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Politique du roman romanesque (Amiens)

Politique du roman romanesque (Amiens)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Christophe Reffait)

Colloque

« Politique du roman romanesque »

Université de Picardie-Jules Verne, Amiens

12-13 octobre 2023



Personne ne croit l’écrivain Jules Claretie lorsque, inaugurant le 9 mai 1909 à Amiens le monument à Jules Verne situé près du boulevard de Belfort, il s’écrie : « La statue que vous inaugurez aujourd’hui, Messieurs, n’a rien à voir avec la politique. […] C’est une statue toute littéraire… » Sans sombrer dans le « tout est politique », les travaux récents sur le roman vernien ont touché une vérité plus générale : c’est souvent au moment même où le genre romanesque pourrait se croire affranchi de la politique – sous prétexte qu’il est roman pour la jeunesse, roman d’aventures, roman sentimental, etc. – qu’il est le plus profondément idéologique (et disposé, en cela, à un usage politique en même temps que partie prenante d’une logique de représentation politique). De Jules Verne au roman d’aventures des années 50, du roman judiciaire du second XIXe siècle au roman policier contemporain, du roman sentimental du XIXe siècle aux romans de gare actuels, le roman assume premièrement une représentation du social, construit deuxièmement une hiérarchie des valeurs, quand il n’inscrit pas explicitement son action dans un contexte politique.

C’est souvent au moment même où le roman se proclame « romanesque » et ne semble guidé que par la recherche de ses effets et la refondation anti-naturaliste d’une forme d’espagnolisme ou d’idéalisme conteur qu’il trahit le mieux son idéologie insciente : les romans de Marcel Prévost dessinent des usages et habitudes de classe dont il resterait à préciser les complexités ; certains romans d’Octave Feuillet nous donnent une idée de l’Ordre moral ou disent l’effet de la guerre de 1870 sur la haute bourgeoisie ; enfin le Paul Bourget des années 1900 ne vit-il pas déjà dans le Paul Bourget des années 1880 ? Plus avant, que nous disent exactement les histoires d’amour ou les romans d’aventures des Hussards ? Que penser aujourd’hui de la désidéologisation apparente d’auteurs de romans populaires tels que Guillaume Musso ou Sylvain Tesson ? Une toute récente sociocritique a bien montré dans quelle mesure les feel-good-books d’un David Foenkinos ou d’une Virginie Grimaldi participent de l’idéologie spécifique du self-care contemporain, indissociable du contexte de privatisation des missions publiques de la santé et du soin. On a montré ailleurs que certains opus de la chick lit hongroise contemporaine sont traversés d’un net irrédentisme transylvain. En nous en tenant au roman français, du XIXe au XXIe siècle, nous mesurons déjà que les diverses veines du roman dit « romanesque » portent un inconscient politique qu’il s’agit de mettre au jour.

Certes le roman romanesque affiche parfois nettement la couleur. Le Comte de Monte Cristo constitue un discours sur la monarchie de Juillet. Émile Souvestre ou Eugène Sue déploient une ambition sociale. Et naturellement le roman policier, depuis le roman judiciaire de Gaboriau et sa criminalisation des ducs, jusqu’au roman noir de Didier Daeninckx, Jean-Hugues Oppel ou Dominique Manotti, en passant par les « romans du réel » de Simenon, s’impose comme un haut lieu de la pensée du politique. On se demandera cependant si ce roman politique conscientisé n’est pas lui-même contournable par l’analyse. Deux idées se profilent : d’abord, le roman romanesque dans sa variante populaire, comme on le voit bien avec les écrits d’un disciple de Souvestre comme Pierre Zaccone, peut se prendre dans les plis de codes qui sont eux-mêmes porteurs d’idéologie ; ensuite un page-turner militant n’est pas à l’abri de failles discursives qui réclament commentaire.

On poursuivra donc cette lecture sceptique en détaillant les compromissions politiques de ces romans qui ne semblent d’abord chercher que le divertissement : le colloque montrera en quoi ce roman demeure toujours « situé », par son abstention autant que par ses catégories, que fait trop souvent oublier son alacrité. On prouvera ainsi que tel roman judiciaire français des années 1890 participe de l’anarchisme, que le roman d’aventures coloniales est d’abord colonial, qu’il existe un roman d’amour d’après-guerre d’obédience gaulliste comme il a existé des romances sous l’Occupation, ou encore que la littérature de jeunesse n’est pas affranchie des effets de cadrage politiques… On montrera que les inégalités sociales, les implicites de classe, les événements historiques ou les débats de société parcourent une littérature qu’on aurait pu croire fort éloignée de ces préoccupations. À cette occasion, il ne serait pas hors-sujet de lire de plus près les lectures romanesques que brandissent certains hommes et femmes politiques.

Le « jeu » critique consistera évidemment ici à chercher des exemples où l’écart entre l’apparente innocuité de l’œuvre et sa lecture politique est le plus grand.

Les propositions de communication (environ 2000 signes et un titre) sont à adresser d’ici le 15 mai 2023 à aurelie.adler@u-picardie.fr ou marie-francoise.montaubin@u-picardie.fr ou christophe.reffait@u-picardie.fr (laboratoire CERCLL, équipe « Roman & romanesque »).