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La rime dans la poésie francophone du XXIe siècle (Liège)

La rime dans la poésie francophone du XXIe siècle (Liège)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Eloïse Grommerch)

Appel à communications – Journée d’études

La rime dans la poésie francophone du XXIe siècle

Université de Liège – 20 octobre 2023

Date limite d’envoi des propositions : le 15 mai 2023

Argumentaire

La rime, considérée comme un trait caractéristique de la poésie francophone, est communément définie comme l’homophonie, entre deux ou plusieurs mots situés en fin de vers ou à la césure, de leur voyelle finale accentuée et des éventuels phonèmes consonantiques qui la suivent et éventuellement la précèdent[1]. Incontestée depuis le XIIIe siècle, elle est remise en cause au XIXe, en même temps que le vers régulier dont elle constitue un trait définitoire. D’une part, ce dernier est concurrencé par les deux « inventions » modernes que sont le vers libre et la prose, non rimés[2]. D’autre part, nombre de poètes, comme Verlaine ou Rimbaud, contestent la rime qu’ils considèrent comme une contrainte absurde qui révèle l’arbitraire de la métrique française[3]. Ainsi, dès les années 1870, la rime fait l’objet d’assouplissements allant de l’abandon de l’homographie en vigueur jusqu’alors au retour de l’assonance, en passant par l’autorisation de la rime du même au même ou de l’identité de la consonne finale[4]. Enfin, c’est le surréalisme qui joue « un rôle d’accélérateur dans l’histoire de la disparition de la rime et du vers compté[5] » ; ce dernier finit par être supplanté par ses deux concurrents et disparaît du paysage poétique francophone avec l’essoufflement du néoclassicisme dans les années 1970 et 1980, emportant avec lui la rime, que les poètes de l’époque considèrent toujours comme une « contraint[e] qui historiquement pès[e] sur [la poésie française][6] ».

Cette situation est toujours celle de la rime au XXIe siècle : celle-ci semble, a priori, absente du paysage poétique francophone contemporain. Pourtant, elle réapparaît chez quelques poètes, assez rarement en tant que fondement d’une œuvre entière (excepté chez William Cliff, Rossano Rosi, Michel Houellebecq), la plupart du temps ponctuellement, au détour d’une page (Jude Stéfan, Franck Venaille), voire d’un recueil (Christophe Lamiot Enos, Jean-Claude Pirotte). Ces poètes n’opèrent toutefois pas un retour au (néo)classicisme. Les thématiques qu’ils abordent sont bien ancrées dans le monde contemporain. Ainsi, les poèmes rimés relèvent tantôt de la critique sociale (Karel Logist), tantôt de l’autoportrait, voire de l’autobiographie – ou de l’« autobiopoésie[7] » pour reprendre le terme forgé par Jean-Pierre Bertrand et Laurent Demoulin – (William Cliff, Jacques Réda, Guy Goffette, Valérie Rouzeau, Rossano Rosi). Peut-on voir un lien entre le retour du lyrisme, dans les années 1980, sous sa forme restaurée appelée nouveau lyrisme, et celui de la rime chez certains poètes ?

Si les « débats pluriséculaires sur la fonction des rimes[8] » sont toujours d’actualité, la poésie contemporaine affirme la fonction structurante de la rime. En effet, son utilisation semble entraîner le retour au vers compté (Jean-Claude Pirotte, Philippe Jaccottet, Jean-Noël Chrisment, Laurent Robert, Pierre Vinclair) et surtout celui de formes fixes comme le sonnet qui connaît une vigueur nouvelle (Jacques Roubaud, Laurent Fourcaut, Christian Prigent, Guillaume Métayer, Laurent Albarracin, Laurent Robert, Laurent Demoulin, Karel Logist…). D’autre part, la rime n’évoque pas uniquement la période classique, mais remonte également à la tradition médiévale : ainsi réapparaissent l’épopée, dans sa version héroï-comique (Laurent Albarracin), ou la chronique rimée, dans un langage évoquant l’ancien français où la rime partage les fins de vers avec l’assonance, qui prend à bras-le-corps l’actualité du XXIe siècle (Jean-Pascal Dubost). Dans ces divers cas, il faut s’interroger sur l’inscription dans la tradition : est-elle un hommage, ou se situe-t-elle davantage du côté de la parodie (Christian Prigent, Raymond Belletto) ? S’agit-il d’une contrainte au sens oulipien du terme, comme cela pourrait être le cas chez Jacques Roubaud ou Jacques Jouet ? Ou bien la rime et les formes qu’elle implique – dans leur version originale ou retravaillée – est-elle au service d’un certain type de discours, sur le monde ou sur la poésie elle-même ?

D’autre part, et de façon surprenante, la rime se trouve parfois introduite dans le concurrent du vers classique qu’est la prose (Agnès Henrard) et dans des poèmes, non pas en vers libres, mais hétérométriques (Philippe Jaccottet, Pierre Coran). Dès lors, peut-on dire que les formes poétiques modernes, apparues en réaction au contraignant « vers compté-rimé[9] », leurs frontières, se trouvent renégociées à l’aune de cette rime de connotation classique ? Cela va-t-il de pair avec la volonté d’un retour à la lisibilité, de renouer avec le lecteur qui avait été quelque peu perdu par le formalisme de la fin du XXe siècle ? Dans cette perspective, le retour de la rime peut être envisagé d’un point de vue sociologique.

Les questions concernant la rime dans la poésie francophone au XXIe siècle sont multiples. Cette journée d’études souhaite interroger la présence et la forme de ce trait auparavant définitoire de la poésie francophone et désormais devenu rare, dans le sillage d’un colloque comme « Poétique de la rime », organisé à la Sorbonne en décembre 2000 par Michel Murat et Jacqueline Dangel[10]. Les communications pourront s’inscrire dans les débats touchant aux fonctions de la rime (ornementale, structurante, rythmique…) et s’ouvrir à de perspectives dépassant l’analyse formelle qui en constituera néanmoins un soutien : historiques, stylistiques, sociologiques, thématiques…

Axes d’étude possibles (liste non exhaustive)

  • Déstructuration de la rime
  • Nomenclature de la rime[11]
  • Rime et vers libres
  • Rime et prose
  • Rime et nouveau lyrisme
  • Rime et autobiographie/autoportrait
  • Rime et posture/dimension sociologique
  • Rime et tradition
  • Rime et intertextualité
  • Rime et humour, ironie, parodie
  • Rime et retour aux formes fixes

Modalités

Cette journée d’études aura lieu le 20 octobre 2023 à l’Université de Liège (Belgique).

Les propositions d’une longueur de 500 mots maximum, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, doivent être envoyées au plus tard le 15 mai 2023 à l’adresse suivante : je.rimepoesiefrcontemporaine@gmail.com.

Les réponses seront transmises aux auteurs au début du mois de juin 2023.

Comité scientifique

Gérald Purnelle, Laurent Demoulin, Jan Baetens, Jean-François Puff

Comité d’organisation

Stéphane Cunescu, Eloïse Grommerch

Bibliographie indicative

Aquien, Michèle, La Versification, Paris, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2007 [1990].

Bertrand, Jean-Pierre, Inventer en littérature. Du poème en prose à l’écriture automatique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2015.

Billy, Dominique, « La nomenclature des rimes », dans Poétique, no 57, 1984, p. 64-75.

Chevrier, Alain, « La rime au XXe siècle. Éléments de rimologie », dans Jan Baetens et Bernardo Schiavetta (dir.), Le Goût de la forme en littérature. Écritures et lectures à contraintes. Actes du colloque de Cerisy, du 14 au 21 août 2001, Paris, Noesis, coll. « Formules », 2004, p. 108-122.

Gouvard, Jean-Michel, La Versification, Paris, Puf, coll. « Premier cycle », 1999.

Mazaleyrat, Jean, Éléments de versification française, Paris, Armand Colin, 1974.

Murat, Michel, et Dangel, Jacqueline (dir.), Poétique de la rime, Paris, Honoré Champion, 2005.

Peureux, Guillaume, La Fabrique du vers, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2009.

 

 

[1] Aquien, Michèle, La Versification, Paris, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2007 [1990], p. 41.

[2] Bertrand, Jean-Pierre, Inventer en littérature. Du poème en prose à l’écriture automatique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2015.

[3] Peureux, Guillaume, La Fabrique du vers, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2009, p. 230.

[4] Gouvard, Jean-Michel, La Versification, Paris, Puf, coll. « Premier cycle », 1999, p. 174-177.

[5] Chevrier, Alain, « La rime au XXe siècle. Éléments de rimologie », dans Jan Baetens et Bernardo Schiavetta (dir.), Le Goût de la forme en littérature. Écritures et lectures à contraintes. Actes du colloque de Cerisy, du 14 au 21 août 2001, Paris, Noesis, coll. « Formules », 2004, p. 108.

[6] Roubaud, Jacques, La Vieillesse d’Alexandre. Essai sur quelques états récents du vers française, Paris, Éditions Maspero, coll. « Action Poétique », 1978, p. 15.

[7] Bertrand, Jean-Pierre, et Demoulin, Laurent, « Autobiopoésie. Cliff, Verheggen, Delaive », dans Estrella de la Torre et Martine Renouprez (dir.), L’Autobiographie dans l’espace francophone. I. La Belgique, Cadix, Servicio de publicaciones Universidad de Cádiz, 2003, p. 55-85.

[8] Peureux, Guillaume, op. cit., p. 217.

[9] Roubaud, Jacques, « Un art qui résiste à sa dénaturation. Obstination de la poésie », dans Le Monde diplomatique, janvier 2010, p. 22-23 [En ligne]. URL : https://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/ROUBAUD/ 18717, consulté le 15 février 2023.

[10] Murat, Michel, et Dangel, Jacqueline (dir.), Poétique de la rime, Paris, Honoré Champion, 2005.

[11] Voir : Billy, Dominique, « La nomenclature des rimes », dans Poétique, no 57, 1984, p. 64-75. ; Chevrier, Alain, « La rime au XXe siècle. Éléments de rimologie », op. cit., p. 108-122.