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Au service du pouvoir. L’architecture comme outil de représentation aux époques moderne et contemporaine (Paris 1)

Au service du pouvoir. L’architecture comme outil de représentation aux époques moderne et contemporaine (Paris 1)

Le Humboldt Forum, musée pluridisciplinaire et nouveau centre culturel allemand, est inauguré en 2020, après d’intenses débats intellectuels, en plein centre historique de Berlin. Son expression architecturale repose sur la reconstitution de certaines façades du château de Berlin, ancien siège du pouvoir politique prussien, dans leurs formes du XVIIIe siècle. Successivement résidence royale et résidence impériale, épicentre de la révolution de 1848 et lieu de proclamation de la république en 1919, l’édifice incarne au début du XXe siècle une autorité prussienne multi-centenaire. Dès lors, si le château de Berlin est endommagé lors de la Seconde Guerre mondiale, c’est moins son état que cette identité « prussienne » qui justifie sa destruction totale par le nouveau pouvoir communiste. Ce dernier fait ainsi construire en 1976, au même emplacement, le palais de la République, à la fois lieu culturel et politique, siège notamment du parlement est-allemand. Devenu lui aussi symbole d’une autorité révolue après la chute du Mur, ce palais de la République subit le même sort que son prédécesseur : entièrement démantelé entre 2006 et 2008, sa disparition ouvre la voie à la construction du Humboldt Forum. Chaque régime réinterprète ainsi ce haut lieu de pouvoir selon une expression architecturale qui lui est propre.

Cet exemple nous invite à réinterroger les liens pouvant exister entre l’architecture et la représentation d’un pouvoir aux périodes moderne et contemporaine. Cette thématique n’est en effet pas inédite puisque de nombreux travaux ont montré comment un édifice pouvait servir de véritable outil de communication. Le pouvoir se réfère à des modèles anciens dont il tire une certaine légitimité (Hobsbawm, Ranger, 1983), compose un vocabulaire décoratif et symbolique (Agulhon, 1989), imagine une organisation intérieure et conçoit un espace extérieur (Marin, 1981 ; Monnet 1998). Tout ce langage architectural est mobilisé afin de véhiculer une identité, une idée ou encore une valeur. Une fois achevée, l’architecture d’un pouvoir fait l’objet de commentaires et de débats dépassant le seul cadre architectural. Qu’il s’agisse stricto sensu de lieux du pouvoir politique comme dans notre exemple berlinois, de bâtiments publics, de sièges d’institutions culturelles, d’édifices religieux, de monuments de la finance, ou encore d’architectures éphémères, l’architecture des lieux de pouvoir s’articule autour du désir de représentation de ses commanditaires.

La prochaine journée d’études doctorales de l’ED 441 propose d’explorer la conception et l’utilisation de l’architecture dans la représentation d’une forme de pouvoir aux périodes moderne et contemporaine, à travers quatre axes :

 1 – Concevoir un lieu de pouvoir. Modèles architecturaux et principes esthétiques

Cet axe admet l’hypothèse que la conception même d’une architecture matérialise l’identité d’un pouvoir. Ce dernier s’incarne alors dans des choix stylistiques, invoque des références anciennes ou mobilise un langage architectural, afin de revendiquer et de légitimer son rôle central. Les modèles architecturaux mobilisés, tout comme les décors et les symboles imaginés, apparaissent comme des créations réfléchies au service d’une autorité : l’architecture devient l’image d’un régime, d’une identité nationale, ou d’une tradition locale réinventée. On étudiera ici la concordance entre la conception d’une architecture et l’incarnation d’un pouvoir. On analysera également le recours à un modèle architectural précis comme traduction d’une politique de contrôle, notamment dans un contexte d’occupation ou de colonisation (Garric, 2021).

2 - Organiser l’espace d’un pouvoir. Systèmes distributifs et pratiques spatiales

L’exercice du pouvoir impose la création d’espaces spécifiques, parfois fonctionnels, parfois symboliques, mais servant généralement la représentation des commanditaires par la mise en scène d’une pratique spatialisée (Coquery, 2000). La promulgation d’une nouvelle étiquette ou d’un protocole peut conduire à l’instauration d’une organisation particulière reflétant le régime en place. Cet axe propose de questionner le rapport entre pouvoir, distribution intérieure et pratiques spatiales. On pourra également prolonger la réflexion en s’intéressant à l’environnement du bâtiment, parfois instrument de mise en scène. 

3 – Transformer l’architecture d’un pouvoir précédent. Appropriation, reconstruction, destruction

En admettant la valeur de remémoration (Riegl, 1903) comme intrinsèque à l’architecture d’un pouvoir, la question de la transition devient alors essentielle : la nouvelle autorité se positionne nécessairement face à l’ancienne, qu’elle s’inscrive en rupture ou en continuité de celle-ci. Les lieux du pouvoir ancien sont alors soit conservés, transformés, ou détruits. Ces interventions peuvent être menées à l’échelle d’un bâtiment, d’un site, mais aussi être incluses dans des projets urbains d’ampleur, bouleversant autant les rapports sociaux que l’espace public. Dans cet axe, on interrogera la relation du politique au bâti existant à travers des exemples d’interventions architecturales sur des édifices anciens, liées ou non à des opérations urbaines majeures.

4 - Commenter la représentation d’un pouvoir. Interprétation et réception de l’architecture

L’historiographie des rapports entre architecture et pouvoir étudie souvent les édifices à l’aune de leurs concepteurs. Il est pourtant tout aussi édifiant d’analyser la réception de l’architecture comme représentation du pouvoir, à travers les productions écrites et graphiques des observateurs. En effet, connaître la vision portée par des voyageurs par exemple, sur un lieu de pouvoir peut permettre de mesurer son efficacité comme outil de propagande.



Modalités de soumission et informations pratiques

Cette journée est ouverte à toutes les disciplines concernées par les thématiques proposées. Les propositions de communication, d’une longueur maximale de 2500 caractères espaces compris, devront inclure un titre provisoire, une bibliographie sélective et être accompagnées d’une brève biographie de l’auteur·trice. En outre, elles devront être envoyées avant le 30 mai 2023 inclus, à l’adresse électronique suivante : architecturepouvoir@gmail.com

Un nombre limité de supports financiers est envisageable pour les intervenants dont le laboratoire ne pourrait pas prendre en charge les frais de déplacement.



Organisation

Martin HANF, Constance MARQ et Yérim THIAM-SABINE, doctorants en histoire de l’architecture (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ED441, HiCSA)

Sous la responsabilité scientifique de Jean-Philippe GARRIC, professeur d’histoire de l’architecture (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ED441, HiCSA)


 

Bibliographie indicative

« Architecture et pouvoir : pouvoir économique, pouvoir autoritaire et pouvoir contestataire », dossier dans Tous urbain, n°17, PUF, 2017.

« Architecture et politique au XXe siècle », dossier dans Cahier d’Histoire, n°109, 2009.

Agulhon, 1989 : AGULHON, Maurice, Marianne au pouvoir : l'imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1989.

ANDRIEUX, Jean-Yves, L’architecture de la République : les lieux de pouvoir dans l’espace public en France (1792-1981), Paris, SCERN-CNDP, 2009.

Coquery, 2000 : COQUERY, Natacha, L’espace du pouvoir : de la demeure privée à l’édifice public, Paris 1700-1790, Paris, Seli Arslan, 2000.

DAUSS, Markus, « Architectures gouvernementales de l’Empire allemand et de la Troisième République : essai d’iconologie politique et comparée », Livraisons d’histoire de l’architecture, vol. 8, n° 1, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, 2004, pp. 9‑22.

Garric, 2021 : GARRIC, Jean-Philippe (dir.), L’architecte et ses modèles. Intentions, connaissance et projets à la période contemporaine, Paris, Histo.Art, n°13, Editions de la Sorbonne, 2021.

Hobsbawm, Ranger, 1983 : HOBSBAWM, Eric, RANGER, Terence (dir.), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.

Marin, 1981 : MARIN, Louis, Le portrait du roi, Paris, Les éditions de minuit, 1981.

Monnet, 1998 : MONNET, Jérôme, « La symbolique des lieux : pour une géographie des relations entre espace, pouvoir et identité », Cybergeo: European Journal of Geography, Politique, Culture, Représentations, [En ligne], mis en ligne le 07 avril 1998, consulté le 02 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/5316 

Riegl, 1903 : RIEGL, Aloïs, Le culte moderne des monuments, Vienne, W. Braumüller, 1903. 

ZIEGLER, Hendrik, Entre admiration et rejet : la perception de l’art français par les étrangers au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, Colloque international, 5-7 mai 2021, Centre de recherche du château de Versailles – Centre allemand d’histoire de l’art Paris, Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], 2021, mis en ligne le 08 avril 2022, consulté le 15 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/crcv/22560.

ZUM KOLK, Caroline (dir), Voyageurs étrangers à la cour de France : 1589 - 1789 ; regards croisés, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, coll. « Collection « Histoire » », 2014.