Colloque international
UR CERES
Chaire Francophonies et Migrations
Dans le cadre du projet Lamvec (Les Afriques, Mouvements, Vulnérabilités Et Créativité)
Imaginaires occidentaux et pensée africaine
Institut Catholique de Toulouse 26 & 27 octobre 2023
Si la colonisation antique avait abordé les côtes africaines (Ifriqiya) pour mieux cerner le pourtour méditerranéen et y puiser des richesses, la conquête se limitait aux colonies du nord du continent sans pénétrer au-delà des premières dunes sahariennes, Hasan Ibn Muhammad al-Wazzan dit « Léon l’Africain », poussa la découverte au-delà, jusqu’à Tombouctou. Dès lors, le mythe de la cité des sables est lancé et nourrira l’imaginaire des Occidentaux séduits par les récits de voyageurs européens, tels René Caillié.
Au xviiie s, l’engouement pour la cartographie lance des explorateurs dans toute l’Afrique subsaharienne, en particulier les Anglo-Saxons qui arpentent l’Afrique de l’ouest à l’est Les Français, bien que moins aventureux, sont soutenus par des sociétés scientifiques et/ou par les gouvernements successifs et se lancent dans l’exploration de l’Afrique subsaharienne.Ainsi, au fil du temps, les voyages de découvertes s’orientent-ils vers des missions militaires accompagnées parfois d’évangélisation. Parmi ces figures, il faut retenir celle de Pierre Savorgnan de Brazza (Au cœur de l’Afrique 1875-1887, 1888) qui se démarque par sa volonté de comprendre les populations et qui reconnait la réalité de leur civilisation, a contrario de la doxa qui les considérait a minima avec condescendance et le plus souvent, avec mépris. D’autres, poussés par leur propre envie de découverte, attirés par le mystère du Sahara ou du Maroc jamais colonisé : Henri Duveyrier, Camille Douls, Charles de Foucauld, Michel Vieuchange, pénètrent des espaces interdits ou méconnus.
Le succès remporté par ces récits de voyage diffuse des images impressionnantes dans l’esprit de leurs contemporains que redoublent les expositions coloniales. Si les intentions premières de ces voyageurs reposaient sur une forme de curiosité intellectuelle, très vite, elles sont utilisées politiquement et/ou se font prétexte à une colonisation au motif civilisationnel ou religieux (Livingstone).
Les images mentales prennent vie en Europe par le biais des diverses expositions coloniales organisées par les différents gouvernements de la République des années 1889 à 1937 pour ce qui est de la France. En province, elles se succèdent avec plus ou moins d’importance (Lyon, 1894, Rouen, 1896, Rochefort, 1898, Marseille, 1906 et 1922, Strasbourg, 1924, La Rochelle, 1927), mais c’est à Paris qu’elles trouvent toute leur dimension dès 1889,1906, 1907, et particulièrement en 1931 avec l’exposition coloniale internationale de triste mémoire. Il s’agissait, outre l’intention de démontrer les bienfaits de la colonisation, de mettre en exergue la puissance coloniale française, l’étendue de son empire destinée à rivaliser avec celle de la Grande-Bretagne. Pour être une prouesse architecturale dans la figuration des diverses cultures attachées aux colonies, l’exposition présentait surtout une vision stéréotypée des contrées, des peuples et des civilisations. Les colonies africaines du Maghreb et des territoires subsahariens étaient réparties en zones distinctes dans l’immense espace dédié à l’exposition, sans pour autant que soit précisé s’il s’agissait d’un protectorat ou d’une colonie. La foule de visiteurs (8 000 000 d’entrées) s’est imbibée des présentations qui ont conforté les préjugés, simplifications et stéréotypes déjà diffusés par la publicité qui avait annoncé et promu cet événement mondial dont les échos restèrent longtemps présents dans les esprits. Il faut mentionner qu’à cette occasion se sont révélés et faits entendre des mouvements politiques anticolonialistes qui recueillent de plus en plus d’audience auprès des partis de gauche. Subsistent de l’événement, le musée de la Porte Dorée et quelques monuments assimilés à l’espace parisien et quelques pièces d’artisanat dans les réserves du musée du Quai Branly Néanmoins, cette exposition pour éphémère qu’elle fut a donné lieu à des photographies reprises dans les journaux et magazines, diffusant l’idée de la primitivité des peuples noirs d’Afrique. Dénoncées sous l’appellation de « zoo humain » , les mises en scène du Bois de Vincennes de Kanaks « cannibales » transmettent l’association « Africains-Noirs-danger », ce que Hergé développe dans Tintin au Congo (1931), album qui a tant fait polémique.
À ces éléments s’ajoute une littérature rédigée par des Français natifs des colonies ou ayant résidé sur ces territoires qui contribuent largement à nourrir l’imaginaire partagé entre « le bon et le mauvais sauvage ». Cette littérature coloniale, le plus souvent située aux Antilles ou au Maghreb, imprime souvent une vision partiale, qu’elle se situe dans l’idéalisation ou la critique. C’est ici sans doute, que se dessine la frontière entre les « deux » Afriques, l’une dite « blanche », baignée d’un exotisme oriental, et l’autre, dite « noire », qui demeure inquiétante, dans une forme d’association primaire entre la couleur de peau, la nuit, voire le diable, en prolongement des écrits dans l’esprit de Gobineau et imprégnée d’une justification esclavagiste. A cela s’ajoutent des critères physiques, soutenus par l’Ecole anthropologique de Paris, relayés par des publications américaines (Josiah Nott, 1854) légitimant ainsi l’esclavage en faisant des Noirs des êtres quasi hybrides entre l’homme et l’animal.
Il faut noter que parallèlement, des scientifiques développent des théories sur l’origine des peuplements en Afrique, et s’interrogent sur les différences anthropométriques, très en vogue au xixe s, à partir du texte biblique de l’épisode de Noé et de ses fils dont Cham qui porterait le péché par sa couleur de peau. Les liens établis entre religion et une anthropologie encore balbutiante, constituent une lecture particulière de l’Afrique orientale et jusqu’aux actuels Burundi, Ouganda et Rwanda avec les distinctions physiques établis selon des critères le plus souvent esthétiques et théorisés entre Tutsi, Hutu et Twa, plaçant les premiers dans la catégorie chamitique, c’est-à-dire dans la lignée biblique.
Naturellement, les découvertes et études plus récentes, publiées dans les années 70, ont démenti ces théories et prouvé leurs dérives. Néanmoins, des traces en subsistent dans l’imaginaire collectif, certes atténuées, mais qui tendent à stigmatiser certains Africains en les rangeant dans un fonctionnement primitif qui justifie ou explique les problèmes des États, voire les guerres et les massacres.
Par ailleurs, dans un contexte littéraire, pour novateur qu’il soit, le mouvement de la négritude porté par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor rêve d’une Afrique-Mère qui relève davantage du mythe nostalgique des origines perdues que d’une réelle parenté culturelle. Cependant, la célébration poétique de l’Afrique ouvre des perspectives vers la reconnaissance d’un espace porteur de valeurs et de beauté. Ce message sera perçu dans le monde artistique.En effet, d’autres voix se font entendre, à commencer par celle de Michel Leiris (L’Afrique fantôme, 1934) qui, bien que fantasmée et tournée vers les mystères du sacré, distrait les regards de la conception négative et primaire du continent et célèbre une esthétique dont se sont emparés les artistes (Ecole de Paris).
Sur le plan politique, le PCF prend position contre le colonialisme, comme il avait condamné l’exposition de 1931, et dénonce, à l’identique de Gide (Voyage au Congo, 1927), le travail forcé, mais se place davantage sur le plan des Droits de l’Homme avant la lettre, que sur des considérations culturelles. En conséquence, la négation de la culture ou sa négligence, s’accompagne de celle de l’Histoire, non pas dans l’ignorance, mais dans ce qu’elle n’a aucun retentissement sur le plan international, sorte de passé en marge et donc dépourvu d’historicité ainsi que le démontrent Cheikh Anta Diop, Ali al'Amin Mazrui, Alfred Adler, en écho d’une topographie longtemps privée d’exactitude.
Pour autant, l’imaginaire et l’utopie ne sont pas seulement le fait d’Occidentaux ou de quêteurs d’identité, mais relèvent aussi, dans une certaine mesure, des pays africains eux-mêmes, soit dans le rêve nassérien du panarabisme, et plus encore, dans l’idéal panafricanisme avec toutes les interrogations et les complexités qu’il entraîne.
Contrairement à la doxa qui veut que la littérature repose sur la fiction et par suite sur l’imaginaire, ce sont pourtant bien les écrivains africains subsahariens eux-mêmes, depuis la période des indépendances, qui ont œuvré à défaire les nœuds de la confusion et de l’européocentrisme (Todorov) en révélant de roman en roman, la créativité africaine, ses vulnérabilités succédant au colonialisme, ses erreurs, mais aussi ses richesses et ses valeurs. Aux nombreuses voix masculines (Ahmadou Kourouma, Amadou Hampatê Bâ, etc.) se joignent celles des femmes (Aminata Saw Fall, Fatou Diome, etc.).
Pour ce qui est du Maghreb, les relations diplomatiques anciennes (Louis XIV / Moulay Ismaël) ont permis d’approcher le Maroc de manière plus précise, tout comme la Tunisie, l’Algérie demeurant ignorée jusqu’à la colonisation française, mais souvent mises en scène ensuite par les peintres orientalistes. Néanmoins, là aussi, la littérature sera propice à défaire des préjugés, notamment en ce qui concerne les Amazighen, dont certaines légendes faisaient les descendants de Croisés européens égarés en Berbérie…
Dans ce contexte où le droit prend une certaine dimension de « science auxiliaire » d’une littérature mythique et d’un narratif marqué par les espoirs suscités par les indépendances et le panafricanisme, la question se pose des réalisations juridiques concrètes de l’intégration régionale. Les institutions internationales africaines sont nombreuses, leurs textes sont variés et riches, parfois novateurs (on pense au Protocole africain relatif aux droits des personnes âgées), souvent ambitieux (à l’image de la Zone de libre-échange continentale). Mais ont-elles un impact effectif ? Il ne s’agit pas de nier leur existence et leur fonctionnement institutionnel, qui s’exprime à Addis-Abeba pour le siège de l’Union africaine, à Banjul et à Arusha pour le système africain de protection des droits de l’homme et des peuples, entre autres. Il s’agit de voir si ce discours juridique commence à avoir une prise sur le réel et à orienter l’action politique, économique et sociale des Etats africains et de leurs partenaires, à l’instar des institutions européennes et de leur production normative intense, souvent citée comme une source d’inspiration du panafricanisme contemporain. Le droit est-il un des moteurs du développement africain, et son empire s’étend-il toujours dans les relations humaines du continent ? Quel avenir pour des institutions en difficulté comme la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ?
Le projet LAMVEC qui s’est donné pour objectif principal de restituer une vision des Afriques dans l’intégrité de leur réalité, s’est intéressé dans une journée d’étude au génocide rwandais (24 mars 2023), si souvent réduit à un règlement de compte ethnique. La proposition de ce colloque consacré aux imaginaires qui ont restitué des contre-vérités en créant une Afrique monolithique, primaire, et raciale quand elle se nuance (Galla vs Cafres), fera appel à plusieurs disciplines des sciences humaines. De même, il sera question d’examiner les vulnérabilités africaines dans leurs tentatives d’union politique et économique qui, elles aussi, relèvent d’un idéal que la réalité met souvent à mal. Enfin, il sera bienvenu d’observer l’évolution des juridictions, les dispositions prises par les organismes internationaux qui permettent d’observer un contre-pouvoir, apte à redonner à l’Afrique sa réalité et de tisser de possibles réparations aux imaginaires comme aux dérives politiques.
Ainsi sont proposés plusieurs axes :
1. La géographie de l’Afrique : fantasme, science et politiques.
Frontières « naturelles » et frontières « artificielles » en Afrique.
Les frontières africaines à l’heure de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Les limites variables des Afriques.
2. Evolutions de la représentation de l’Afrique : quels imaginaires ?
Les récits de voyage : construction d’un mythe africain (Léon l’Africain, les explorateurs René Caillié, Michel Vieuchange, André Gide, David Livingstone, Henry Stanley, Savorgnan de Brazza …) et théories juridiques.
Le mythe hamitique et ses conséquences historiques
Imaginaire et berbérité
La négation de la part africaine du Maghreb : un orientalisme égaré
L’Afrique réinventée et mythifiée comme la Terre Mère unifiante (négritude)
L’ethnographie en question (Michel Leiris)
La parole littéraire des Africains ou la difficile restitution d’une réalité / d’un imaginaire
3. Représentation et présence de l’Afrique dans les arts (peinture, cinéma, musique, photographie)
4. Décolonisation et « naissance » de l’Afrique indépendante au pluriel : comparaison institutionnelle et sociale des décolonisations britannique, française, portugaise et espagnole.
Le droit contribue-t-il à la création d’une conscience africaine, politique et/ou doctrinale ?
La Francophonie institutionnelle, les Francophonies et la Françafrique en question
Le panafricanisme : mythe, réalité et dynamisme institutionnel.
Initiatives et combats pour l’effectivité du droit international en Afrique.
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Les propositions sous forme de résumés (2000 signes maximum) devront parvenir avant le 15 mai 2023 à :
imaginaires.afrique@chaire-francophonies-migrations.fr
Une bibliographie des ouvrages étudiés/consultés ainsi qu’une notice biographique seront appréciées.
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Bibliographie sélective
Adler, Alfred, Hegel et l’Afrique. Histoire et conscience historique africaines, Paris, CNRS éditions, 2017.
Angelier, François, Dictionnaire des Voyageurs et Explorateurs occidentaux, Paris, Pygmalion, 2011.
Badji, Mamadou, Introduction historique à l'étude des institutions publiques et privées de l'Afrique au sud du Sahara (VIIIe siècle-XXe siècle), Aix-en-Provence, PUAM, 2021.
Cheikh Anta Diop Antériorité des civilisations nègres, mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence africaine, 1967.
Chrétien, Jean-Pierre, Rwanda, racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Paris, Belin, 2013.
Dulucq, Sophie, Écrire l'histoire de l'Afrique à l'époque coloniale, Karthala, Paris, 2009.
Galetti, Florence, Les transformations du droit public africain, Bruxelles, Bruylant, 2005.Gide, André, Voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1927.
Hodeir, Catherine, Michel Pierre, L’Exposition coloniale, Paris/Bruxelles, Complexe, 1991. Édition réactualisée, Paris, Éditions André Versaille, 2011, Édition actualisée, avec avant-propos et postface, Archipoche, 2021.
Kébé, Abdou A. A. et alii (dir.), Etat de droit et minorités en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2022.
Le Floch, Guillaume et alii (dir.), La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples : bilan et avenir, colloque de Rennes, 2021, non publié.
Le Gouriellec, Sonia, Géopolitique de l’Afrique, Paris, PUF, coll. « Que Sais-Je ? », 2022.
Mazrui, Ali al'Amin, La méthodologie de l'histoire de l'Afrique contemporaine, « Problèmes de l'historiographie africaine et philosophie de l'« Histoire générale de l'Afrique » », UNESCO, 1984 p. 15-27.
Monnier, Yves, L'Afrique dans l’imaginaire français (fin du XIXe -début XXe s), Paris, L’Harmattan, 2000.
Ndiaye, Moustapha, La construction constitutionnelle du politique en Afrique subsaharienne francophone, Paris, Dalloz, 2021.
Riche, François Bilong Nkoh, Essai sur la méthodologie de la production normative et scientifique en Afrique subsaharienne, Aix-en-Provence, PUAM, 2022.
Savorgnan de Brazza, Pierre, Au cœur de l’Afrique, Paris, Phébus, 1992.
Tchikaya, Blaise, Le droit de l'Union africaine. Principes, institutions et jurisprudences, Paris, LGDJ, 2019.
Yusuf, Abdulqawi A et Fatsah Ouguergouz (dir.), L’Union africaine, cadre juridique et institutionnel, Paris, Pedone, 2013.