Collectif
Nouvelle parution
Stéphanie Smadja & Françoise Dubor (dir.), Pratiques monologales

Stéphanie Smadja & Françoise Dubor (dir.), Pratiques monologales

Publié le par Esther Demoulin (Source : Monologuer)

Pourquoi se met-on à monologuer ? Dans quelles conditions ? Quelles en sont les significations ? Les questions suscitées par les pratiques monologales sont multiples. Un monologue peut être considéré comme une extériorisation de langage intérieur. Il peut également correspondre à un artefact codifié dans le cadre de pratiques artistiques. Face à l’endophasie, cet objet inaccessible et pourtant essentiel pour la compréhension de l’humain, de son rapport au langage, au monde comme à soi, les seules médiations possibles ont longtemps été celles des monologues extériorisés, que ce soit sous forme artistique (monologue intérieur en littérature, monologue de théâtre), spontanée (monologue des enfants) ou suscitée (restitution en réponse à une enquête). 

Cet ouvrage collectif, ancré dans le programme Monologuer, résulte d’une sélection des meilleures interventions lors du séminaire de recherche (qui a lieu tous les ans depuis 2010) et des colloques internationaux qui se sont déroulés en 2012 et 2016.


Présentation des articles
La traversée des Pratiques monologales se situe ainsi à la croisée de l’histoire des idées linguistiques, de la psychologie, de la linguistique, de la philosophie et de la littérature. Le trajet dessiné par cet ouvrage va de Gabriel Bergounioux à Laurent Mauvignier. Dans son article « Du délire et de ses effets sur la représentation de la parole intérieure. Une étude de cas sur la constitution de la psychiatrie en France au XIXe siècle », Gabriel Bergounioux fait le lien entre histoire des idées linguistiques et histoire de la psychologie. Marina de Palo, dans l’article « Le langage intérieur, le sujet et les paradoxes de la dimension métalinguistique », explore le langage intérieur au carrefour entre l’histoire des idées linguistiques et la philosophie du langage. Quatre articles envisagent ensuite l’articulation monologue/dialogue dans trois domaines différents. Emmanuel Martin pose la question de « L’entre du monologue et du dialogue », « du rapport et son impossibilité » dans une situation d’énonciation psychanalytique, André Lacaux soulève la même question en confrontant littérature et psychanalyse. Aliyah Morgenstern et Françoise Bourdoux analysent des monologues d’enfant dans la vie quotidienne dans leur article « Entre monologue et dialogue : le langage égocentrique de l’enfant ». Enfin, Evelyne Lignon clôture la séquence dans son article « Polyphonie et monologue intérieur. Étude à partir de Lignes de faille de Nancy Huston et de “monologues égocentriques” de jeunes enfants ». Les articles d’Aliyah Morgenstern, Françoise Bourdoux et Évelyne Bourquin-Lignon sont consacrés au monologue d’enfant, selon un angle linguistique ou stylistique, tandis que les articles d’Évelyne Bourquin-Lignon et de Christine Lorre explorent l’œuvre de Nancy Huston. S’ouvre ainsi une dernière séquence, littéraire. Christine Lorre analyse « le monologue comme mode d’exploration de l’entre-deux dans les récits de Nancy Huston ». Hélène Baty-Delalande explore « Les voix de la dissidence. Monologuer (ou pas) dans quelques romans politiques des années trente (Aragon, Nizan, Malraux, Guilloux, Martin du Gard et Drieu) ». Le croisement cette fois-ci se fait entre la littérature et la politique. Emmanuelle Prak-Derrington pose la question de la place du lecteur, à travers deux nouvelles de Schnitzler. Dominique Rabaté analyse l’écriture monologale de Mauvignier en tension entre « Du vide et du plein. Monologue et for intérieur ». Enfin, le parcours s’achève par un entretien entre Dominique Rabaté et Laurent Mauvignier, « Le monologue, une écriture du réel ».

Extraits de l’introduction
Pourquoi se met-on à monologuer ? Dans quelles conditions ? Quelles en sont les significations ? Les questions suscitées par les pratiques monologales sont multiples. Un monologue peut être considéré comme une extériorisation de langage intérieur. Il peut également correspondre à un artefact codifié dans le cadre de pratiques artistiques. Face à l’endophasie, cet objet inaccessible et pourtant essentiel pour la compréhension de l’humain, de son rapport au langage, au monde comme à soi, les seules médiations possibles ont longtemps été celles des monologues extériorisés, que ce soit sous forme artistique (monologue intérieur en littérature, monologue de théâtre), spontanée (monologue des enfants) ou suscitée (restitution en réponse à une enquête). Qui monologue ? Pourquoi monologuer ? Comment saisir et analyser le langage intérieur ? Que nous apprennent ces pratiques de la représentation de soi et du rapport à l’autre ? Ces interrogations, parmi de nombreuses autres, sont appréhendées sous un angle interdisciplinaire et selon une dynamique collective, dans le cadre du programme Monologuer.
[…]
Un monologue de théâtre n’est pas un monologue intérieur littéraire, même si les frontières sont de plus en ténues et qu’elles se caractérisent à l’origine par une certaine porosité. Au théâtre même, les définitions et les pratiques monologales ont varié. Nous proposons dans le cadre du programme Monologuer de distinguer le monologue qui est un discours d’un personnage ou d’une personne sans interlocuteur autre et le soliloque qui est un discours adressé à un interlocuteur présent mais muet. Le Bavard de Louis-René des Forêts serait ainsi un soliloque. 
Au-delà des divergences, nous retrouvons donc des enjeux communs. Extériorisée et prononcée à voix haute sur scène, censée être fictivement muette dans le monologue intérieur dont l’ambition est précisément de saisir la pensée en cours de formation, la parole intérieure constitue le sous-bassement commun à toutes les pratiques du monologue. Que nous considérions le « monologue intérieur » en psychologie cognitive, le « monologue intérieur » littéraire, le monologue de théâtre, les monologues à voix haute des adultes, le langage égocentrique des enfants, ces pratiques discursives renvoient toutes à une forme d’extériorisation de l’endophasie. Bien plus, pendant longtemps, ces formes extériorisées, qu’elles soient artistiques ou issues du langage ordinaire, ont été l’unique biais par lequel aborder et étudier la parole secrète, invisible, qu’est l’endophasie comme en attestent les travaux de Vygotski ou les différentes études de monologues d’enfant après la thèse de Ruth Weir Hirsch sous la direction de Jakobson, consacré aux monologues de son fils. Nous pouvons citer par exemple les travaux de Stan Kuczaj ou de Katherine Nelson. Vygotski, pour faire des hypothèses sur les formes syntaxiques et la structuration du langage intérieur, se fonde notamment sur le langage égocentrique, concept qu’il emprunte à Jean Piaget en lui conférant un sens différent, autrement dit sur les monologues à voix haute d’enfant. Du côté littéraire, les travaux de Gilles Philippe sur le monologue intérieur (notamment chez Sartre) s’articulent avec une réflexion sur le langage intérieur.
Dès lors, notre question devient : qu’est-ce que la « parole intérieure » ?

Stéphanie Smadja est écrivain et maître de conférences HDR à l’université de Paris en linguistique et en stylistique. Elle travaille sur l’histoire de la prose littéraire aux xixe-xxie siècles et sur le langage intérieur entre art et vie réelle (formes, fonctions, troubles). Elle a mis en place, dans une perspective de linguistique clinique, des thérapies endophasiques.

Françoise Dubor est professeure à l’université de Poitiers en littératures françaises et en arts de la représentation. Elle travaille sur la notion de représentation depuis les avant-gardes du xxe siècle jusque’à la période contemporaine, dans une perspective intermédiale.