Journée d'étude
Université Paris-Cité (2 février 2024)
L’immersion constitue une notion esthétique centrale dans la production et la réception des images, des œuvres et des contenus issus du développement des nouveaux médias. Dans un article publié sur le site web Game Developer, le game designer Greg Wilson appelle à réduire la quantité d’informations affichées à l’écran par l’interface utilisateur afin de renforcer l’immersion du joueur. Au contraire, pour Luca Breda, ces données offrent une perception augmentée pouvant amplifier son implication dans le monde virtuel. Ces deux thèses divergentes renvoient, en réalité, à deux modes distincts de rapport aux images (direct-indirect, phénoménologique-informationnel) dont la rencontre pose question. Lorsque Jay David Bolter et Richard Grusin identifient dans l’immediacy et l’hypermediacy deux pôles entre lesquels oscille l’esthétique du XXIe siècle, ils avancent que le marquage de l’interface dans l’image (hypermediacy) ne contrarie pas l’authenticité de l’expérience (immediacy) dans une époque où la médiation des technologies devient une seconde nature (Huhtamo). Sous leur plume, la distinction initiale entre ces deux logiques finit donc par être résorbée dans une image qui cherche à s’effacer en tant que telle pour se donner comme le réel même.
L’immersion – élevée en mot d’ordre de l’époque – représente ainsi pour ces auteurs comme pour d’autres l’objectif de l’histoire de la représentation dont l’évolution des techniques rend compte (perspective, automaticité, interactivité) (Tisseron). Nul doute que les nombreuses études consacrées aux possibilités immersives des nouveaux médias ont contribué à combler un manque dans le champ théorique, en replaçant au centre de l’échiquier épistémologique certains phénomènes corporels occultés par l’histoire de la pensée. Toutefois, selon Grégory Chatonsky, l’application de la notion d’immersion à la perception artificielle repose sur le présupposé erroné que la perception quotidienne serait elle-même immersive. En effet, notre expérience est aussi indirecte (langage), discontinue (mémoire) et décentrée (empathie). À charge des technologies de l’image cherchant à reproduire les conditions d’une expérience authentique que d’en rendre compte. Cette journée d’étude propose d’aborder ces phénomènes de friction dans les régimes contemporains d’image (le cinéma numérique, les jeux vidéo et la réalité virtuelle) : leurs formes redéfinissant les contours du montage par rapport à une compréhension renouvelée de la dis-continuité (friction dans l’image) ; leurs effets dans le contexte d’un rapprochement avec l’image haptique, interactive ou environnementale (friction avec l’image) ; leurs fonctions épistémologiques face à l’indétermination des régimes d’images qui résulte notamment des processus de « remédiation » généralisés (Bolter et Grusin) (friction entre images).
Pour autant, il ne s’agit pas d’appeler au retour d’une pensée de l’esthétique fondée sur la distance, le primat de l’intellect et la méfiance des sens, mais de rester attentif aux « contre-poussées émersives » (Amato) favorisant une expérience plus incertaine dans l’espace intermédiaire qui unit et sépare ces images et le sujet désirant. Dans une époque où l’intégration croissante des médias dans nos existences semble rendre caduque la distinction provisoirement établie entre un rapport direct et indirect aux choses, nous pensons que ces frictions d’images sont en mesure de rendre compte de notre présence disparate au monde.
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Bibliographie indicative :
Amato, Étienne Armand (2014). « L’immersion par le jeu vidéo : origine et pertinence d’une métaphore significative », dans Bernard Guelton (dir.), Les Figures de l’immersion, Presses universitaires de Rennes.
Bolter, Jay David et Grusin, Richard (1999). Remediation: Understanding New Media, Cambridge, Massachusetts, MIT Press.
Breda, Luca (2008). « Invisible Walls », Game Career Guide.
Chatonsky, Gregory (2013). « La triple immersion : réalité virtuelle, monde ambiant et cerveau », Actes de l'OBS/IN #2, Arles, Observatoire Image numérique.
Huhtamo, Erkki (1995). « Encapsulated Bodies in Motion: Simulators and the Quest for Total Immersion », dans Simon Penny (dir.), Critical Issues in Electronic Media, New York, SUNY Press.
Manovich, Lev (2010). Le Langage des nouveaux médias, Dijon, Les Presses du réel.
Salen, Katie et Zimmerman, Eric (2003). Rules of Play: Game Design Fundamentals, Cambridge, Massachusetts, MIT Press.
Sobchack, Vivian (1992). The Address of the Eye: A Phenomenology of Film Experience, Princeton, New Jersey, Princeton University Press.
Tisseron, Serge (2018). « Images et réalité virtuelle : continuités et ruptures », dans Mauro Carbone, Anna Caterina Dalmasso, Jacopo Bodini (dir.), Des Pouvoirs des écrans, Milan, Italie, Mimésis, coll. « Images, médiums ».
Wilson, Greg (2006). « Off With Their HUDs!: Rethinking the Heads-Up Display in Console Game Design », Game Developer.
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Modalités de soumission des propositions
Les propositions de communication devront comporter un résumé (max. 350 mots) une courte bio-bibliographie, ainsi que les coordonnées institutionnelles.
La date limite d’envoi des propositions est fixée au vendredi 15 décembre 2023 à l’adresse suivante : diego.ranz@gmail.com