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Mouvement(s) et contraintes (Rennes)

Mouvement(s) et contraintes (Rennes)

Publié le par Marc Escola (Source : Nicolas Thierry)

Université Rennes 2, mercredi 7 juin 2023.

Si les deux termes qui fournissent le cadre de cette journée d’études interdisciplinaire semblent entretenir un rapport paradoxal, ce n’est pas qu’ils constituent à proprement parler des antonymes, mais plutôt parce que leur rapprochement ne se fait pas sans provoquer une certaine friction.

De fait, la notion de « mouvement » peut revêtir un caractère générique tant elle est employée dans des locutions courantes (mouvement artistique, de l’âme, de grève, de fonds, voire de la fonction publique, etc.). Pourtant, ces usages très divers partagent tous un sème commun : celui du déplacement dans l’espace et dans le temps d’un objet appréhendé comme un organisme vivant. C’est le cas lorsqu’il est question d’un individu, d’un singulier collectif (mouvement de population, de foule), mais aussi d’un élément artificiel ou abstrait. En effet, quand on se focalise sur son caractère dynamique, ce dernier est assimilé à un tout organique (mouvement d’une partition musicale, de l’esprit). Le mouvement apparaît ainsi comme une faculté essentielle du vivant, si bien que celui-ci sert de point de comparaison à tout déplacement, y compris mécanique, métaphorique ou symbolique. L'étymologie du terme semble même associer intimement l’idée de déplacement à celle de sentience. Il provient du verbe latin movere qui signifie « bouger », « mouvoir », mais aussi « émouvoir », suggérant ainsi que l’empathie, donc l’accès à l’altérité, procède d’une forme de mouvement.

De là, bien que le mouvement apparaisse comme une faculté définitoire du vivant, ce dernier n’en jouit pas nécessairement à plein. En effet, c’est le plus souvent par ses restrictions que le mouvement est mesuré (on parle ainsi de personne à mobilité réduite, d’un faux mouvement). C’est pourquoi il nous a semblé intéressant d’interroger cette notion à l’aune de ses limitations, que nous avons fait le choix de désigner sous le terme de « contrainte ». En philosophie morale et politique, la contrainte est une force extérieure qui s’impose au sujet, et elle est traditionnellement distinguée de l’obligation qui désigne au contraire des interdits et des injonctions assimilés par le sujet. Ainsi, la seconde s’accorde, consciemment ou non, avec la volonté de l’individu, là où la première est vécue par celui-ci comme une violence en ce qu’elle le bride ou le somme d'agir.

La contrainte est donc un joug perçu en tant que tel par qui la subit : en effet, elle n’est ni intériorisée (l’obligation) ni choisie (telle, par exemple, qu’elle est pratiquée par les membres de l’Oulipo). Ainsi définie, la contrainte est susceptible de provoquer une réaction, et c’est précisément ce point de friction dynamique que cette journée d'études entend interroger. Étymologiquement, constringere est un verbe exprimant l’idée de lien, de chaînes ou d’entrave (littéralement « attaché ensemble » ou « lié avec »). Or ce sont des verbes de mouvement qui sont le plus souvent employés pour désigner la façon dont on s’affranchit d’une contrainte (la dépasser, la contourner, etc.). Cette manifestation scientifique souhaite alors explorer les différentes formes prises par le mouvement afin de surpasser, d’esquiver ou d’enjamber des limitations. Pour le dire avec Bourdieu, on s’intéressera à la façon dont le sujet tâche d’échapper aux déterminismes sociaux qui pèsent sur lui, ou, pour le dire dans des termes qui relèvent de l’histoire de l’art, à la façon dont le.a créateur.rice tâche de s’émanciper du cadre de l’académisme, de la réception, etc.

Pour ce faire, nous envisageons, grâce à l’apport des différentes disciplines en sciences humaines et sociales, d’interroger ces notions au travers des deux axes suivants, sans que ceux-ci ne soient limitatifs :

AXE 1 : mouvement et contraintes médiatiques

Du point de vue artistique, le mouvement peut s'entendre de différentes manières. Littéralement, il prend un sens physique et permet alors d'aborder les limites matérielles comme la plasticité du medium. De façon plus métaphorique, le mouvement peut également renvoyer à un bouleversement des codes hérités. Dans cette optique, les dynamiques d'avant-garde nous occuperont davantage que la catégorie rigide de « mouvement artistique ».

La contrainte peut en effet revêtir une dimension concrète, voire prosaïque lorsqu'elle concerne le medium artistique. Le.a créateur.rice doit s'accommoder des limites inhérentes à la matérialité de son objet tout en tâchant d'innover au sein d'un canevas déjà maintes fois investi par celleux qui le.a précèdent. En outre, dans une démarche de recherche, la matérialité des manuscrits, des états de travail d'une œuvre présente également un intérêt en ce qu'elle informe les processus de création. Grâce à une approche génétique, les mouvements opérés à l'état de brouillon peuvent offrir des clés de compréhension ou d'interprétation extrêmement précieuses et sinon absentes de l'objet fini. Plus largement, toutes les stratégies adoptées par le.a créateur.rice afin de s'approprier, de contourner les limites physiques de son matériau nous intéresseront. Une piste de réflexion qui articule plus intimement encore les notions de « mouvement » et de « contrainte » pourra également être ouverte. On se demandera en effet comment l’artiste aborde l'immobilité avec un medium dynamique (on pense notamment à la danse, au théâtre ou au cinéma) et, à l'inverse, le mouvement avec un medium fixe (par exemple en peinture, en sculpture ou en littérature).

La contrainte artistique peut également se lire en termes d'héritage. De fait, le.a créateur.rice s'inscrit forcément dans un champ qui possède déjà ses codes et sa tradition, iel investit des formes ou des genres qui observent déjà des règles et des modèles. Dans une logique d'avant-garde, comment l'artiste parvient-iel à opérer un mouvement, un déplacement qui peut être de l'ordre de la subversion au sein même de cadres qui lui préexistent, qui possèdent un statut institutionnel ? Apparaît-il possible d'innover, de faire bouger les lignes tout en reprenant des codes hérités, voire en jouant de motifs qui sont devenus des poncifs à force d'être repris ?

AXE 2 : mouvement et contraintes politiques

Envisagée au prisme de la politique, l'association des notions de « mouvement » et de « contrainte » peut se lire selon deux grandes orientations. La première concerne le mouvement auquel le sujet est contraint (on pense par exemple à l'exil, à la fuite, à la déportation), tandis que la seconde désigne, au contraire, une immobilité qui est imposée au sujet (qu'elle soit somatique avec le handicap, ou institutionnelle avec la prison, l'internement). Quelles sont alors les stratégies déployées par les individus dans le but de contourner les interdits légaux restreignant la liberté de circuler (les frontières), mais aussi, par extension, la liberté de parole (la censure) ? D'un point de vue artistique ou documentaire, comment représenter une contrainte d'ordre politique ainsi que la lutte menée pour s'en affranchir ? Quelle valeur militante et performative s'agit-il de prêter à de tels gestes créateurs ?

En outre, entendue non pas dans une acception seulement spatiale mais également sociale, la contrainte peut aussi être lue en termes d'assignation de genre, de ségrégation raciale, de norme hétérosexuelle, etc. Comment le mouvement – qu'il soit migratoire, de classe, symbolique, etc. – apparaît-il alors comme une nécessité afin de rendre l'émancipation possible, afin de sortir des catégories identitaires oppressives et prescriptives ? En réaction, quelles sont les formes qu’adopte le mouvement opéré par les institutions pour s'opposer à de telles tentatives séditieuses (back clash) ?

Modalités de contribution :

Les propositions de communications (environ 250 mots) en français et d’une durée de 20 minutes devront être envoyées, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, pour le 3 avril 2023 aux adresses suivantes : kevin.dugue@univ-rennes2.fr ; alice.rosenthal@univ-rennes2.fr ; nicolas.thierry@univ-rennes2.fr ; asso.adhoc@gmail.com.

Les propositions retenues seront notifiées par mail le 10 avril 2023. La journée d’études se tiendra en présentiel à l’Université Rennes 2 le 7 juin 2023 (les auditeur.rice.s pourront assister à la journée d’études en visioconférence). En fonction du nombre de propositions reçues, un second volet de la journée d’études est envisagé pour l’automne 2023. Les communications feront l’objet d’une captation vidéo (sous réserve d’acceptation de la part des intervenant.e.s).

Comité d’organisation :

- Kévin Dugué (langues et littératures anciennes, CELLAM, Université Rennes 2) ;
- Alice Rosenthal (cinéma, APP, Université Rennes 2) ;
- Nicolas Thierry (langue et littérature françaises, CELLAM, Université Rennes 2).

Journée d'études organisée dans le cadre de l’association Ad Hoc (association des doctorant.e.s et des jeunes chercheur.euse.s du CELLAM), avec le soutien des unités de recherche CELLAM et APP, ainsi que de l’école doctorale « Arts, Lettres, Langues » (Bretagne).