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Appel à contributions "Conclure – Les fins des contes" (Féeries, n° 21, 2024)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Anne Duggan)

Féeries, n° 21, 2024 : "Conclure – Les fis des contes"
 
Appel à contributions


Argumentaire
« Il était une fois » représente une ouverture à un monde merveilleux, délimitant un espace imaginaire où l’action du conte se déroule, se dénoue, culminant souvent – mais pas toujours – dans un « happily ever after ». Alors que l’incipit nous introduit, en tant que lectrices et lecteurs, dans un monde imaginaire où tout est possible (ou du moins, possible dans les limites des lois de la féerie), les fins des contes se révèlent souvent plus ambiguës. Même si l’histoire se termine par une « fin heureuse », l’ajout d’une moralité peut prolonger le texte et, comme dans le cas du « Petit Chaperon rouge » de Charles Perrault, resituer le conte dans le contexte du monde « réel », non merveilleux (le loup « doucereux » s’avère être un séducteur galant). En outre, la fin du texte peut même mettre en question la fin de l’histoire – le petit Poucet a-t-il volé le trésor de l’ogre ou le roi l’a-t-il récompensé de l’aide qu’il lui a apportée avec ses bottes de sept lieues ? – ou le travail de la magie – comme dans le cas de « Riquet à la houppe » : le héros s’est-il vraiment transformé en bel homme ? Et quelle est la fin du texte, lorsque le conte est inscrit dans un récit-cadre, comme souvent chez Marie-Catherine d’Aulnoy, et que son interprétation dépend de l’histoire qui l’entoure ? N’oublions pas non plus que dans un genre aussi diversifié que le conte, il y a bien des cas où princes et princesses « ne vécurent pasheureux et n’eurent pas beaucoup d’enfants ». Des contes comme « Le Mouton » de Marie-Catherine d’Aulnoy ou « La Petite Sirène » de Hans Christian Andersen fournissent des exemples de contes qui se terminent de manière tragique, ou inattendue, mettant en cause l’idée selon laquelle la fin du conte sert toujours à rétablir la stabilité du monde merveilleux perturbée au début du récit. Les contes d’avertissement en sont un bon exemple, à l’instar du « Petit Chaperon rouge » de Perrault. 
 
L’étude des incipit est particulièrement pertinente dans un genre comme le conte que beaucoup associent intimement à l’ouverture « il était une fois » – parfois à tort, car cet incipit n’est pas aussi courant qu’on le croit dans les œuvres des frères Grimm ou d’Andersen, par exemple. Les phrases initiales font d’ailleurs l’objet d’études théoriques plus générales (Del Lungo 2003, Gollut & Zufferey 2000). Philippe Hamon relevait déjà en 1975 que les études récentes s’y intéressaient, mais il déplorait que la question de la fin soit négligée (p. 497 ; voir aussi Larroux 1995 : p. 6-9). Il s’agit pourtant, avec les débuts, de « lieux stratégiques du texte » (Del Lungo 2010 : p. 9). Le genre du conte semble présenter des fins positives et attendues, au contraire d’autres genres, comme le roman, auquel Guy Larroux consacre son étude, car il aurait « échappé aux codifications qu’ont pu connaître les autres genres » (p. 12). La diversité des contes remet, partiellement, en cause cette affirmation : nombre d’auteurs semblent jouer avec les attentes des lecteurs en proposant des fins inattendues ou de nouvelles pistes interprétatives sur des fins à premier abord prévisibles (à l’instar de Perrault avec ses moralités). Les fins « positives » ne sont d’ailleurs pas homogènes ; elles prennent des formes différentes et peuvent comporter un potentiel politique radical, notamment en termes de « durabilité collective » (Levine 2022), bien à l’opposé des stratégies « conservatrices » que l’on associe au genre. Caroline Levine s’interroge ainsi : « et si les fins étaient moins closes et plus liminales que ne les ont comprises les critiques ? » (Levine 2022 : p. 250).
 
Les fins des contes méritent ainsi une étude spécifique qui prenne en compte les caractéristiques du genre. On relèvera, par exemple, que le monde de la diégèse ne se referme pas à la fin des contes comme à la fin de certains romans, mais que le lecteur peut le retrouver dans les autres contes du recueil ou dans d’autres recueils. La thèse de Frédérique Chevillot s’applique ainsi à merveille au genre du conte : la fin des textes n’est pas que clôture, c’est aussi une réouverture, vers le texte lui-même et vers d’autres textes et possibilités. 
 
Les contributions pourront par exemple s’inscrire dans les axes suivants :
·      Qu’est-ce que la fin ? Où « commence la fin » (Larroux 1995 : p. 30) ? Comment l’identifier ? Qu’est-ce que la fin lorsque le conte est intégré dans un récit-cadre ou qu’il contient des moralités ? Est-ce que la fin est matérielle (combien de phrases ou de paragraphes la constituent) ou textuelle (à analyser en termes de structure narrative, par exemple) ? Comment la distinguer d’autres formules comme la clôture, la clausule, l’épilogue, etc. ?
·      Le début et la fin. Comment est-ce que la fin s’articule avec le début et s’intègre dans une structure narrative ?
·      Comment est-ce que les fins peuvent être mises en relation avec la morale des contes ? On peut, par exemple, comparer dans ce sens les fins différentes du « Petit Chaperon rouge » de Perrault et de « Rothkäppchen » des Grimm.
·      Les fins moins conventionnelles : la non-fin (Les mille et une nuits) ; les fins multiples (« Riquet à la houppe », « Le Maître chat ou le chat botté ») ; les fins inattendues ; les fins ouvertes ; etc.
·      La fin et les attentes des lecteurs.
·      Fins heureuses et durabilité. Selon Caroline Levine, les « fins heureuses » peuvent avoir une valeur politique positive dans un monde où règne une instabilité, pour la plupart des gens, qui se manifeste dans la pauvreté, l’instabilité alimentaire et les conséquences du changement climatique (ouragans, inondations, sécheresses, etc). Dans cette perspective, on peut comprendre une « fin heureuse » en termes de « durabilité collective », prenant la forme d’actions prévisibles et de routine et la fin des actions déstabilisantes et incertaines (p. 259).
·      La fin comme recommencement : au sein du même texte (« La belle au bois dormant », « Rothkäppchen ») ; continuation par d’autres auteurs (Les contes de Perrault continués par Timothée Trimm) ; ou vers d’autres œuvres.
·      La transformation des fins : rééditions, adaptations, traductions, réécritures.
·      Que disent les fins de la société dans lesquels les contes ont été écrits/lus ? Rôle des genres, place dans la société, etc.
·      Est-ce que la poétique des fins présente des différences en diachronie ?
 
Modalités de soumission
Date limite de proposition des articles : 30 juin 2023
Les propositions d’articles ainsi qu’une courte notice bio-bibliographique sont à envoyer à Anne Duggan (a.duggan@wayne.edu) et à Cyrille François (cyrille.francois@unil.ch) avant le 30 juin 2023. Les articles (30 000 signes environ) seront à rendre pour le 1er janvier 2024.
 
Références bibliographiques
« Le recueil », Féeries [En ligne], 1 | 2004. URL : http://journals.openedition.org/feeries/61.
Bravo, Federico (éd.), La fin du texte, Presses universitaires de Bordeaux, 2012.
Calvino, Italo, « Commencer et finir », in Défis aux labyrinthes, Paris, Seuil, 2003, t. II, p. 105-121.
Chevillot, Frédérique, La Réouverture du texte. Balzac, Beckett, Robbe-Grillet, Roussel, Aragon, Calvino, Bénabou, Hébert, Saratoga, Anma Libri, « Stanford French and Italian Studies », 1993.
Del Lungo, Andrea, L’incipit romanesque, Paris, Seuil (Poétique), 2003.
Del Lungo, Andrea (dir.), Le début et la fin du récit. Une relation critique, Paris, Classiques Garnier, 2010.
Gollut, Jean-Daniel & Zufferey, Joël, Construire un monde : les phrases initiales de La Comédie humaine, Lausanne, Paris, Delachaux et Niestlé, 2000.
Hamon, Philippe, « Clausules », Poétique, 1975, p. 495-526.
Hélias, Pierre-Jakez, Le quêteur de mémoire : quarante ans de recherche sur les mythes et la civilisation bretonne, Paris, Plon, 1990.
Kermode, Frank, The Sens of an Ending, Oxford, Oxford University Press, 1967.
Larroux, Guy, Le Mot de la fin. La clôture narrative en question, Paris, Nathan, 1995.
Levine, Caroline, « Endings an Sustainability », Beyond Narrative : Exploring Narrative Liminality and Its Cultural Work, Bielefeld, transcript Verlag, 2022, p. 249-61.
Mortimer, Armine Kotin, La Clôture narrative, Paris, José Corti, 1985.
Tassel, Alain « La clôture narrative. Perspectives théoriques et pratiques textuelles. Les choix esthétiques de François Mauriac », Cahiers de Narratologie [En ligne], 7 | 1996, URL : http://journals.openedition.org/narratologie/11783.
Torgovnick, Marianna, Closure in the Novel, Princeton, Princeton University Press, 1981.
Weinrich, Harald, Le Temps : le récit et le commentaire, Paris, Seuil (Poétique), 1973.