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L'année 1824 : Un nouveau régime littéraire ? (Bibliothèque de l'Arsenal, Paris)

L'année 1824 : Un nouveau régime littéraire ? (Bibliothèque de l'Arsenal, Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Caroline Raulet-Marcel)

13 janvier 2024 – Bibliothèque de l’Arsenal, Paris

Journée d’étude des Cahiers d’études nodiéristes

Organisée avec le soutien de la BnF, de l’Association des Amis de Charles Nodier,

de l’Université Adam Mickiewicz de Poznań, de l’Université de Bourgogne et de l’Université Toulouse-Jean Jaurès.



Appel à communications : 

« L’année 1824 fera époque dans notre littérature » Du classique et du romantique, 1826.

En janvier 1824, Charles Nodier devient bibliothécaire du comte d’Artois à l’Arsenal, ouvrant un salon appelé à devenir fameux parmi les Romantiques. On est alors à l’aube d’une année décisive dans l’histoire politique et littéraire de la France. En septembre, à la mort de Louis XVIII, ce même comte d’Artois devient Charles X et, en 1825, il sera le premier roi à être sacré depuis Louis XVI. Tentative pour effacer le traumatisme révolutionnaire et renouer avec la tradition monarchique pour la plus grande joie des royalistes ultra, la perspective de ce sacre inaugure, dès 1824, une nouvelle phase de la Restauration. Or 1824 n’est-elle pas également une année charnière sur le plan littéraire ? Là où Chateaubriand salue la mémoire de Louis XVIII, tourné vers le passé, Victor Hugo adopte pour la première fois la posture du « poète-prophète[1] » dans « Les funérailles de Louis XVIII ». C’est aussi l’année où il réaffirme ses liens d’amitié avec d’autres jeunes romantiques de sa génération comme Alfred de Vigny, et publie les Nouvelles Odes : la préface de ce recueil joue un rôle de premier plan dans la vive querelle qui oppose alors Classiques et Romantiques. 

Déjà entamée sous l’Empire, cette querelle, portée à incandescence avec le Discours sur le romantisme prononcé en avril 1824 par Louis-Simon Auger à l’Académie française, devient soudainement « plus sérieuse et plus vive[2] » et s’affiche comme « le sujet de conversation à la mode[3] » dans la société lettrée, au point que se diffusent de façon croissante discours, brochures, pamphlets, articles de presse, parodies et satires à Paris, mais aussi en province avec l’Académie de Rouen. Le romantisme comme nouvelle littérature apparaît au cœur des discussions esthétiques et sémantiques, chacun voulant apporter sa réflexion à l’édifice, qu’il s’y oppose, s’en réclame ou se montre indifférent à toute bipartition du champ littéraire, voire farouchement récalcitrant aux étiquettes littéraires. 1824, c’est aussi l’année de la mort de Byron : de nombreux écrivains de la nouvelle école, comme on l’appelle alors, se saisissent de cette occasion pour se revendiquer de cette illustre figure et de la littérature anglaise mais aussi, paradoxalement, pour exprimer le désir de faire valoir la spécificité française et se distinguer des influents modèles anglais et allemand. 

À l’occasion du bicentenaire 1824-2024, nous aimerions revenir sur cette période d’effervescence politique et littéraire pour la penser dans toute sa complexité et sa pluralité. Comment envisager l’articulation entre histoire politique, sociale et littéraire lors de cette année de changement de souverain ? En quoi l’année 1824 représenterait-elle un pic dans la querelle littéraire et, par conséquent, une année cruciale dans la définition et l’affirmation du romantisme ?  En ces temps de paix politique, 1824 signerait-elle le temps de la « révolution littéraire », « résultat de la révolution politique », suivant la conception belligérante du romantisme portée par Victor Hugo[4] ? Peut-on aller jusqu’à parler de l’avènement d’un nouveau régime littéraire, concomitant du nouveau « régime d’historicité[5] » perçu peu ou prou par les contemporains ? Ou bien serait-ce méconnaître l’importance du classicisme et du néo-classicisme dans la création littéraire de l’époque, y compris d’ailleurs chez les auteurs se réclamant de la nouvelle école ? 1824 est en effet l’année où Soumet, plume réputée de La Muse française, entre à l’Académie, preuve que le champ littéraire ne doit pas uniquement s’envisager à l’aune des ruptures et des antagonismes mis en valeur par l’historiographie romantique. Après 1820, la mémoire du « siècle de Louis XIV » apparaît, selon Stéphane Zékian, prise dans la « mêlée de la querelle romantique[6] », mais il s’agirait précisément ici de dépasser « l’alternative appauvrissante des détracteurs et des partisans[7] » pour envisager aussi romantisme et classicisme dans le dialogue constant qu’ils entretiennent. Comment le mouvement romantique, tout en commençant à construire sa propre légende, apporte-t-il lui-même sa pierre à la « guerre des mémoires[8] » autour de la définition du classicisme ? Comment envisager un monde des lettres à la fois clivé et marqué par des phénomènes de perméabilité – entre les genres mais aussi entre les écoles ?  On réfléchira autant aux reconfigurations du champ littéraire en 1824 qu’à ses continuités, tout aussi cruciales pour saisir les enjeux d’une année où histoire politique et histoire littéraire semblent devoir s’écrire de concert dans un rapport renouvelé au passé.

La réflexion pourra s’inscrire au sein des axes suivants : 

1-    Les liens entre histoire politique et histoire littéraire

Comment penser les liens entre histoire politique et histoire littéraire en 1824 ? En cette période hantée par le passé, qu’il soit révolutionnaire ou napoléonien, comment les débats politiques s’inscrivent-ils dans le monde des lettres et contribuent-ils à le polariser ? Au-delà d’œuvres de circonstance – qu’elles soient élogieuses ou satiriques à l’égard du régime –, comment la littérature permet-elle de dire de façon spécifique le politique, qu’il s’agisse de représenter le nouveau monarque, de penser le pouvoir, notamment dans son rapport aux lettres, et/ou de prendre position politiquement ? Quel rôle joue, de ce point de vue, la suppression de la censure par Charles X au tout début de son règne ? Que dit aussi la vogue du roman historique, portée par l’engouement des écrivains et des lecteurs pour Walter Scott – en 1824, Gosselin commercialise d’ailleurs le buste du célèbre Écossais –, de cette articulation à une époque où les hommes de lettres envisagent souvent de pair passé politique et littéraire ? Comment les fictions historiques du passé permettent-elle de penser la réalité historique contemporaine ? 

2-    Les débuts de Charles Nodier à l’Arsenal

Quel rôle joue Charles Nodier dans cette année clef, lui qui est de fait lié au nouveau monarque – nommé historiographe officiel du roi, il se rendra au sacre de 1825 avec Victor Hugo –, lui qui inaugure tout juste, à travers les premiers « Dimanches de l’Arsenal », une sociabilité littéraire et artistique amenée à marquer durablement les esprits de nombreux hommes de lettres, et à inscrire le romantisme sous le signe des fraternités poétiques et artistiques qui se nouent alors ? Quelle image ont de lui ses contemporains, avant et après sa nomination ? Comment se met en place cette sociabilité ? Via quels réseaux ? À 44 ans, Nodier est loin d’être un inconnu : avec Jean Sbogar (1818), Smarra (1821), Trilby (1822) et la Promenade de Dieppe aux montagnes d’Écosse (1821), il a déjà publié quelques œuvres qui impriment leur marque dans le romantisme naissant, et son influence littéraire et critique est incontournable dans le monde des lettres. Le 2 décembre 1824, il se présente pour la première fois à l’Académie française. Sa recension élogieuse de Han d’Islande en 1823 inaugure un lien chaleureux avec Victor Hugo, que Nodier aide activement, contribuant de fait au succès de plus en plus en éclatant du jeune écrivain. Lorsque la publication de La Muse française cesse, l’Arsenal apparaît bien vite comme le « creuset » décisif des futures « batailles[9] » romantiques à mener. Nodier contribue à fédérer rapidement un romantisme érudit et plus éclectique que celui qui sera défendu et popularisé par Victor Hugo. Quel rôle jouent dans cette émergence son positionnement politique, son goût de la bibliophilie ou bien encore la pratique de l’éloquence et de la lecture à haute voix ? Enfin, que révèlent les écrits qu'il publie en 1824 de son engagement en littérature et de son rapport ambivalent au romantisme, lui qui, en cette même année, dans La Muse française, s'affiche, par exemple, ouvertement romantique dans « De quelques logomachies classiques », tout en rédigeant aussi ses « Adieux aux Romantiques » ? Il s’agira de se demander en quoi les débuts de l’Arsenal apparaissent décisifs, aussi bien dans la vie et l’œuvre de Nodier que dans l’histoire de la littérature française, en quoi toutefois c’est de façon paradoxale presque « à son corps défendant » que Nodier fait figure de « chef de file [du] romantisme naissant[10] ». 

3-    Du monde de l’édition au monde de la presse : l’actualité littéraire

Le choix de centrer cette journée d’étude sur une période resserrée, en l’occurrence une seule année, peut aussi donner l’occasion, sans obéir à un processus de sélection rétrospective, de mettre en lumière des textes moins connus d’autres écrivains. Si l’on songe à Balzac, c’est l’année où il publie Annette et le Criminel, roman de jeunesse peu connu, où sous le pseudonyme d’Horace de Saint-Aubin, il se joue allègrement des codes de la « Littérature marchande » en vogue dans les cabinets de lecture. La publication de romans se caractérise alors en effet par une hausse exponentielle, soutenue par des libraires-éditeurs très actifs.  Après une première publication hors-commerce, c'est Ladvocat, « icône de la librairie romantique[11] », qui fait paraître, en 1824 Ourika de Claire de Duras, œuvre empruntant sa structure au roman-mémoire du XVIIIe siècle tout en étant aussi représentative d'un certain « mal du siècle » au féminin. La poésie est également en plein essor : dans sa glorieuse ascension, Lamartine fait imprimer l’une des multiples rééditions de ses Méditations poétiques, Victor Hugo donne lieu, avec ses Nouvelles Odes, à une querelle avec le journaliste Hoffman au sein du Journal des Débats, Alfred de Vigny soumet Éloa, ou la Sœur des Anges au public. Figures aujourd’hui plus méconnues, volontiers qualifiées de minores par la critique, la toute jeune mais déjà célèbre Delphine Gay, future épouse d’Émile de Girardin, publie ses premiers Essais poétiques et Ulric Guttinguer, ami de Victor Hugo, fait paraître ses Mélanges poétiques. Sans se revendiquer ouvertement de la nouvelle école, ces productions offrent au romantisme une consistance dans le champ littéraire, tout comme certains organes de la presse qui, en 1824, ont pleinement contribué à la promotion et à la diffusion des idées et des œuvres romantiques : Le Globe qui paraît dès le 15 septembre, Le Mercure du dix-neuvième siècle, relais du Mercure de France et enfin, La Muse française, fondée en 1823 par Alexandre Soumet et Alexandre Guiraud, puis progressivement prise en charge par Victor Hugo, Émile Deschamps, Alfred de Vigny mais aussi Charles Nodier, avant de s’éteindre en plein essor en juin 1824.

4-    Le théâtre, un enjeu politique et poétique majeur

Enjeu social et politique explicite, le théâtre est, de son côté, activement réglementé par la monarchie : 1824 est l’année où les subventions publiques accordées aux théâtres royaux atteignent leur maximum. Dans le même temps, le théâtre du Gymnase, auquel la protection de la duchesse de Berry donne un statut semi-officiel – il est nommé « Théâtre de Madame » en septembre 1824 – contribue au renouvellement du répertoire comique sous l’influence notamment d’Eugène Scribe et grâce à un mélange des genres, que la monarchie échoue à contrer. Après s’être imposé sur la scène romantique deux ans auparavant avec Saül et Clytemnestre, jouées respectivement au Théâtre français et à l’Odéon, Soumet remporte un succès de scandale en 1824 avec La Tragédie de Cléopâtre. La visibilité donnée à ces nouveautés ne doit toutefois pas occulter la part prise par les rééditions – notamment sous forme d’Œuvres – et le répertoire théâtral classique dans la vie littéraire du temps. La période se caractérise tout autant par un bouillonnement créatif que par une volonté érudite de mettre à l’honneur la production littéraire du passé. 

5-    Quelle(s) mémoire(s) de 1824 ?

En 1825, Stendhal ouvre son deuxième Racine et Shakspeare par une savoureuse narration de la séance de 1824 où l’Académie se livre à l’examen du mot « Romantique », « nom fatal d’un parti désorganisateur et insolent[12] » qui fait sortir de sa torpeur générale une assemblée docte avide de le soumettre à un cruel supplice. La plume irrévérencieuse et ironique de Stendhal contribue ainsi à faire de cette séance – et de la séance ultérieure où Louis-Simon Auger prononce sa célèbre diatribe contre le romantisme – une étape importante dans l’histoire du romantisme. De façon plus large, qu’en est-il de l’année 1824 dans l’historiographie romantique ? A-t-elle un statut particulier ? Et que retient plus spécifiquement l’histoire littéraire de l’arrivée de Charles Nodier à l’Arsenal ? À plus vaste échelle, quel rôle joue Nodier dans l’histoire de l’Arsenal et dans la construction de l’identité patrimoniale de ce lieu où s’est écrite une partie de l’histoire littéraire du XIXe siècle ? 



Bibliographie indicative : 

ANTOINE-MAHUT, Delphine et ZÉKIAN, Stéphane (dir.), Les Âges classiques du XIXe siècle, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2018.

BERCEGOL, Fabienne, GENAND, Stéphanie et LOTTERIE, Florence (dir.), Une « période sans nom ». Les années 1780-1820 et la fabrique de l’histoire littéraire, Paris, Classiques Garnier, 2016.

CROISILLE, Christian (dir.), L’Année 1820, année des Méditations, actes du colloque organisé par la Société des études romantiques et dix-neuviémistes, Paris, Librairie Nizet, 1994.

DEGOUT, Bernard, Le Sablier retourné – Victor Hugo (1816-1824) et le débat sur le « Romantisme », Paris, Honoré Champion, 1998.        

DIAZ, José-Luis, « Comment 1830 inventa le XIXe siècle », L’Invention du XIXe siècle. Le XIXe siècle par lui-même (littérature, histoire, société), Paris, Klincksieck/Presses de la Sorbonne nouvelle, 1999, p. 177-194.                              

GOBLOT, Jean-Jacques, La Jeune France libérale, Le Globe et son groupe littéraire (1824- 1830), Paris, Plon, 1995.

HOVASSE, Jean-Marc, Victor Hugo, Paris, Fayard, t. 1 « Avant l’exil », 2001.

JENSEN, Christian Andrew Edward, L’Évolution du romantisme : l’année 1826, Genève, Slatkine, 1986.

LAISNEY, Vincent, L’Arsenal romantique : le salon de Charles Nodier (1824-1834), Paris, Honoré Champion, 2002.

MOLLIER, Jean-Yves, REID, Martine et YON, Jean-Claude, Repenser la Restauration, Paris, Nouveau Monde éditions, 2005.

RAULET-MARCEL, Caroline, « La légitimation de l’auteur de roman en France : le culte paradoxal de Walter Scott, ‘‘the Great Unknown’’ », Romantisme, n°160 « Conquêtes du roman », 2013/2, p. 27-40.

SUKIENNICKA, Marta, Éloquences romantiques. Les années de l’Arsenal (1824-1834), LISAA éditeur, Wydawnictwo Naukowe UAM, collection ""Savoirs en texte"", 2021. URL : https://books.openedition.org/lisaa/1567

ZARAGOZA, Georges, Charles Nodier - Biographie, Paris, Classiques Garnier, 2021.

ZÉKIAN, Stéphane, L’Invention des Classiques, Paris, CNRS éditions, 2012.

Modalités de communication et calendrier :

 Les propositions de contribution (titre et résumé de 3000 signes espaces compris) accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique) sont à adresser avant le 30 septembre 2023 à Caroline Raulet-Marcel (caroline.raulet-marcel@u-bourgogne.fr) et Marta Sukiennicka (martasukiennicka@gmail.com).

 Les communications sont destinées à durer 25-30 min et donneront lieu à publication dans le 14e volume des Cahiers d’études nodiéristes (Classiques Garnier, à paraître en 2025). Les contributeurs sélectionnés recevront une réponse au plus tard le 15 octobre 2023.

Direction scientifique : 

Samantha Caretti (Université de Caen-Normandie, LASLAR)

Marine Le Bail (Université de Toulouse-Jean Jaurès, PLH-ELH)

Caroline Raulet-Marcel (Université de Bourgogne, CPTC)

Marta Sukiennicka (Université Adam Mickiewicz de Poznań)

Comité scientifique :

Samantha Caretti, Jacques Geoffroy, Paul Kompanietz, Marine Le Bail, Caroline Raulet-Marcel,

Marta Sukiennicka, Virginie Tellier, Sébastien Vacelet et Georges Zaragoza.




 
[1] HOVASSE, Jean-Marc, Victor Hugo, Paris, Fayard, t. 1 « Avant l’exil », 2001, p. 282.
[2] DESMARAIS, Cyprien, Essai sur les classiques et les romantiques, Paris, Auguste Udron, Vernarel et Tenon, 1824, p. 53.
[3] PARIS, Paulin, Apologie de l'école romantique, Paris, Dentu, 1824, p. 3.
[4] HUGO, Victor, préface de 1824 des Nouvelles Odes
[5] HARTOG, François, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003.
[6] ZÉKIAN, Stéphane, L’Invention des classiques, Paris, CNRS Éditions, 2012, p. 13.
[7] Ibid.
[8] L’expression est aussi de Stéphane Zékian.
[9] ZARAGOZA, Georges, Charles Nodier - Biographie, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 237.
[10] Ibid.
[11] GLINOER, Anthony, « À son éditeur la littérature reconnaissante. Ladvocat et le Livre des Cent-et-un », La Production de l’immatériel. Théories, représentations et pratiques de la culture au XIXe siècle, Jean-Yves Mollier, Philippe Régnier et Alain Vaillant (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008, p. 93.
[12] STENDHAL, Racine et Shakspeare, n° II, ou Réponse au manifeste contre le romantisme prononcé par M. Auger dans une séance solennelle de l'Institut, par M. de Stendhal, Paris, A. Dupont et Roret, 1825, p. 1.