Journée d’études
6 Juin 2023
Le féminin errant/l’errant féminin
L’errance n’est pas le voyage, car elle ne vise ni destination ni retour ; elle se livre au hasard, sans direction précise et sans chemin fixé. L’errant n’est pas le nomade, à proprement parler, car dans sa pluralité singulière, il reste un individu et non pas un groupe de personnes (un peuple, une population ou une tribu) en déplacement continuel. L’errant féminin ne renvoie donc pas au sujet nomade de Rosi Braidotti, car l’intersectionnalité propre au féminin errant ne peut tenir dans l’image à la fois matérielle et historique du nomadisme. La féminité errante n’est pas non plus associée à l’exil au sens de l’expatriation forcée ou à l’immigration par nécessité. Il s’agit plutôt du féminin vagabond, fugitif, rebelle et par là même transgressif. Sa mobilité, sa mutabilité est son seul enracinement, un enracinement déraciné, car c’est une manière d’habiter le monde en franchissant constamment les frontières des nations, des races, des classes, des sexes, des genres, des espèces. L’errance opère comme un moyen de résistance ou de lutte contre les formes hégémoniques de pouvoir ou de prescription culturelle. C’est une rébellion en action, une politique de l’être déplacé impliquant l’absence d’un espace propre ou la non-fixité dans un espace.
Le féminin erre pour remettre en cause l’identité sexuelle, pour permettre les déplacements de cette identité au-delà du binarisme anatomique et phallogocentrique. Le féminin erre dans la mesure où il est à l’écoute de la multiplicité et des fluctuations des différences sexuelles – au pluriel depuis Le rire de la Méduse –, de la plasticité et de l’hybridité des identités traversant tous les individus. La fuite du féminin n’est pas la recherche d’une échappatoire, mais un acte de défi, une prise de risque, une ouverture à la contingence et à l’imprévisible. Insaisissable, mobile, protéiforme, le féminin émerge dans l’écriture, comme dirait encore Cixous, cette écriture féminine qui s’inspire de la muse queer.
De La Vagabonde (1910) à Albertine disparue (1925) en passant par Nightwood de Djuna Barnes (1936) et Nedjma de Kateb Yacine (1952) jusqu’à Beloved de Tony Morisson (1987) et au-delà, les fugitives révèlent la pertinence littéraire, culturelle et politique de l’errance. Privées de propriété, de respectabilité sociale et de pulsions impérialistes, les vagabondes embrassent la précarité, la liminalité et l'obstination dans des films tels que Le Piano de Jane Campion (1993), Sans toit ni loi d'Agnès Varda (1985) et La captive de Chantal Akerman (2000).
Cette journée d’étude vise à explorer la figure du féminin errant à travers des approches comparatistes, interdisciplinaires et intersectionnelles. Le corpus à explorer ne se limite pas aux œuvres mentionnées ni aux domaines francophones et anglophones. Des approches reflétant diverses traditions littéraires et cinématographiques, s'engageant avec différents genres et médias et s'appuyant sur différentes approches critiques sont vivement encouragées. La journée ne tend pas seulement à examiner les spécificités narratives et l’approfondissement psychanalytique et sociocritique de l’émergence du féminin errant ; elle cherche également à révéler son potentiel féministe et/ou queer ainsi que le potentiel antiraciste voire cosmopolite du féminin errant.
Date limite d'envoi des propositions : 7 Avril 2023