Actualité
Appels à contributions
Du pouvoir des affects au théâtre : Effet esthétique et politiques de la représentation (Graz, Autriche)

Du pouvoir des affects au théâtre : Effet esthétique et politiques de la représentation (Graz, Autriche)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Verena Richter)

Du pouvoir des affects au théâtre : Effet esthétique et politiques de la représentation 

Du 7 au 9 décembre 2023 - Université de Graz, Autriche - Organisé par Verena Richter & Kurt Hahn


 
Depuis toujours, le théâtre et les dispositifs de représentation qui lui sont apparentés – comme l’opéra, les fêtes et les rites – créent des situations spécifiques qui mettent en valeur le plaisir avéré d’un point de vue anthropologique de se déguiser et de se transformer, de simuler et de dérouter. Sur scène se déroule devant un public un jeu de personnages dans la composition plurimédia duquel tout peut devenir signe[1] et où s’élabore un modèle de monde qui suit ses propres lois tout en restant similaire à la réalité contextuelle. Dans le jeu de l’illusion qui caractérise la situation théâtrale s’ouvrent, en outre, de multiples occasions de négociation qui s’inscrivent dans un contexte discursif, social et politique global [2]. Or, les politiques de la scène s’articulant de cette manière ne contredisent en rien le plaisir que ce jeu peut procurer et trouvent de surcroît un écho important dans la perception sensorielle[3].

Si, sur scène, tout est promu au rang de signe, il va de soi que tout peut être (re)présenté et interprété politiquement, et qu’il est possible d’exposer et de saper les rapports de pouvoir, de légitimer ou de dénoncer différents types de domination et de formes étatiques et sociales, tout comme de combiner les énergies socio-économiques ou les situations de conflit culturel dans l’action intersubjective des personnages. Mais bien plus encore : la sémiotique du théâtre – selon le consensus des études théâtrales depuis E. Fischer-Lichte – s’ouvre sur une théâtralité et une performativité spécifiques. Avant même toute structure de sens constituée par des signes, celles-ci déploient des potentiels de signification "aisthétiques" qui intègrent tant la fiction scénique et la communication avec le public que des façons explicites d’affecter ce dernier sur le plan politique. À cet égard, nous pensons notamment aux sanglants sacrifices des comedias de honor du Siècle d’or espagnol, aux tragédies classiques de Racine dans lesquelles sont sondés les points aveugles de la société courtoise à travers les regards chargés d’affect des personnages (J. Starobiniski), aux tragédies républicaines de Vittorio Alfieri qui exhibent des bouleversements physiques sous le signe de renversements politiques (D. Winkler), ou encore aux efforts pour constituer un théâtre national dans la dramaturgie de la pitié de Lessing et dans « l’éducation esthétique » du théâtre schillérien. Il serait également possible d’évoquer la combinaison de catégories d’effets esthétiques contradictoires dans le drame romantique[4] qui, en tant qu’élément-clé d’une poétique anticlassique, s’entend comme subversion de structures sociopolitiques dépassées. Ceci culmine dans l’esthétique de la provocation des avant-gardes dont les pièces dérangeantes et les performances physiques intenses rompent avec les valeurs traditionnelles et célèbrent la cruauté au théâtre. La théâtralité, la performativité et la médialité multiforme du théâtre libèrent sur scène des potentiels d’action et d’interprétation à partir desquels se déploie souvent un caractère très ambigu. En effet, ceux-ci vont parfois à l’encontre des suggestions de sens évidentes de la communication verbale et non-verbale, de la focalisation et d’autres procédés éveillant la sympathie du spectateur pour certains personnages, voire même ils les relativisent, les démentent et les contrecarrent.

Dans notre colloque, nous nous proposons de tenir compte de ces deux dimensions du théâtre, à savoir sémiotique et performative, et d’interroger sa capacité à créer des mondes en particulier en termes de constructions et/ou de déconstructions du politique. De ce point de vue, notre attention se portera principalement sur les dynamiques des affects qui nécessitent d’être historicisées et qui, selon leur contexte épistémologique, psychologique ou esthétique, se trouvent corrélées avec des notions proches sur le plan sémantique (pathos, passio, passion, sentiment, sensation, émotion). Le théâtre, véritable "machine à émotions"[5], capable de tout montrer, de tout déclencher, depuis la lamentation et le frisson jusqu’à la plus sensible des émotions et l’indignation démagogique, et de créer ainsi des communautés (même s’il ne s’agit que de communautés d’exclusion et de séparation), possède en soi un pouvoir immense : un pouvoir neutre d’enchantement ou de désenchantement, de révélation ou d’accusation, de manipulation tout comme de subversion et de révolution ; un pouvoir qui peut tout autant déconcerter et remettre en question qu’être instrumentalisé ; un pouvoir qui, chargé d’affect, risque toujours de devenir politique, doit expressément devenir politique et ne désigne parfois rien d’autre que de l’impuissance.

Les axes de lecture suivants peuvent servir de points de départ pour de possibles contributions :

 
·      Théâtre, communauté d’affects, formation des nations

·      Théâtre, traumatisme historique, témoignage

·      Espaces politiques du théâtre (par ex. hétérotopies du théâtre)

·      Dépsychologisation, dépersonnalisation et impact affectif

·      L’illusion théâtrale, Verfremdung, métathéâtralité

·      Plurimédialité du théâtre et les différentes manières d’être affecté

·      Genre /style théâtral et politique de l’affect

·      Théories du drame et discussion historique autour des processus de réception 

·      Gestion des affects entre le tragique et le comique

·      Politiques de l’affect à l’épreuve des bouleversements épistémologiques

·      Sémantique historique de l’affect, de l’émotion et des terminologies apparentées

·      Affect et différences inter- et transmédiales

·      Politiques de l’affect dans des dispositifs de représentation voisins (opéra, film, etc.)

 
Nous vous invitons à nous envoyer vos réflexions sur ces différents aspects ou au-delà afin de discuter avec nous des multiples facettes de la politique des affects au théâtre. Merci de faire parvenir vos propositions de contribution jusqu’au 15 mai 2023 à verena.richter@uni-graz.at

Bibliographie

Bargetz, Brigitte (2019), „Die affektive Vermessung der Welt. Affektive Politiken“, dans Emotionen. Ein interdisziplinäres Handbuch, éds. Hermann Kappelhoff, Jan-Hendrik Bakels, Hauke Lehmann et Christina Schmitt, Weimar/Stuttgart, Metzler, p. 365-374.

Behrens, Rudolf; Jörn Steigerwald (éds.) (2005), Die Macht und das Imaginäre. Eine kulturelle Verwandtschaft in der Literatur zwischen Früher Neuzeit und Moderne, Würzburg, Königshausen & Neumann.

Benjamin, Walter (2000): Ursprung des deutschen Trauerspiels [1928], éds. Rolf Tiedemann, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp.

Brooks, Peter (1976), The Melodramatic Imagination. Balzac, Henry James, Melodrama, and the Mode of Excess, New Haven, Yale University Press.

Campe, Rüdiger (1990), Affekt und Ausdruck. Zur Umwandlung der literarischen Rede im 17. und 18. Jahrhundert, Tübingen, Niemeyer.

Chihaia, Matei (2002), Institution und Transgression. Inszenierte Opfer in Tragödien Corneilles und Racines, Tübingen, Narr.

Fischer-Lichte, Erika (éds.) (2001), Theatralität und die Krisen der Repräsentation, Stuttgart/Weimar, Metzler.

Fischer-Lichte, Erika; Benjamin Wihstutz (éds.) (2010), Politik des Raumes. Theater und Topologie, München, Wilhelm Fink.

Fischer-Lichte, Erika; Jörg Schönert (éds.) (1999), Theater im Kulturwandel des 18. Jahrhunderts. Inszenierung und Wahrnehmung von Körper – Musik – Sprache, Göttingen, Wallstein.

Fischer-Lichte, Erika; Matthias Warstat; Anna Littmann (éds.) (2012), Theater und Fest in Europa. Perspektiven von Identität und Gemeinschaft, Tübingen, Francke.

Hebekus, Uwe; Ethel Matala de Mazza; Albrecht Koschorke (éds.) (2003), Das Politische. Figurenlehren des sozialen Körpers nach der Romantik, München, Wilhelm Fink.

Kappelhoff, Hermann (2004), Matrix der Gefühle. Das Kino, das Melodrama und das Theater der Empfindsamkeit, Berlin, Vorwerk 8.

Knaller, Susanne et al. (éds.) (2017), Writing emotions. Theoretical concepts and selected case studies in literature, Bielefeld, transcript.

Knaller, Susanne; Rita Rieger (éds.) (2016), Ästhetische Emotion. Formen und Figurationen zur Zeit des Umbruchs der Medien und Gattungen (1880-1939), Heidelberg, Winter.

Kolesch, Doris (2006): Theater der Emotionen. Ästhetik und Politik zur Zeit Ludwigs XIV., Francfort-sur-le-Main, Campus.

Koppenfels, Martin von; Cornelia Zumbusch (éds.) (2016), Handbuch Literatur & Emotionen, Berlin, De Gruyter.

Koschorke, Albrecht; Thomas Frank; Ethel Matala de Mazza; Susanne Lüdemann (2007), Der fiktive Staat. Konstruktionen des politischen Körpers in der Geschichte Europas, Francfort-sur-le-Main, S. Fischer.

Mahler, Andreas (2013), “Aesthetic Illusion in Theatre and Drama: An Attempt at Application”, dans Immersion and Distance. Aesthetic Illusion in Literature and Other Media, éds. Werner Wolf, Walter Bernhart et Andreas Mahler, Amsterdam/New York, Rodopi, p. 151-182.

Meyer-Sickendiek, Burkhard (2005), Affektpoetik. Eine Kulturgeschichte literarischer Emotionen, Wurtzbourg, Königshausen & Neumann.

Nitsch, Wolfram (2000), Barocktheater als Spielraum. Studien zu Lope de Vega und Tirso de Molina, Tübingen, Narr.

Port, Ulrich (2005), Pathosformeln. Die Tragödie und die Geschichte exaltierter Affekte (1755-1888), München, Wilhelm Fink. 

Rainer Ruppert (1995), Labor der Seele und der Emotionen. Funktionen des Theaters im 18. und 19. Jahrhundert, Berlin, Sigma.

Rancière, Jacques (2000), Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique.

Rancière, Jacques (2008), Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique.

Rancière, Jacques (2011), Aisthesis. Scènes du régime esthétique de l’art, Paris, Galilée.

Spitzer, Leo (1931), „Die klassische Dämpfung in Racines Stil“, dans Romanische Stil- und Literaturstudien I, Marburg, Ewert, p. 135-269.

Teuber, Bernhard (2000), „Die frühneuzeitliche Tragödie als Opfer auf dem Theater? – Inszenierungsformen ritueller Gewalt im spanischen Barock und in der französischen Klassik“, dans Lesbarkeit der Kultur – Literaturwissenschaften zwischen Kulturtechnik und Ethnographie, éds. Gerhard Neumann et Sigrid Weigel, München, Wilhelm Fink, p. 79-99.

Warstat, Matthias (2020), „Emotion und Theater. Performativität, Theatralität“, dans Emotionen. Ein interdisziplinäres Handbuch, éds. Hermann Kappelhoff, Jan-Hendrik Bakels, Hauke Lehmann et Christina Schmitt, Weimar/Stuttgart, Metzler, p. 410-415.

Winkler, Daniel (2016), Körper, Revolution, Nation. Vittorio Alfieri und das republikanische Tragödienprojekt der Sattelzeit, Paderborn, Fink.


 
[1] Voir A. Ubersfeld, Lire le théâtre I, Paris, Belin 1996, p. 20-30.
[2] Voir notamment St. Greenblatt, Renaissance Self-Fashioning. From More to Shakespeare [1980], Chicago, University of Chicago Press 2005; Shakespearean Negotiations. The Circulation of Social Energy in Renaissance England, Oxford, Clarendon 1988.
[3] Voir J. Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique 2000, 13-14; Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique 2008; Aisthesis. Scènes du régime esthétique de l’art, Paris: Galilée 2011, ch. 5-7.
[4] Cf. V. Hugo, „Préface de Cromwell“, 1827.
[5] Cf. D. Kolesch, Theater der Emotionen. Ästhetik und Politik zur Zeit Ludwigs XIV., Francfort-sur-le-Main, Campus 2006, p. 51.