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Les rites, la mort, la littérature : enjeux et figures plurielles (revue Fémur)

Les rites, la mort, la littérature : enjeux et figures plurielles (revue Fémur)

Bien que la mort soit encore un sujet tabou dans une grande partie des cultures modernes (Ariès, 1975), il apparait qu’elle constitue un motif littéraire récurrent. Sa figuration soulève divers enjeux éthiques et symboliques, ses modalités de représentation évoluent en fonction des cultures, des périodes ou encore des genres littéraires.

Si la mort est un topos récurrent de la littérature, c’est justement parce que l’écriture permet de se la réapproprier, d’approcher le vide ontologique que constitue la disparition ultime, de permettre à la mort de faire sens pour les vivants et de mieux l’appréhender. Cet appel de textes invite à penser la littérature et les arts comme des outils heuristiques favorisant la réflexion à propos des rites et rituels liés à la mort. En effet, ces derniers impliquent des symboles, des lieux, des temps ou encore des acteurs spécifiques mais traduisent également des manifestations privées ou publiques d’attitudes face à la mort.

La pandémie de Covid-19 n’est pas encore entièrement confinée à la mémoire. La plupart des populations du monde ont connu la douleur et l’égarement de ne pas pouvoir accompagner leurs mourant·e·s jusqu’au dernier seuil : les rites de la mort ont été souvent interdits pour des raisons de santé publique. Laïques ou religieux, ils aident à contourner le vide, à lui donner un sens et à faire en sorte que la vie l’emporte (Thomas, 1975). L’écriture peut toutefois intervenir dans le travail de deuil : c’est le cas de Joan Didion (L’année de la pensée magique, 2005) ou de Dominique Fortier (Quand viendra l’aube, 2022). Nécessaires pour donner une place tant aux vivant·e·s qu’aux mort·e·s, ces rites sont ainsi parfois repensés par la littérature, en rendant aux défunt.e.s une agentivité qui leur est souvent niée (Despret, 2015), car ce sont les vivant.e.s qui s’occupent des dépouilles, c’est-à-dire, du corps mort. Pourtant, toute culture considère ce corps mort comme étant important, et bâtit autour de lui des traditions culturelles, étudiées par exemple par Thomas Laqueur dans Le travail des morts. D’Antigone au Corps absent de Prosper Ventura de Xavier Orville (2002), le corps du mort continue de faire trembler les communautés.

Au théâtre, la mort n’est que peu mise en scène de l’Antiquité au XIXe siècle. Dans Phèdre, par exemple, Corneille use de la prosopopée afin de respecter la règle de bienséance en vigueur dans le théâtre classique. Si l’on ne représente pas la mort, les morts, eux, hantent la scène, qu’il s’agisse du célèbre Hamlet ou encore des fantômes de muses dans les pièces de Claude Gauvreau. C’est également le cas dans la pièce Hippolyte de Robert Garnier, dans laquelle l’ombre d’Égée annonce au spectateur le destin tragique de sa descendance dès le premier acte et se donne à entendre comme un messager de l’au-delà. La mort est aussi traitée par le genre romanesque, où là aussi, le topos se décline de manière plurielle : on pense à la mort d’Atala teintée de sublime chez Chateaubriand, à l’atrocité de la description du cadavre de Nana chez Zola ou encore au suicide tragique d’Emma Bovary. Dans le roman gothique, la mort prend d’autres traits. Les morts deviennent des figures horrifiques qui menacent les vivants. C’est le cas de Dracula (Bram Stoker), du monstre de Frankenstein (Mary Shelley) ou de certaines figures spectrales (Henry James). La peur est moins perçante dans les écrits magico-réalistes, où les morts restent dans le monde des vivants. Si le réalisme magique estonien la rend comique lorsque des démons se servent de cadavres comme de costumes dans Les Groseilles de novembre (Andrus Kivirähk), les rebelles Makandal (Alejo Carpentier) et Tituba (Maryse Condé), sont quant à eux des défunts dont la présence n’est plus perçue comme menaçante, mais, au contraire, apaisante. Il arrive également que le vivant franchisse le seuil de la mort sans mourir, comme l’ont fait Gilgamesh, Ulysse, Dante et, bien plus récemment, Ti-Jean L’Horizon (Simone Schwarz-Bart, 1979).

Les lieux de la mort constituent dans cette optique un objet intéressant. Michel Foucault présente par exemple le cimetière comme hétérotopie (Foucault, 1967), c’est-à-dire un lieu destiné aux morts, en marge des espaces destinés aux vivants. Toutefois, d’autres espaces, comme l’échafaud de Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, se situent au contraire au centre de l’espace public. Si l’une des fonctions de la sépulture est de préserver la mémoire du défunt, que dire des lieux comme la mer (Pêcheurs d’Islande, Loti) ou du champ de bataille (Aspremont) qui, par essence, condamnent les morts à l’oubli ? Dans le cas de La Femme sans sépulture d’Assia Djebar, c’est le texte lui-même qui constitue, à certains égards, une sépulture. S’inscrivant dans le genre du tombeau — un genre qui se développe dès la Renaissance et se présente sous la forme d’ouvrages collectifs permettant d’honorer les disparus — Djebar propose d’offrir le repos à Zoulikha Oudai, une résistante algérienne portée disparue. 

Certains discours, aussi littéraires, réfléchissent également aux nouveaux lieux de la mort, notamment dans le contexte où la crise climatique et la surpopulation demandent de repenser les lieux de sépulture et d’en imaginer de nouveaux (Élise Turcotte, Pourquoi faire une maison avec ses morts, 2007). Pour Anna Elsner, « [l]a réflexion littéraire sur la mort va au-delà de la souffrance individuelle puisqu’elle mêle questions sociales et sociétales » (Elsner, 2022). Il s’agit donc, dans certains cas, de mener une réflexion éthique sur la fin de vie par le biais de la littérature. En effet, en raison de l’allongement de l’espérance de vie, la mort s’inscrit désormais dans la durée. Il convient donc de s’interroger sur le regard que porte la littérature sur l’évolution du rôle de la mort et des soins palliatifs dans la société comme dans le roman La femme forêt d’Anaïs Barbeau-Lavalette. La question des nouveaux lieux de la mort, notamment celle à domicile, en milieu hospitalier, subie ou encore choisie dans le cas de l’aide médicale à mourir est un motif privilégié de la littérature du care, qui devient, pour Anna Elsner, une forme de littérature palliative. Une autre forme de réflexion éthique se manifeste également dans la littérature postcoloniale. Les voies de réflexion autour du passage entre les mondes s’y multiplient, soit cherchant des sources dans les traditions ancestrales, soit imaginant de nouvelles solutions destinées à rendre le monde plus équitable et respectueux. 

Les rites liés à la fin de vie permettent aux vivants d’accompagner symboliquement le mort dans son passage vers l’au-delà. Dans la tragédie antique, c’est principalement le chœur, accompagné par les personnages, qui assume le thrène, le chant de lamentation funèbre. Ce dernier fait partie intégrante du rite et est notamment mis en scène dans La Troade de Robert Garnier. Dans la mythologie, c’est traditionnellement la figure du psychopompe qui assure ce rôle une fois que le mort se sépare de son corps. Interviennent alors Caron, pour les Grecs et pour Dante, les Guédé pour les vaudouisants, ou encore des oiseaux dans le roman de Stephen King La part des ténèbres. Chaque culture et chaque siècle offrent des ressources contre l’égarement. 

Les morts eux-mêmes prennent également divers traits. Si la mort liée à la vieillesse est thématisée dans un grand nombre d’ouvrages dans lesquels on relate ses souvenirs à propos des défunts (David Foenkinos, Les Souvenirs, 2011), ce n’est pas le cas de la mort in-utéro (Mathilde Lemiesle, Mes presque riens, 2021) qui reste encore un point aveugle de la littérature. Or si celle-ci peut jouer un rôle éthique en libérant la parole sur certains sujets de société, qu’en est-il lorsqu’elle met en scène des personnages considérés comme monstrueux ? Au cours du XXe siècle, fantômes, revenants, morts-vivants – et parmi eux nos défunts – trouvent une nouvelle place dans la littérature. C’est par exemple le cas dans la nouvelle Dans les fourrés de Ryūnosuke Akutagawa, où le défunt reprend possession de son destin en racontant la vérité à propos de sa mort à travers la voix d’un médium. La narratrice de L’ingratitude (Ying Chen, 1995) et celle de L’ombre animale (Makenzy Orcel, 2016) sont quant à elles enfin libres dans la mort, et peuvent pour la première fois occuper la place qui leur revient. Défunts et défuntes renoncent enfin à leur parure monstrueuse et cherchent à élargir la sphère du vivant.

Ce numéro propose donc de réfléchir aux différentes formes que peuvent prendre la mort en littérature. Nous proposons plusieurs axes (non exhaustifs) de réflexion :

Les rites et rituels mortuaires 

-Rituels religieux

-Les thrènes tragiques

-La communauté réunie autour du défunt

-Les soins palliatifs 

Les lieux de la mort en littérature

-Les cimetières

-La mort en milieu hospitalier

-La mort à domicile

-L’aide médicale à mourir 

-Le tombeau littéraire

Les figures et les acteurs de la mort

-La fin de vie

-Mort in-utéro

-Psychopompes

-Figures de non-vivants (morts-vivants, fantômes, vampires, esprits, apparitions…)

Date limite de soumission des propositions : 27 août 2023

Les articles des propositions sélectionnées devront être soumis en version complète à la mi-octobre 2023.

Veuillez noter que la revue Fémur est dédiée à la recherche étudiante, et qu’ainsi, nous n’acceptons que des propositions d’étudiant·e·s du premier au troisième cycle, ainsi que de stagiaires postdoctoraux·ales.

Les propositions doivent être envoyées à l’adresse revue.femur@gmail.com et respecter le protocole de rédaction : https://revuefemur.com/index.php/soumettre-un-article/

La revue Fémur publie plusieurs types de textes : des articles scientifiques (de 3000 à 6000 mots), des essais (de 2000 à 4000 mots) et des comptes rendus critiques (d’au plus 2000 mots). Dans le cadre de ses dossiers thématiques, la revue reçoit des propositions d’articles scientifiques, d’essais ou de comptes rendus, et non des textes complets. Les propositions d’articles et d’essais comptent entre 500 et 700 mots, alors que les propositions de comptes rendus sont d’environ 200 mots. Le comité scientifique de la revue évalue les propositions pour retenir celles qui répondent à ses critères. Les auteur·ice·s des propositions retenues sont alors invité·e·s à soumettre les textes complets. 

La revue accepte également des articles hors dossier, dont la proposition peut être envoyée en tout temps.

Direction du numéro :

Martyna Kander et Astrid Novat

Rédactrices en chef :

Gabrielle Flipot Meunier et Eugénie Matthey-Jonais.

Bibliographie

Ariès, Philippe, Essai sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975.

Ariès, Philippe, L’Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977.

Delvaux, Martine, Histoires de fantômes : spectralité et témoignage dans les récits de femmes contemporains, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2005.

Despret, Vinciane, Au bonheur des morts, Paris, La Découverte, 2015.

Dupuis, Vincent, « Figures du deuil féminin dans le théâtre de Robert Garnier », Réforme, Humanisme, Renaissance, vol. 80, n° 1, 2015, pp. 15-38.

Elsner, Anna, « After COVID-19: The way we die from now on », Cambridge Quarterly of Healthcare Ethics, vol. 30, n°1, 2021, pp. 69-72. 

Fortin, Jutta et Vray, Jean-Bernard (dir.), L’Imaginaire spectral de la littérature narrative française contemporaine, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2013. 

Foucault, Michel, Le corps utopique, suivi de Les hétérotopies, Paris, Éditions Lignes, 2009.

Hénin, Emmanuelle, « Faut-il ensanglanter la scène ? Les enjeux d’une controverse classique », Littératures classiques, vol. 67, n° 3, 2008, pp. 13-32.

Laqueur, Thomas W., Le travail des morts. Une histoire culturelle des dépouilles mortelles, Paris, Gallimard, 2018.

Morin, Edgar, L’Homme et la mort, Paris, Seuil, 1970. 

Loraux, Nicole, La voix endeuillée : essai sur la tragédie grecque, Paris, Gallimard, 2001. 

Ratmoko, David, On Spectrality: Fantasies of Redemption in the Western Canon, New York, Peter Lang, 2006. 

Sangsue, Daniel, Fantômes, esprits et autres morts vivants. Essai de pneumatologie littéraire, Paris, José Corti, 2011. 

Schmitt, Jean-Claude, Les Revenants : les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, 1994.

Thomas, Louis-Vincent, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975. 

Watthee-Delmotte, Myriam, Dépasser la mort. L’agir de la littérature, Arles, Actes Sud, 2019. 

Watthee-Delmotte, Myriam, Littérature et ritualité. Enjeux des rites dans la littérature française contemporaine, Berne, Peter Lang, 2010.

Vovelle, Michel, Mourir autrefois : attitudes collectives devant la mort aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Gallimard / Julliard, 1990. 

Vovelle, Michel, La Mort et l’Occident: de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.