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Bande dessinée et écopolitique (revue Comicalités)

Bande dessinée et écopolitique (revue Comicalités)

Publié le par Marc Escola (Source : Margaret C. Flinn)

Please note, Comicalités is a bilingual (French and English) journal.

The complete call for papers in English may be viewed here: https://journals.openedition.org/comicalites/8174

Dans le contexte d’une prise de conscience collective de l’urgence climatique et de la sixième extinction massive, on assiste ces dernières années à une explosion du nombre de bandes dessinées sur le thème de l'environnement, lequel s’impose plus largement comme un sujet clé dans la production artistique et culturelle d’aujourd’hui. Si cette vague contemporaine d’« EcoComix » (Dobrin 2020) est inédite de par son ampleur et sa visibilité, la bande dessinée et le dessin de presse sont depuis longtemps mobilisés pour aborder les questions écologiques et s’engager dans le militantisme « vert », notamment depuis l’essor de l’écopolitique dans les années 1960 et 1970. Alors que la bande dessinée commence à attirer une attention plus soutenue au sein des humanités environnementales (par exemple LeMenager 2013 ou Heise 2016), on constate également un intérêt académique croissant dans les recherches sur la bande dessinée pour le « potentiel écocritique » du média (Casper 2020 ; voir aussi Blin-Rolland 2022, Dobrin 2020 et Flinn 2018).

Ce dossier thématique entend réfléchir sur le potentiel écopolitique de la bande dessinée. L'écopolitique et les questions des intersections entre l'environnementalisme et d'autres luttes politiques pour la justice, s’imposent avec une urgence renouvelée dans l’Anthropocène, un terme contesté pour son universalisme en tant qu’« Âge de l'Homme » et son effacement des manières dont l’impérialisme et les inégalités marquent cette nouvelle ère géologique. L'importance historique et contemporaine des engagements écologistes par le texte et image montre la productivité d'un dialogue entre bande dessinée et écopolitique par rapport à ce qui peut être considéré comme un genre spécifique. Par ailleurs, et plus largement, cela ouvre la perspective d’une « approche interprétative » du média, pour reprendre les mots d’Elena Past sur « l’écocinéma » (2019 : 3). Cette approche peut notamment mener à une réflexion sur l'imbrication de la bande dessinée dans les constructions idéologiques de la « nature », comme on le voit par exemple dans l'imaginaire des écosystèmes africains dans la bande dessinée (néo-)coloniale ; et la place du média dans la culture matérielle, y compris sa matérialité en tant que produit issu de « ressources naturelles ».

Ce dossier thématique s'inspire de l’évolution de l'écocritique, qui a délaissé le mode référentiel qui dominait les premières recherches pour développer des interprétations critiques et subversives de la poétique et politique de la signification et de la matière (voir par exemple Iovino et Oppermann 2014), à partir de divers contextes géopolitiques et de perspectives croisées. Ce dossier sollicite ainsi des approches méthodologiques et des cadres théoriques innovants pour explorer les complexités de l'écopolitique de la bande dessinée. Il s'agit ici de lire les textes dans leur(s) contexte(s), imbriqués dans ou résistant contre les discours idéologiques sur la « nature » et leurs impacts matériels sur les corps et les territoires. Cela signifie également penser la bande dessinée à la fois comme récit graphique et produit matériel, art et industrie, partie intégrante d'une culture de l'imprimé historiquement « complice du mode de vie axé sur l'extraction des ressources » (Puchner 2022 : 73), et d'un système économique dans lequel le discours sur la durabilité peut rapidement tourner au greenwashing – comme l’a mis en évidence la controverse autour du Prix Eco-Fauve Raja du FIBD 2022 pour la bande dessinée environnementale en raison de son parrainage par une multinationale de l'emballage.

Ce dossier thématique interroge les intersections de la bande dessinée et l’écopolitique, dans le contexte contemporain ainsi que dans une perspective historique, et dans différents contextes géographiques, en particulier ceux qui restent encore méconnus des recherches sur la bande dessinée. Nous sollicitons des contributions déclinées autour de trois axes complémentaires (sans toutefois s’y limiter) :

Bande dessinée et perspectives écopolitiques situées

Un premier axe se portera sur les façons dont la bande dessinée peut exprimer des manières d’être vivant qui critiquent et s’opposent aux récits hégémoniques de la nature et la « perspective ostensiblement sans perspective » de la « vision anthropocène » (Alaimo 2016). Nous nous concentrerons ici sur les manières dont la bande dessinée peut communiquer des « savoirs situés » (Haraway 1988) dans divers contextes régionaux/nationaux/transnationaux, y compris les cultures minorisées ; et à partir de perspectives diverses telles que les écologies féministes, décoloniales, queer et/ou crip. Comment la bande dessinée est-elle utilisée dans les luttes pour la justice environnementale dans différents contextes historiques et géopolitiques ? Comment les artistes de bande dessinée redessinent et déstabilisent-elles ou ils les constructions anthropocentriques, genrées, impérialistes et/ou hétéronormatives de la « nature » ? Les questions environnementales sont-elles abordées différemment dans différentes traditions et cultures de la bande dessinée, notamment entre le Nord global et le Sud global ? Comment la bande dessinée traite-t-elle de l’héritage toxique et des impacts écologiques du colonialisme, y compris par rapport à l’histoire coloniale du média ? Quelle est l'importance de l'environnement dans les productions d'artistes de bande dessinée issu·e·s de milieux et de communautés minoritaires ? Comment la bande dessinée rentre-t-elle en dialogue avec les épistémologies non occidentales telles que les visions du monde indigènes ?

Genres de bande dessinée et formes écopolitiques

Un deuxième axe portera sur les questions de genre et de forme. Le documentaire, très présent dans la bande dessinée écopolitique, permet généralement une approche militante et un appel à la mobilisation plus explicites que la fiction. Pourtant, les récits fictifs peuvent « aider à la construction de nouveaux récits de soi individuels et collectifs plus durables » (Herman 2014 : 131). De quelles manières la non-fiction et la fiction sont-elles mobilisées pour l'engagement écopolitique ? Comment différents genres, tels que la science-fiction, le cli-fi, l'autobiographie, le thriller, l'aventure ou la comédie, sont-ils utilisés pour articuler une écopolitique ? À quelles lectures écopolitiques le genre de la bande dessinée industrielle appelle-t-il ? Comment différents formats et divers modes de circulation et de diffusion (album, numérique, dessin de presse…) abordent-ils les problèmes environnementaux et les réponses à ceux-ci, telles que les mobilisations pour la justice environnementale, le déni climatique ou l’éco-anxiété ? Comment les engagements écopolitiques s’articulent-ils du point de vue de la forme, au-delà des questions de représentation au niveau narratif ? L'ampleur de l'urgence climatique pousse-t-elle les artistes à jouer et à expérimenter avec la forme, les codes et les conventions du média ? Comment la bande dessinée peut-elle être utilisée comme outil pédagogique pour développer une conscience écologique, par exemple dans des ateliers ? Quelles approches écopolitiques sont développées dans la bande dessinée et les revues de bande dessinée pour enfants et jeunes lectrices et lecteurs ? Au-delà des bandes dessinées sur le thème de l'environnement, les manières de dessiner le non-humain ont-elles évolué alors que la prise de conscience écologique s’est intensifiée ? Et comment mesurer l'impact de l'engagement écopolitique en bande dessinée ? Certains genres ou formats réussissent-ils mieux que d'autres à sensibiliser à l'écologie et/ou à inspirer l'action individuelle et collective ?

Approches écopolitiques de la matérialité de la bande dessinée

Ce troisième axe met l'accent sur la matérialité de la bande dessinée et sa place au sein de la culture matérielle, apportant ainsi une approche écopolitique aux recherches dans ce domaine (voir le dossier thématique de Comicalités). Comment l'industrie de la bande dessinée répond-elle aux appels à la durabilité et aux controverses autour du greenwashing et du capitalisme vert ? Quelles complexités et ambiguïtés écopolitiques émergent des textes qui réfléchissent à leur propre matérialité en tant que produits issus de « ressources naturelles », et le fait que la circulation de l'art visuel sur papier est l'une des « pratiques industrielles les plus anciennes et les plus dommageables pour l'environnement » (LeMenager 2014 : 121), nécessitant d'énormes quantités d'arbres et d'eau ? Comment les artistes de bande dessinée réfléchissent-elles et ils à, et agissent-elles et ils sur leur propre impact environnemental, par exemple la prise de conscience de Philippe Squarzoni de son empreinte carbone en tant qu’auteur de renommée internationale dans Saison brune, ou le lancement par Tom Tirabosco avec d’autres créatrices et créateurs suisses d'une Charte des artistes, acteurs et actrices culturelles pour le climat ? Quelle place la bande dessinée a-t-elle joué et joue-t-elle encore dans la culture extractive – on pense ici par exemple à des revues telles que, en France, Total Journal, ou au Congo, Mwana Shaba Junior – et que révèle une approche écopolitique de l’instrumentalisation de la bande dessinée au sein du capitalisme extractif ?



Modalités de soumission

Le présent appel à communication est ouvert à tou·te·s les chercheuses et chercheurs, quel que soit leur statut et leur origine. Nous les invitons à nous répondre en nous soumettant deux documents :

Une courte notice bio-bibliographique.

Un texte anonyme en français ou en anglais de maximum 3000 caractères, espaces compris. Ce résumé présentera le positionnement théorique et le corpus retenus, ainsi que les principales conclusions attendues.

Ce dossier est également ouvert à des formats différents de celui d’un article scientifique standard et sollicite également des formes brèves : entretiens, articles courts, présentations de documents.

Les propositions seront évaluées de façon anonyme par le comité éditorial de la revue. Cette première acceptation ne garantit pas une publication, mais vaut pour encouragement et s’accompagnera éventuellement de suggestions quant à un article, d’une taille comprise entre 15 000 (pour les formes brèves) et 50 000 signes (articles plus classiques), espaces compris. Elles devront être envoyées avant le 1er juin 2023 à :

Armelle Blin-Rolland (a.blin-rolland@bangor.ac.uk), Margaret C. Flinn (flinn.62@osu.edu) et Johanna Sellman (sellman.13@osu.edu).

Les articles complets seront à rendre pour le 1er décembre 2023.



Bibliographie

Alaimo, Stacy. 2016. Exposed: Environmental Politics and Pleasures in Posthuman Times. Minneapolis: University of Minnesota Press.

Blin-Rolland, Armelle. 2022. ‘Towards an Ecographics: Ecological Storylines in Bande Dessinée’, European Comic Art, 15.2, pp. 107-131.

Casper, Cord-Christian. 2020. ‘What Grows in the Gutter? – About this Issue’, Closure, vol. 7 https://www.closure.uni-kiel.de/closure7/about

Dobrin, Sidney I.(ed.). 2020. EcoComix: Essays on the Environment in Comics and Graphic Novels. Jefferson: McFarland. 

Flinn, Margaret C.. 2018. ‘Popular Terroir: Bande Dessinée as Pastoral Ecocriticism?’, Studies in 20th & 21st Century Literature, Vol. 43, No. 1, Article 5. https://doi.org/10.4148/2334-4415.2041.

Haraway, Donna, 1998. ‘Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective’. Feminist Studies, Vol. 14, No. 3, pp. 575-599.

Haraway, Donna. 2016. Staying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene. Durham: Duke University Press. 

Heise, Ursula K. 2016. Imagining Extinction: The Cultural Meanings of Endangered Species. Chicago: The University of Chicago Press. 

Herman, David. 2014. ‘Narratology Beyond the Human’. Diegesis, vol. 32, no. 1, pp. 131–43.

Iovino, Serenella, and OPPERMANN, Serpil (eds). 2014. Material Ecocriticism. Bloomington: Indiana University Press. 

Lemenager, Stephanie. 2016. Living Oil: Petroleum Culture in the American Century. New York: Oxford University Press. 

Past, Elena. 2019. Italian Ecocinema: Beyond the Human. Bloomington: Indiana University Press. 

Puchner, Martin. 2022. Literature for a Changing Planet. Princeton and Oxford: Princeton University Press.