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Qu'est-ce qu'un geste ? Critique, littérature, pensée (Louvain-la-Neuve, Belgique)

Qu'est-ce qu'un geste ? Critique, littérature, pensée (Louvain-la-Neuve, Belgique)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Marta Sábado)

Journée d’étude & atelier de réflexion

10 novembre 2023

Qu’est-ce qu’un geste ? Critique, littérature, pensée


Pour nommer concrètement la forme et le mouvement que peut prendre la création intellectuelle, on remarque depuis plusieurs années l’emploi du mot  “geste”. On rencontre de plus en plus l’expression de “geste critique” pour nommer un acte d'intellection ou de création; ou encore l’expression de “geste de pensée” pour désigner un acte de pensée. Ce qui attire tout d’abord l’attention est la réunion de deux éléments de nature opposée: l’incarné et le concret (geste) d’une part, le mental et l’abstrait (critique, pensée) de l’autre. Le mot de “geste” fonctionne comme une métaphore permettant de donner à voir les mouvements de la pensée. Or, l’hypothèse inverse est tout aussi possible: et si les expressions “geste critique” ou “geste de pensée” n’étaient pas une métaphore, mais l’un des moyens de dire et de conceptualiser ce qui advient réellement chez le penseur au moment de créer ou de façonner les idées ? Et si la pensée, était, en effet, geste ? La journée d’étude que nous proposons part de cette interrogation.

L’objectif de cette rencontre est de réunir des chercheurs et chercheuses travaillant sur la notion de “geste” en lien avec les études littéraires, afin de réfléchir ensemble à ce que signifie pour nous cette notion, comment nous nous en servons, les définitions que nous lui octroyons et avec quels outils. Nous souhaitons cerner cette expression devenue un topos et interroger ses potentialités en tant que concept et en tant qu’outil heuristique dans le domaine des études littéraires. Enfin, nous aspirons à réfléchir à ce que le “geste” dit de notre façon contemporaine de penser, de concevoir et de manier nos objets intellectuels.

Notons que l’enjeu de notre questionnement s’inscrit dans une démarche phénoménologique. Le geste de pensée saisit et donne forme à l’idée en creux d’un corps qui appréhende. Pour Merleau-Ponty, en effet, l’expressivité du geste corporel rejoint celles de la parole et de la pensée : toutes trois s’enracinent dans le préréflexif et visent une extériorité. Ainsi, dans un texte (critique, philosophique, et même littéraire), il serait possible de lire le geste qui est aussi tour de pensée. Pour Michel Guérin, dans Philosophie du geste, “ce qui forme la courbe du geste comme corps vivant intelligent et sensible [...] se retrouve, se réfléchit dans le tour de pensée” (p. 116). Yves Citton, de son côté, fait des gestes des vecteurs d’humanité. Dans son enquête, les gestes sont définis comme immédiats et pensés comme médiateurs entre le sujet et le monde. Comme chez Guérin, pensée et corps (via le geste) se trouvent imbriqués.

Une première piste de réflexion, en effet, consiste à voir dans le geste un mouvement mental de la pensée d’un sujet. Le “geste” met l’accent sur le processus et la forme de production plutôt que sur le produit de la pensée. Il permet de visualiser la spatialisation de la pensée. Étudier les gestes serait alors observer les opérations de la pensée, en étant particulièrement attentif à la manière dont elles se produisent. En outre, ainsi conçu, le geste est intentionnel et de nature relationnelle (il crée des liens entre le sujet et l’objet, entre le sujet et les autres sujets, entre les objets). Le geste  est aussi idiosyncratique et inimitable (quoique pastichable): chacun pense et se meut selon un tempo, une éthique et une sensibilité singulières. Enfin, notons que le “geste de pensée” rappelle l’expression déjà canonisée de “geste créateur”, qui permet justement d’appuyer sur l’aspect performatif, corporel, mouvant de la création ou de l’invention. Le “geste critique” ou “de pensée” est alors peut-être une conséquence du tournant qui octroie à la théorie et à la critique une dimension créative.

Les travaux qui touchent directement ou indirectement à la notion de “geste” sont de plus en plus nombreux et se déplacent depuis une trentaine d’années de l’anthropologie et l’histoire de l’art vers les études littéraires. Parmi ces entreprises variées, complémentaires ou non, se trouvent représentées différentes disciplines : la philosophie (Michel Guérin), l’esthétique (Gérard Dessons, Marielle Macé, Yves Citton), la linguistique (Carlota Fernández-Jauregui), la littérature et les sciences cognitives (Guillemette Bolens), les rapports texte-image (Anne Reverseau) ou la critique littéraire (Cécile Raulet, Marta Sábado). Ces travaux, de champs et inspirations divers, sont le signe de la variété de réflexion à laquelle invite le “geste”; cette journée d’étude a aussi l’ambition d’embrasser et réunir ces initiatives et ainsi d’actualiser une bibliographie de cette notion pour les études littéraires. 

Cette rencontre est envisagée sous la forme à la fois d’une journée d’étude et d’un atelier de réflexion aspirant à mettre en commun les recherches en cours sur la notion de geste en littérature: un temps important sera consacré à la discussion des propositions et hypothèses soumises.

Les participant·e·s sont invité·e·s à explorer l’un de ces trois axes.

Axe 1: comment penser le geste dans les études de lettres ?

C’est-à-dire: quelle force heuristique, métaphorique, matérielle, lui conférer? En quoi une approche par le geste peut-elle être complémentaire d’autres méthodes de commentaire de texte ou d’analyse stylistique? Enfin, quelles avancées épistémologiques attendons-nous de l’emploi de la notion de geste ? 

Axe 2: de là, des questionnements plus spécifiquement autoréflexifs et métacritiques :  quels intérêts et pièges y a-t-il à concevoir la pensée comme spatiale? Comment produisons-nous de la pensée, des gestes?  

Et, à partir de cette attention pour les formes que prennent les opérations de pensée: qu’est-ce qui fait la nature précisément critique d’un geste (en littérature, en critique, en régime intellectuel) ? Et comment nous, chercheurs, produisons-nous des gestes (critiques)? De vos pratiques de littéraires, des gestes spécifiques se dégagent-ils, qui pourraient être exportés au-delà de leur usage singulier et concret, associé à tel auteur ou corpus?

Axe 3: afin d’appréhender le geste, les propositions pourront bien sûr prendre plus centralement pour objet d’analyse et de description des gestualités singulières - des “gestes” de critiques, théoriciens, philosophes. Si l’on considère, comme nous le faisons, que la littérature est elle aussi créatrice de gestes de pensée, il sera tout aussi possible de s’attacher à dégager d’une œuvre de fiction des “gestes” pour en interroger les potentialités pensives.



La journée d’étude se tiendra le 10 novembre 2023 à l’UCLouvain, sur le campus de Louvain-la-Neuve, en Belgique. Les propositions de communication sont à envoyer avant le 5 mai aux adresses : marta.sabado@uclouvain.be et cecileraulet@hotmail.fr

Les propositions doivent comporter un titre, un descriptif (1 page max.) et une biobibliographie. Merci d’indiquer également clairement vos prénom, nom, fonction et affiliation scientifique.



Date: 10 novembre 2023

Lieu : UCLouvain, Louvain-la-Neuve, Belgique

Organisatrices : Cécile Raulet (EHESS/ CRAL) et Marta Sábado (UCLouvain / INCAL / CRI)

Bibliographie 

Barthes, Roland, Cy Twombly, Paris, Seuil, 2016.
Bolens , Guillemette, Le style des gestes. Corporéité et kinésie dans le récit littéraire, Lausanne, BHMS, 2008.
Caraës, Marie-Haude et Marchand-Zanatu, Nicole, Images de pensée, Paris, RMNGP, 2019.
Chastel, André, Le geste dans l’art, Paris, Liana Levi, 2008.
Citton, Yves, Gestes d’humanités, Paris, Colin, 2012 
Dessons, Gérard, L’art et la manière, Paris, Honoré Champion, 2004.
Fernández-Jauregui, Carlota, El poema y el gesto, Madrid, UAM, 2015.
Flusser, Vilém, Les gestes, Paris, Hors Commerce, 1999.
Guérin, Michel, Philosophie du geste, Paris, Actes Sud, 1995.
Jenny, Laurent, La parole singulière, Paris, Belin, 1990.
Jousse, Marcel, L’anthropologie du geste, Paris, Gallimard, 1974.
Macé, Marielle, Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard, 2015.
Mathieu, Jean-Claude, “Le toucher des mots et la vie des gestes”, Littérature n°161: Jean Starobinski, Paris, Armand Colin, 2011.
Merleau-Ponty, Maurice, La prose du monde, Paris, Gallimard, 1992.
Raulet, Cécile, “Considérer ce qui revient”, in Jean-Pierre Bertrand (dir.), Roland Barthes. Continuités. Colloque de Cerisy, Paris, Christian Bourgois, 2017. 
Sábado Novau, Marta, L’école de Genève. Histoire, geste et imaginations critiques, Paris, Hermann, 2021.