élève d’un sillon, un merle qui siffle sous une haie, une abeille qui picore et bourdonne. » (Albertus, « Préface »).

De multiples perspectives, souvent croisées et parfois paradoxales, s’offrent ainsi à l’étude du statut de la représentation et des conceptions de la nature dans l’œuvre de Théophile Gautier (poésie, critique d’art, critique littéraire, prose fictionnelle, récits de voyage, essais, écrits journalistiques, théâtre, livrets etc.). Un intérêt évident se porte désormais vers ces questions, certes porté par les dernières évolutions de la critique (l’écocritique et l’écopoétique) et de la société (la « transition écologique »), mais aussi par la critique proprement gautiériste. Comme preuve, parmi d’autres, de ce renouvellement des questionnements autour de l’œuvre de Gautier dans son rapport complexe avec les choses de la nature, deux éditions critiques récentes de Ménagerie intime et de La Nature chez elle qui donnent des outils et des pistes d’investigation certainement très fécondes. Il s’agit d’une part du tome VIII-1 des Œuvres complètes de Théophile Gautier chez Honoré Champion, consacré exclusivement à Ménagerie intime et à La Nature chez elle (édition d’Alain Montandon et de Claudine Lacoste-Veysseyre) ; et d’autre part, de l’édition de Ménagerie intime par Paule Petitier aux éditions Des Equateurs dans la collection « Parallèles ».

Le statut de la nature

- l’artialisation : la question de l’évaluation esthétique de la nature, des rapports multiples entre l’art et la nature. C’est dans Un tour en Belgique (in Caprices et Zigzags) que l’on retrouve les formules les plus excentriques de cet autre complexe esthétique qui montre une nature à « l’air si peu naturel » : « le paysage véritable m’a paru être peint et n’être, après tout, qu’une imitation maladroite des paysages de Ruysdaël ». Plus globalement, cette problématique touche à la question du rapport entre Création et création : l’artiste est aussi un Créateur avec ses lois qui rivalise avec la nature divine sous le masque traditionnel du « lecteur du poème divin » (« En Chine », dans Caprices et Zigzags). On pourrait à ce titre parler d’une nature au second degré qui magnifie l’illusion de l’apparence plus qu’une d’une « anti-nature » (Clément Rosset) qui la dénoncerait.

- nature à vivre ou nature à voir : entre éthique (secundum naturam vivere) et esthétique (Caeli enarrant gloriam Dei), la nature à contempler ou à habiter (perspectives écocritiques). 

- la socialisation de la nature : intégration socio-historique de la nature dans la condition moderne bourgeoise et la civilisation urbaine, sa place dans l’idéologie de la bourgeoisie triomphante (perspectives socio-poétiques).

- politisation ou dépolitisation de la nature : le recours à la nature est-il le masque d’une subversion de la politique ou à l’inverse d’une démission (intimisme biedermeier) ?

La représentation de la nature

- la poésie de la nature : un recueil de motifs lyriques, allégoriques, symboliques, traditionnels (intertextualité) ou la tentation moderne d’une « poésie sentimentale » (Schiller).

- poétique et écopoétique de la nature : la naïveté, la simplicité, la sincérité, le naturel etc.

- les formes de la nature : jardins, parcs et paysages.

- la nature exotique et la nature excentrique (la nature hors d’elle) ;

Les conceptions de la nature

- la question du panthéisme ou de l’hédonisme : extase matérielle ou libertinage ?

- la valeur de la nature : à la fois pulsion vitale et menace mortifère, la nature est l’éther d’une élévation mais aussi la présence grouillante d’une abjection toujours à l’œuvre (vie dans la mort et mort dans la vie).

l’inanimé et l’animal : il y a peut-être chez Gautier une différence d’appréciation entre la nature dite inanimée et la nature vivante. La place et le statut de l’animal dans sa proximité avec l’humain posent sans aucun doute question (perspectives zoocritiques possibles).

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Modalités de soumission 

Les propositions d’article (entre 300 et 500 mots), accompagnées d’une bibliographie de l’article et d’une brève bio-bibliographie, seront à envoyer par courriel avant le 30 avril 2024 à Yvon Le Scanff : yvon.le-scanff@sorbonne-nouvelle.fr


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[1] « je suis un homme pour qui le monde visible existe » : dans la bouche de TG, Journal des Goncourt, 1er mai 1857.
[2] Théophile Gautier, Bonjour, Monsieur Corot – Ensemble des articles de 1836 à 1872, présenté et annoté par Marie-Hélène Girard, Biarritz, Séguier, « Carré d’art », 1996. Salon de 1850, p. 61.