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L'identification dans les lettres et les arts (Tunis)

L'identification dans les lettres et les arts (Tunis)

Publié le par Marc Escola (Source : Afef Arous-Brahim)

Le laboratoire Intersignes, Université de Tunis, Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, organise une journée d’études intitulée :

« L’identification dans les lettres et les arts »

Le 2 mai 2023

 

 Le 3 janvier 1889, Piazza Carlo Alberto, devant la fontaine, [Nietzsche] regarde un vieux cheval humilié que son propriétaire frappe avec violence. Le cheval regarde Nietzsche avec un tel air de douleur que ce dernier court vers lui, l’enlace et perd à jamais l’esprit. Pascal Quignard, Les Désarçonnés.


La question de l’identification ne cesse d’alimenter les réflexions qui ont trait à la sociologie, aux sciences de l’éducation, à la psychologie et à la psychanalyse ou encore aux études artistiques et linguistiques. Parce qu’elle est plurielle, l’identification se figure selon des processus qui sont, selon Dominique Rabaté, « assez rarement analysés dans la complexité de leur dynamique ».

 Freud définit l’identification comme étant « l'assimilation d'un moi à un autre, étranger, en conséquence de quoi ce premier moi se comporte, à certains égards, de la même façon que l'autre, l'imite et, dans une certaine mesure, le prend en soi[1] ». Laplanche et Pontalis, quant à eux, la définissent comme un « processus psychologique par lequel le sujet assimile un aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme, totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications[2] ». Ils en distinguent trois types : l’identification centrifuge, centripète et réciproque. L’identification centrifuge (ou idiopathique) sert à désigner un processus psychique dans lequel le sujet identifie l’autre à sa personne, l’identification centripète (ou hétéropathique) consiste dans le fait que le sujet identifie sa personne propre à une autre et l’identification réciproque, qui est plus complexe, prend forme quand les deux mouvements coexistent et rendent compte au final d’un « nous » unificateur. 

Le processus d’identification, en littérature, implique le triple rapport auteur-lecteur-personnage et s’apparente à un « partage du sensible », selon Jacques Rancière, qui rappelle que l’esthétique n’est pas considérée comme « la théorie de l’art en général ou une théorie de l’art qui le renverrait à ses effets sur la sensibilité, mais un régime spécifique d’identification et de pensée des arts ». Le rapport que Flaubert avait entretenu avec ses personnages est symptomatique de la complexité de ce processus. « Les personnages imaginaires m’affolent, me poursuivent, où plutôt c’est moi qui suis dans leur peau[3] », écrit-il.  

Néanmoins, cette identification ne se limite pas à l’auteur, elle touche aussi le lecteur. Le bovarysme n’est-il pas une manifestation révélatrice de ce lecteur qui cherche « à construire sa vision du monde à partir de ses lectures de romans » ? (Christine Montalbetti). La valeur du personnage, son succès même, ne sont-ils pas conditionnés par sa capacité à endosser le rôle de médium et à devenir le miroir sur lequel viennent se mirer, voire fusionner, l’auteur et le lecteur ? 

Dans le domaine littéraire et artistique, l’identification sert à désigner un processus psychologique créant un lien entre le lecteur ou le spectateur et le personnage d’une fiction. Le lecteur ou/et le spectateur admirent un personnage, mais ils demeurent inconscients de la projection qu’ils effectuent sur cet avatar, cet alter-ego. Aussi, l’identification n’est pas conditionnée par des considérations d’ordre moral dans la mesure où ce lecteur ou spectateur peut s’identifier à des anti-héros, voire même à des figures d’adversité comme celui de la pièce théâtrale Roberto Zucco de Koltès ou celui du roman L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, qui s’inspirent de la vie de deux tueurs en série. 

Par ailleurs, l’impossible identification de l’artiste-peintre, comme auteur anonyme de son œuvre, conditionne-elle sa réception ? (Bansky, Jean-Michel Basquiat et Al Diaz)     

En langue, la notion d’identification est une autre fonction du verbe « être » qui s’ajoute aux fonctions prédicative (copulative) et attributive (locale). Avec cette fonction identificatrice, le verbe « être » souligne que le sujet a le même référé que l’attribut, contrairement à la fonction attributive où l’on attribue une qualité au sujet. 

Peut-on considérer la fonction d’identification en langue comme un « universel langagier » ? Comment la réalisation de celle-ci dans plusieurs langues naturelles se fonde-t-elle sur le double rapport complexe entre la langue et la pensée humaine, d’une part, la langue et la culture, d’autre part ? C’est dans ce sens qu’il y a lieu de s’interroger sur le caractère radicalement universel de la fonction d’identification en langue et les intentions de communication des sujets parlants selon des contextes socio-culturels variés manifestant le double rapport langue-pensée, langue-culture. 

Cette journée d’études se propose d’enrichir la réflexion sur l’identification, ses processus, son fonctionnement et sa valeur. Les propositions d’une demi page (200 mots) et d’une brève bibliographie sont à envoyer à l’adresse suivante : identificationjourneedetude@gmail.com , avant le 15 avril 2023

Nous tenons à informer les participants que les axes, que nous proposons ci-dessous, ne sont pas exhaustifs : 

- identification, empathie et rhétorique des émotions,
- identification entre bovarysme et aliénation,
- identification et écriture de soi,
- identification et esthétique de la réception,
- identification et intelligence artificielle,
- identification et statut du lecteur.


Le comité d’organisation

Afef AROUS-BRAHIM, 
Mohamed NAOUAR,
 et Afifa ZAGHOUANI

Bibliographie 

-DIAZ, José- Luis, « Les victimes des livres », in Littera, Revue de la Société japonaise de langue et littérature françaises, vol.2, 2017, pp. 96-120. [En ligne] :  https://www.jstage.jst.go.jp/article/littera/2/0/2_96/_pdf 
- ECO, Umberto, « Quelques commentaires sur les personnages de fiction » (trad. de l’anglais par Francis Farrugia), SociologieS [En ligne], Dossiers, Émotions et sentiments, réalité et fiction, 2010.
- GALIANDRO, Stefania, « Empathie et esthésie : un retour aux origines esthétiques », in Revue Française de Psychanalyse, mars 2004, vol. 68, p.791-800.
- Gardes-Tamine, Joëlle, La Grammaire, Paris, Armand Colin, coll. Cursus, 1988
- GEFEN, Alexandre et Bernard VOUILLOUX (dir.), Empathie et esthétique, Paris, Hermann, 2013.
- GERVAIS, Bertrand et BOUVET Rachel, Théories et pratiques de la lecture littéraire, Québec, Presses Universitaires du Québec, « Hors collection », 2007.
- JAUSS, Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1978.
- JOUVE, Vincent (dir.), L’expérience de lecture, Paris, Éd. L’Improviste, 2005.
- JOUVE, Vincent, L’Effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, coll. Écriture, 1992.
- KEEN Suzanne, « A Theory of Narrative Empathy », Narrative, vol. 14, no 3, p. 207-236.
- LAPLANCHE, Jean et PONTALIS JEAN, Bertrand, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Dictionnaires Suadrige », 2007.
- PÉZARD, Émilie (dir.), « Le personnage, un modèle à vivre », Colloques Fabula, 2018 [En ligne] : https://www.fabula.org/colloques/sommaire5074.php  
- RABEAU, Sophie (dir.), Lire contre l’auteur, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Essais et savoirs », 2012.
 
[1] Sigmund Freud, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1989, p. 88-89.
[2] Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967, p. 187-188.
[3] Gustave Flaubert, Lettre à Hippolyte Taine, [20 ? novembre 1866], Correspondance, Paris, Gallimard « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, Tome III, p. 562.