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Imaginaires techniques : ce que l'image fait au geste (Journée d'étude, Nice)

Imaginaires techniques : ce que l'image fait au geste (Journée d'étude, Nice)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Thomas Morisset)

Imaginaires techniques : ce que l’image fait au geste 
17 & 18 octobre 2023

Maison des Sciences de l’Homme et de la Société Sud-Est, Nice

Journée d’étude organisée par Thomas Morisset (Centre de Recherche en Histoire des Idées, Université Côte d’Azur) & Marie Schiele (Deutsche Forum für Kunstgeschichte in Paris), en partenariat avec Centre de référence XR2C2, et avec le soutien de l’EUR CREATES et des Axes 2 et 5 de la MSHS-Sud-Est (« Technologies numériques, communautés et usages » et « Histoire des idées, des sciences et des pratiques »).

Argumentaire
Appartenant à la langue commune et à plus forte raison à la langue scientifique, la notion d’imaginaire semble aller de soi, comme en témoignent les nombreuses publications qui la mobilisent [Pérez, 2014]. L’imaginaire renverrait alors plus ou moins précisément à un ensemble de représentations symboliques, parfois collectives qu’il s’agirait de d’énumérer et d’ordonner. Mais cet usage descriptif et cumulatif de la notion, bien loin d’en épuiser le sens, tend à prendre le pas sur un usage plus ferme et plus tranché théoriquement, qui jalonne une partie de l’histoire des idées de la seconde moitié du XXe siècle. Introduit par Sartre dans un ouvrage éponyme en 1940, l’imaginaire traduit une réflexion sur le rapport de la conscience à l’irréel, rapport compris comme un mode particulier d’intentionnalité. Contre Sartre, c’est une autre relation de l’image à la vie psychique que Bachelard mobilise dans ses ouvrages sur la matière élémentaire, où il s’agit de penser des mouvements oniriques et des images théoriques à partir de leur matériau. C’est cette conception générative de l’imaginaire que Gilbert Durand reprend à son compte dans les Structures anthropologiques de l’imaginaire en évoquant « le trajet symbolique » des images, entre « pulsion subjective […] et les intimations objectives émanant du milieu cosmique et social. » [Durand, 1984, p. 38]. Mise à mal, notamment par le courant structuraliste, la notion d’imaginaire confrontée à celle de mythologie est âprement discutée par Barthes par exemple comme forme travestie d’idéologie, qui ne saurait faire l’économie d’une critique. Autant de partis-pris théoriques qui esquissent les traits d’une notion riche mais assez insaisissable, polarisée entre des acceptions très distinctes, de la structure et de l’activité mentales à l’élaboration d’une « culture de l’imaginaire », désignant dans les études littéraires, la science-fiction et la fantasy.
S’il n’est pas question de proposer un panorama des différentes conceptions de l’imaginaire, pas plus qu’une généalogie critique, l’objet de cette journée d’étude, sans faire fi de considérations terminologiques essentielles pour préciser le propos, se situe davantage autour d’une mise en exercice de la notion, soit l’évaluation de ce qu’elle permet de penser : la formation des images, leur expérience et leurs effets sur la conduite d’une action, sur l’effectuation d’un geste, et de façon réflexive, sur la compréhension des choses.
À cette focalisation heuristique, s’ajoute une focalisation thématique signalée par l’inscription dans un champ particulier, celui de la technique. Ce recentrement sur l’imaginaire technique ou plutôt sur les imaginaires techniques dans leur pluralité, vise à travailler de façon plus rigoureuse le rapport entre geste et image, afin de comprendre comment le registre kinesthésique mobilisé par les efforts techniques participe d’une culture générale de notre sensibilité et de nos facultés de représentation. On souhaite explorer ce rapport de différentes manières :

1. En examinant la fonction et l’influence des images mentales ou discursives, racontées, lues sur l’effectuation d’un geste et la gestion de l’effort.

2. De façon corollaire, en étudiant le type d’images associées à la technique lui conférant une certaine intelligibilité, une certaine fonction et une certaine valeur dans les textes d’une culture donnée.

L’hypothèse, au stade préliminaire des recherches et qui constitue la raison d’être de cette journée d’étude, consiste à mettre en évidence que l’imaginaire ne correspond pas à un synonyme ou à un dérivé de l’imagination, c’est-à-dire à une faculté productrice d’images, mais qu’il renvoie à une qualité de liaison entre les images, susceptible d’élaborer un ensemble cohérent et effectif, modulant un geste, agissant comme une médiation cognitive nécessaire permettant de palier certaines insuffisances de l’expérience.
Outre les enjeux théoriques mentionnés précédemment, cette journée d’étude entend proposer une contribution novatrice à l’étude d’une notion peu examinée pour elle-même, en identifiant ses lignes de force et son intérêt pour deux champs de recherche au moins, la philosophie de l’art et esthétique et les études sur la technique. En se déprenant d’une familiarité trompeuse avec la notion, les perspectives d’étude veilleront à produire un usage éclairé de l’imaginaire pour en révéler le large spectre, mais également à mettre en évidence sa pertinence et peut-être son actualité, au-delà des dichotomies qui ont scandé son histoire jusqu’à présent entre irrationalité et irréel.
Les propositions de communication pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants, qui ne sont pas limitatifs :

1. Ce que l’image fait au geste : on s’intéressera ici à l’influence des images (discursives, concrètes ou mentales) sur la compréhension, la saisie et l’effectuation des gestes, tant du point de vue d’une expérience réussie que d’une expérience troublée. Pareil dialogue entre geste et image étant tributaire du milieu technique au sein duquel il s’effectue (par exemple, l’atelier de l’artisan et sa recherche du « geste imaginatif » [Sennett, 2010], la transmission des gestes propres aux arts vivants ou encore les gestes induits par les pratiques des industries culturelles comme les jeux vidéo et par les nouvelles technologies en général qui supposent un univers iconique dans lequel un geste physique est étendu) il s’agira de faire droit aux particularités sensibles de ces différents contextes. Dans quelle mesure la médiation de l’imagé et du métaphorique est-elle nécessaire dans le processus d’acquisition d’un geste ? Ces images sont-elles isolées et ponctuelles ou un imaginaire se dégage-t-il de leur prolifération ? Et au-delà de cet aspect pédagogique, dans quelle mesure la consistance vécue des gestes et efforts tient-elle à l’image qui aide à les cerner ? Et de quelle manière la part non-imagée des efforts participent aussi à la constitution d’un imaginaire technique, dans la mesure où la forme d’un effort peut devenir une manière imagée de parler d’un autre effort, par rapprochement et comparaison ? Corollairement, que reste-t-il de cette dimension kinesthésique et rythmique des gestes dans le passage aux images, dans la constitution d’un imaginaire technique ? Comment apprécier cette transformation au-delà d’une conception réductrice des images selon laquelle la dynamique gestuelle serait irrémédiablement convertie en une série d’idéogrammes ?

2. De la justesse technique des images : A travers cette dernière question, on se retrouve confronté à une question bien plus large : à supposer que l’image donne une consistance sensible à l’effort ou au geste technique, cette consistance est-elle pour autant technique ? Cette médiation sensible de la technique semble appartenir à ce que Simondon nomme un « mode mineur » [Simondon, 2012, 123 et suiv.] de la relation aux techniques, souvent ésotérique car lié au jargon propre à chaque métier et fondamentalement irrationnel. Quelle est la justesse technique qui rend ces images opératoires pour la compréhension de la technique elle-même et non seulement comme « trucs pédagogiques » ? De quelles manières ces imaginaires techniques participent-ils d’une véritable culture technique ? Par exemple, lorsque nous « naviguons » dans un « bureau » avec des « fenêtres ouvertes » face à notre écran d’ordinateur, pareil imaginaire nous permet-il d’accéder à une relation technique avec l’ordinateur ou bien cela nous la masque-t-il irrémédiablement ? Plus largement c’est la relation entre technique et fiction qui est interrogée : alors que la condition moderne de la technique est souvent pensée par son rapprochement avec la science, la fiction peut-elle constituer un rapport bien réglé à ce qu’est la technique ?

3. Sur la spécificité de l’imaginaire technique : Cette journée essaye donc de penser ensemble à la fois l’imaginaire des gestes techniques liés à des métiers que celui des gestes techniques d’usage, dans des contextes quotidiens, ludiques, voir fictionnels. Cette diversité des situations concernées par notre étude pose une question majeure : comment ces différents imaginaires communiquent-ils ? Si c’est bien une certaine qualité de liaison qui est à la racine d’un imaginaire, y a-t-il une qualité qui lierait les fictions sur l’intelligence artificielle, le geste du charpentier et les prouesses sportives ? Ou bien est-ce que ce caractère général, sinon universel, est précisément ce qui échappe à la notion d’imaginaire technique, qui garderait toujours un ancrage dans les pratiques particulières ?

Si cette journée d’étude s’ancre d’abord en philosophie de l’art et de la technique, elle est par son objet même ouverte à l’interdisciplinarité. Ainsi, les contributions venues d’autres disciplines, comme l’histoire de l’art et des techniques, l’anthropologie ou les différentes sciences des arts seront les bienvenues. Les communications en collaboration avec des practicien.ne.s sont encouragées.
Les propositions de communication, d’une longueur comprise entre 400 et 600 mots, accompagnées d’une courte notice biographique, sont à envoyer pour le 15 mai 2023 à thomas.morisset[at]univ-cotedazur.fr et à mschiele[at]dfk-paris.org.
La journée d’étude aura lieu les 17 & 18 octobre 2023 dans les locaux de la MSHS Sud-Est, sur le campus Saint-Jean-d’Angely, à Nice. Les communications dureront 30 minutes.


Bibliographie indicative

Gaston Bachelard, L’Air et les Songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Paris, Le Livre de Poche, 2014.
Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves. Essai sur l’imagination de la matière, Paris, Le Livre de Poche, 1942.
Roland Barthes, Mythologies, Paris, Editions du Seuil, 2014.
Pierre Cassou-Noguès, Technofictions, Paris, Éditions du Cerf, 2019.
Marianne Chouteau & Cécile Nguyen (dir.), Mises en récit de la technique. Regards croisés, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2011.
Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Éditions Bordas, 10ème édition, 1984.
Cynthia Fleury, Métaphysique de l’imagination, Paris, Gallimard, 2000.
Anne-Françoise Garçon, L’imaginaire et la pensée technique, Classiques Garnier, 2012
Philippe Hamon, Imageries. Littérature et image au XIXe siècle, Paris, José Corti, 2001.
Donna Haraway, « A Cyborg Manifesto: Science, Technology and Socialist-Feminism in the Late Twentieth Century », in Simians, Cyborgs and Women. The Reinvention of Nature, London, Free Association Books, 1991.
Yuk Hui, La question de la technique en Chine, Paris, Divergences, 2021.
Wolfganf Iser, Das Fiktive und das Imaginäre, Perspektiven literarischer Anthropologie, Suhrkamp Verlag, 2001.
Magdalena Marciniak, « Le mot imaginaire chez Roland Barthes », Cités, 2018/3 (N° 75), p. 121-132. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-cites-2018-3-page-121.htm
Claude-Pierre Pérez, « L’imaginaire » : naissance, diffusion et métamorphoses d’un concept critique, Littérature, 2014/1, n°173, Paris, Armand Colin, 2014, p. 102-116. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-litterature-2014-1-page-102.htm
Jean-Paul Sartre, L’Imaginaire, Paris, Tel, Gallimard, 1940.
Richard Senett, Ce que sait la main, Paris, Albin Michel, 2010.
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Éditions Aubier, 2012.
Jean Starobinski, « L’Empire de l’imaginaire », in La Relation critique, L’œil vivant II, Paris, Tel Gallimard, 2001.
Gérard Toffin, « La fabrique de l’imaginaire », L’Homme, 221 | 2017, mis en ligne le 01 mars 2019, URL : http://journals.openedition.org/lhomme/30101
Jean-Jacques Wunenberger, L’Imagination, mode d’emploi ? Une science de l’imaginaire au service de la créativité, Paris, Éditions Manucius, 2014.