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Le Théâtre de la Ville (1862-1968-2023), une archéologie du futur

Le Théâtre de la Ville (1862-1968-2023), une archéologie du futur

Publié le par Marc Escola (Source : Sandrine Dubouilh)

Le Théâtre de la Ville (1862-1968-2023), une archéologie du futur

Journée d’étude autour de l’architecture, de la scénographie et du spectacle vivant

Le 3 décembre 2023, coupole du Théâtre de la Ville

Organisateurs : 

Sandrine Dubouilh, École nationale supérieure d’architecture Paris Val-de-Seine ; Université Bordeaux-Montaigne ; Unité de Recherche ARTES.

Rafaël Magrou, École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais/Paris PSL ; Laboratoire ACS -UMR AUsser 3329.
 

Installé au centre de Paris, dans une situation urbaine privilégiée en vis-à-vis du Théâtre du Châtelet, le Théâtre de la Ville occupe des murs vieux de 160 ans[1]. On le sait, sa transformation en 1968, qui avait à l’époque provoqué de vives réactions, a profondément modifié la salle de spectacle, où les architectes Fabre et Perrottet[2], accompagnés du scénographe René Allio, signent un véritable manifeste de l’architecture du théâtre populaire[3]. Aujourd’hui, après sept ans de travaux, le Théâtre de la Ville va rouvrir ses portes. Son activité n’a pas cessé pour autant dans les salles de l’Espace Cardin sur les Champs-Élysées, au Théâtre des Abbesses deuxième salle ouverte en 1996, et dans d’autres lieux, tels que le Théâtre du Châtelet, le 104 ou encore à la Grande Halle Villette. 

Retardées pour cause de Covid et autres événements imprévus, la restructuration et la rénovation de cette salle mythique aux abords de la Seine ont, ironie du sort, à nouveau fait couler beaucoup d’encre quant à l’héritage de Fabre et Perrottet qu’on accusait, il y a 56 ans, d’avoir détruit le Théâtre de Sarah Bernhardt. Peu avant sa fermeture en 1965, ce théâtre avait été le siège d’une aventure théâtrale exceptionnelle, le Théâtre des Nations, dont la mémoire oubliée a été ravivée par de rares ouvrages[4]. C’est dire combien la notion de patrimoine est particulièrement sensible dans ce cas précis, appelant une re-contextualisation qui dépasse les limites du théâtre lui-même, impliquant le choix de ce site du Châtelet, prison jouxtant la tour Saint-Jacques du Boucher, encore dressée et visible aujourd’hui, jusqu’à l’intervention des architectes Marie-Agnès Blond et Stéphane Roux pour la version 2023 de ce théâtre.

Une histoire architecturale au long cours d’un lieu comme celui-ci ne peut qu’être marquée par de nombreuses vicissitudes d’usage et des modifications, parfois volontaires, parfois consécutives à des incidents ; rappelons que le Nouveau Théâtre Lyrique de Davioud fut incendié pendant la Commune, et que les équipements scéniques du Théâtre de la Ville disparurent aussi dans les flammes en 1982. La vétusté du Théâtre Sarah Bernhardt, soumis à une activité soutenue appelait sa modernisation. L’architecture du Théâtre de la Ville, fatiguée par son demi-siècle d’exploitation également. Entre l’ouverture en 1968 et sa fermeture en 2016, bien des transformations avaient du reste amputé le projet initial, parmi celles-ci, la suppression du foyer-bar en sous-sol, pierre angulaire du projet de Jean Mercure.

L’histoire du Théâtre de la Ville n’aurait pas pu être écrite sans ses directeurs successifs, à commencer par Jean Mercure et son équipe[5], dont le travail n’a jamais été reconnu à sa juste valeur dans sa capacité à créer très tôt un lieu des arts interdisciplinaire, une décentralisation théâtrale en plein cœur de Paris. Il est relayé en 1985 par Gérard Violette qui a permis d’accéder à une deuxième salle, critiquable à bien des égards, et dont il était lui-même insatisfait. En 2008, Emmanuel Demarcy-Mota, en prend à son tour la direction, ouvrant l’activité du théâtre à d’autres champs disciplinaires et mettant en œuvre le projet « Hall connecté » en relation avec des institutions du monde entier. Bien avant eux, la direction de Sarah Bernhardt reste omniprésente, celle de Charles Dullin dirigeant le théâtre rebaptisé par l’occupant est oubliée et questionnable, et les activités dix ans durant de Claude Planson et A-M. Julien tiennent une place à part où l’équipement en tant que tel disparaît derrière le foisonnement de la programmation de cette scène ouverte au monde entier.

Contrairement à d’autres lieux emblématiques de la capitale tels que le théâtre de l’Athénée[6], ou le Théâtre National de Chaillot[7], dans une moindre mesure la Gaieté lyrique[8], le Théâtre de la Ville n’a pas fait l’objet d’une véritable rétrospective historique sous les différents angles, architecturaux, programmatiques, de gouvernance, etc. Plusieurs éléments historiques antérieurs à son ouverture ont été donnés dans les premiers numéros du Journal du Théâtre de la Ville, tandis que l’un des premiers membres de l’équipe, Serge Peyrat, a raconté sa vision de quarante années de cette histoire depuis 1968, témoignage précieux d’un usager qui fut là dès les premiers échanges entre Jean Mercure et la municipalité. Le Théâtre de la Ville nous interpelle à la fois sur des questions politiques, urbaines, architecturales, scénographiques, techniques, mais aussi, bien entendu, artistiques. Dès lors, il semble difficile de circonscrire le champ de recherche et de réflexion. Toutefois, plusieurs axes s’ouvrent à nous pour tenter de donner lors de cette journée d’étude un nouvel éclairage sur ce lieu emblématique.

1- Architecture et urbanisme : Mémoire, héritages et transformations 

Sous cet axe pourront être présentées des études traitant notamment et sans exclusive :

- du positionnement du Théâtre de la Ville dans la Ville de Paris, du choix de ce théâtre pour recevoir le programme de Théâtre Municipal Populaire, 

- de Gabriel Davioud, architecte des murs de ce théâtre et de celui du Châtelet, mais surtout architecte d’Haussmann[9], 

- des transformations volontaires de 1968 et 2016 et de leurs maîtres d’œuvre, en ciblant ce qu’elles engagent quant à la prise en compte de la valeur patrimoniale d’un théâtre en ordre de marche. Une attention particulière pourra être accordée à l’exploit technique que constitua cette réalisation en 1968, ainsi qu’à l’ingénieur Miroslav Kostanjevac qui a accompagné les architectes de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture.

2- Scénographie et scénotechnique : du plateau à l’italienne au théâtre du XXIe siècle

Logé dans des murs du XIXe siècle, contraint par cette matrice architecturale impossible à étendre, en raison notamment des limites de la parcelle, le Théâtre de la Ville n’en a pas moins été, avant et après sa transformation, le lieu de spectacles ambitieux mettant à l’épreuve le plateau à l’italienne, puis le plateau sur vérins, puis l’équipement devenu traditionnel dans les théâtres modernes composé de trappes sur potelets métalliques. Voici quelques pistes de réflexion pouvant s’inscrire sous cet axe dédié à la scénographie et la scénotechnique :

- L’équipement scénique réalisé en 1968 et exploité jusqu’à sa destruction par les flammes en 1982 répondait à des ambitions scénographiques particulières, liées entre autres à l’alternance très forte envisagée alors, mais aussi aux réflexions des scénographes et metteurs en scène de cette époque sur la transformation de la relation entre scène et salle. Les nouveaux équipements de la scène accompagnent la modernisation de l’outil. Quels ont été les choix opérés dans ces deux réalisations et dans quels buts de programmation artistique ?

- La grande salle n’est pas le seul lieu de spectacle inscrit dans les murs du Théâtre de la Ville : la « coupole » est un espace pouvant, lui aussi, accueillir du public : que pouvait-on et que peut-on désormais y programmer ? De même pour la partie enterrée sous le hall : comment cet espace entre-t-il en complémentarité ? Le projet de Hall connecté avancé par Emmanuel Demarcy-Mota vient quant à lui prendre corps dans l’espace d’accueil intégralement remodelé : quelle fonctionnalité et quelles possibilités cet espace augmenté va-t-il offrir en plus de l’offre déjà ambitieuse du Théâtre de la Ville ?

- Avec le Théâtre des Abbesses, le Théâtre de la Ville dispose de salles frontales fixes, de jauges différentes et de rapports salle-scène eux aussi différents : l’évolution de l’offre des spectacles correspond-elle à ces espaces ou cet équipement, ouvert en 1996, appellerait-il d’autres possibilités de configurations ?

3 - Des directeurs acteurs de la transformation de leur outil de création

Jean Mercure, Gérard Violette, Emmanuel Demarcy-Motta ont eu l’opportunité de prendre une part active dans les projets architecturaux successifs. Leurs souhaits d’aménagements de ces espaces s’appuient certes sur une vision artistique mais aussi sur les contraintes propres à la direction d’un équipement de ce type, lié aussi à des tutelles administratives et politiques. 

Quels rôles décisionnaires ont-ils joué ? Comment sont-ils parvenus à convaincre les pouvoirs en place de la construction, de la restructuration et de la revalorisation de l’équipement ? Cet axe pourra aussi être l’occasion de revenir sur le rôle du préfet de police Maurice Doublet, fraichement arrivé à Paris et qui avait peu auparavant accompagné le projet de la maison de la Culture de Grenoble la même année 1968.

4 - Un lieu voué à la pluridisciplinarité et à l’interdisciplinarité

La pluridisciplinarité marque l’histoire de ce lieu, et ceci dès la programmation du Théâtre des Nations, où le théâtre domine certes, mais où plusieurs spectacles de danse ou d’opéra ont d’ores et déjà trouvé leur place. La double programmation des soirées du Théâtre de la Ville, avec les séances de 18h30, ouvrait aussi les portes à des artistes venus de la chanson ou du music-hall.

Le théâtre de la Ville, théâtre municipal populaire, s’est construit en référence à son prestigieux aîné situé au Trocadéro. Si aujourd’hui Chaillot est devenu le Théâtre National de la Danse, cet art a été accueilli au Théâtre de la Ville dès son ouverture. Jean Mercure y était très attaché et la nouvelle configuration du rapport scène-salle, frontale et avec une forte pente dégageant une visibilité complète sur la scène, y est appréciée comme très favorable. La figure de Pina Bausch s’impose dans l’histoire de ce théâtre mais c’est plus largement une histoire de la danse contemporaine qui y a trouvé sa place.

Sous cet axe, il sera intéressant de mettre en évidence la présence de ces différents artistes, de comprendre quels sont ceux ayant adhéré aux différents projets et pourquoi ? Quelles impulsions ont été possibles et quel rôle le Théâtre de la Ville a-t-il joué dans l’histoire et peut-il encore jouer aujourd’hui dans un paysage scénique qui a fortement évolué ?

Emmanuel Demarcy-Mota a inscrit le Théâtre de la Ville dans des croisements de savoirs et de pratiques, en tissant des liens avec les sciences dites « dures » et les arts du spectacle, ouvrant un spectre toujours plus grand de collaborations : quels impacts sur le fonctionnement comme sur l’occupation de l’espace ou son appropriation, ces collaborations entraînent-elles ?

Cette rencontre est ainsi l’occasion de faire se croiser des spécialistes des champs de l’histoire de l’architecture, des études théâtrales, chorégraphiques et musicales, de la pensée programmatique comme de la gestion de lieux culturels et d’autres disciplines pouvant concourir à cet objet d’étude qu’est le Théâtre de la Ville. L’axe architectural et scénique sera privilégié, mais sans exclusive, afin de laisser l’horizon ouvert à des regards, des expertises, des apports savants sur des dimensions insuffisamment suspectées comme utiles au questionnement relatif à ce type d’équipement, aujourd’hui, en plein centre d’une capitale.

Appel à communications :

Les propositions, avec titre et éventuellement sous-titre, d’une longueur indicative de 1500 signes seront accompagnées de 5 mots-clés, d’une bibliographie indicative et d’une courte notice biographique.

Elles sont à envoyer par mail pour le 30 juin 2023 aux deux adresses suivantes :

Sandrine Dubouilh : sdubouilh.universite@orange.fr

Rafaël Magrou : rafael.magrou@gmail.com.

 


 
[1] César DALY, Gabriel DAVIOUD, Les Théâtres de la place du Châtelet, Paris, Librairie générale d’architecture et des travaux publics, s.d.
[2] Jean CHOLLET, Marcel FREYDEFONT, Fabre et Perrottet, architectes de théâtre, Paris, Norma, 2007. 
[3] Sandrine DUBOUILH, Une Architecture pour le théâtre populaire, 1870-1970, Paris, Editions AS, 2012.
[4] Claude PLANSON, Il était une fois le théâtre des nations, Paris, Maison des cultures du monde, 1984 ; Odette ASLAN, Paris, capitale mondiale du théâtre, Paris, CNRS éditions, 2009 ; Daniela PESLIN, Le Théâtre des Nations, une aventure théâtrale à redécouvrir, Paris, L’Harmattan, 2009.
[5] Paul-Louis MIGNON, Jean Mercure, un théâtre de la Ville, Paris Bibliothèques, 2022 ; Serge PEYRAT, 41 ans au Théâtre de la Ville, Le temps de la mémoire 1967-2008, Paris, L’Amandier, 2014.
[6] Noëlle GUIBERT, Claude SAMUEL, Colette GODARD, Patrick SOURD (dir.), Si l'on voulait écrire l'histoire du théâtre : Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 1982-2007, Paris, Edition du Théâtre de l’Athénée, 2007.
[7] Collectif, Chaillot Théâtre National de la Danse, Paris, L’Esplanade, 2018 ; Simon TEXIER, Des carrières de Chaillot au Théâtre de la danse, renaissance de la salle Gémier, Paris, Archibooks, 2018.
[8] Manuel GAUTRAND, Régis GRIMA, La Gaîté : du lyrique au numérique, Paris, Archibooks, 2011.
[9] Une exposition a été organisée à ce sujet en 1982 à l’Hôtel de Sully ; un catalogue a été édité à cette occasion.