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Les territoires émotionnels de Lynda Barry (Mémoire, matière, image)

Les territoires émotionnels de Lynda Barry (Mémoire, matière, image)


Journée d’étude 
RIRRA 21 - Programme
« Littérature et nouveaux médias »


Les territoires émotionnels de Lynda Barry

(Mémoire, matière, image)


24 Mai 2024

Université de Montpellier 3
Auditorium Saint Charles
9h-18h

Cette journée d’étude s’intéresse à l’œuvre graphique de Lynda Barry, saluée par de nombreux prix et connue surtout par des lecteurs américains et anglophones, mais qui reste peu étudiée en France.
    Immédiatement reconnaissables dans leurs formes, les planches de Lynda Barry sont de véritables compositions libres d’éléments graphiques qui l’apparentent à la bande dessinée et à l’écriture poétique d’introspection (système narratif, séquences de cases, cohérence symbolique et sémiotique) empruntent aussi à d’autres genres moins nobles (« cheap and fast, you need only a pen and some paper »), comme le scrapbooking, le carnet d’exercice, le livre de lecture, le carnet d’atelier, le livre de développement personnel, le cahier d’écriture automatique, ou encore le carnet de listes, formes issues de longues années d’enseignement auprès de publics de jeunes enfants et d’adultes. 
    Cette fertilité créative ironique et insolente anticipe largement, depuis les années 90, sur le retour de la bande dessinée alternative telle qu’elle se développe aujourd’hui en Europe : elle mêle le grand dessin au petit croquis, l’esquisse approximative au dessin fin, l’encre jetée par désinvolture au tableau, le carnet ligné jaune de toutes les écoles américaines au papier ou au tissu précieux, le coloriage simple à l’ornement médiéval. Elle tend ainsi à créer un univers saturé et vivant (trop de texte pour que ce soit une bande dessinée, trop d’images pour que ce soit un roman, explique-t-elle), où, quelles que soient leurs origines, les éléments du discours graphique peuvent cohabiter et entrer en résonnance.
    Agée aujourd’hui de 67 ans, Lynda Barry est souvent décrite comme une pionnière de la BD alternative. Héritière d’une contre-idélogie libertaire et créative des années 70, des années punk et des dépassements post-modernes, son œuvre, largement autobiographique mais techniquement issue des ateliers d’écriture qu’elle organise, interroge simultanément l’enfance complexe qui a été la sienne et un certain nombre de fondamentaux cognitifs liés à la coalescence dans le développement cérébral du texte, du son et de l’image. 
    Elle scrute ainsi, dans le langage même, et suivant une forme de discours de la méthode ou les certitudes sont remises en cause et les mouvements psychiques les plus courants réexaminés : phénomènes de lecture, imaginaire, mémoire, constructions du rêve et des obsessions, hypothèses de jeu (le fameux « let’s pretend » des enfants est souvent exploré), fiction, le centre de son intérêt étant la genèse de l’image.
    Pas seulement celle de l’image graphique, mais l’image globale de soi dans le monde tout autant que, de manière réflexive, la genèse de l’œuvre elle-même. Le « Ce que c’est » (What it is, 2008) de son album majeur, dit à la fois sur le papier la présence problématique de l’image mais fait aussi entendre le « What is it ? » qui est sa méthode d’approche du réel comme de l’imaginaire. What it is, Syllabus (2014), Making comics (2019) qui s’entend aussi en « Unmaking comics », clin d’oeil adressé à Scott McCloud) utilisent ainsi la diversité des matériaux pour sonder la complexité du laboratoire central de l’image, de la mémoire, de l’oubli, des angoisses et de l’ensemble des ectoplasmes qui peuplent la conscience d’un individu - a fortiori, celle d’une dessinatrice. 
    La question posée par Lynda Berrry, proche d’une maïeutique psychanalytique, relève de la quête des origines de l’être, de ce qui le définit, notamment dans l’enfance.  Le dessin, y compris le dessin d’enfant, est souvent présenté par elle comme un révélateur, un levier dans la découverte de soi par soi, quelque chose qui, à partir de presque rien, permet de se relier à la vérité du soi-profond.     
    Etudier son œuvre, c’est donc se connecter aux grands enjeux des écritures graphiques contemporaines dans ce qu’elles contiennent d’héritages intellectuels et esthétique du XXe siècle ; c’est accompagner un long et patient travail de recherche sur l’image mentale, psychique et graphique. Cela engage aussi une observation de la bande dessinée et du roman graphique comme territoire d’accueil d’arts frontaliers : photographie, cinéma, gravure, sculpture, couture, broderie, design, littérature et bien sûr peinture. L’esthétique de Lynda Barry relève à plus d’un titre du « partage du sensible » cher à Rancière et engage aussi la pensée du côté de la politique de l’image, de la poétique des formes et du vivant. Elle peut donc intéresser les spécialistes de l’art contemporain, de la bande dessinée, les chercheurs intéressés par les liens de l’art et de la psychanalyse, de la bande dessinée et du « care », de la bande dessinée et de l’art brut, par exemple, et plus largement des regards sur la remise en cause des fondamentaux acquis de l’éducation que l’œuvre de Lynda Barry fait souvent voler en éclat. 
    Il s’agit enfin profondément de refondation, de révolte, de reconstruction. Les planches sont territoires émotionnels et zones sismiques où les questions posées à partir d’une enquête incessante sur l’enfance et les traumas définitoires qui la caractérisent impliquent une autre manière de faire, une autre matière du faire, à quoi répond dans son dispositif la réalisation graphique, elle-même constamment rebrassée et refondée. 


Les propositions de communication, d’un format de 25 minutes, peuvent être adressées à Lambert Barthélémy et à Luc Vigier avant le 1er décembre 2023, accompagnées d’une petite notice bio-bibliographique. Une réponse sera donnée en janvier.  

lambert.barthelemy@univ-montp3.fr
luc.vigier@univ-poitiers.fr