Actualité
Appels à contributions
Revue ThéoRèmes : la tolérance ecclésiastique

Revue ThéoRèmes : la tolérance ecclésiastique

Publié le par Esther Demoulin (Source : Andy Serin )

La tolérance, entendue comme principe de coexistence pacifique des religions dans l’espace public, est un concept qui a une histoire : un « concept spécifiquement moderne » (1) qui s’élabore de façon progressive dans le contexte précis de l’éclatement confessionnel du XVIe siècle et des guerres de religion, ainsi que dans l’horizon de la mutation sémantique du terme latin. Cette acception moderne s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui. Néanmoins, force est de constater qu’une partie de cette acception moderne s’est estompée, au point d’être assez méconnue et oubliée : le concept moderne de tolérance fait la distinction entre la « tolérance ecclésiastique » d’un côté, également appelée théologique ou religieuse ; et de l’autre côté, la « tolérance civile » ou politique. La distinction n’apparaît pas encore dans le Dictionnaire de Furetière de 1690 et ne l’est qu’à partir de la seconde édition du Dictionnaire de l’Académie française, de 1718 :

"TOLÉRANCE se dit en matière de Religion, pour signifier, la condescendance qu’on a les uns pour les autres, touchant certains points qui ne sont point regardés comme essentiels à la Religion. L’Église Latine a toujours usé de tolérance pour l’Église Grecque sur le mariage des Prêtres. Il faut que les Catholiques aient une tolérance mutuelle à l’égard des différentes opinions de l’École."

De prima facie, la tolérance ecclésiastique est celle de l’église dans l’église, laquelle suppose une normativité en matière religieuse, plus ou moins institutionnalisée, qui tolère l’altérité en son sein. Mais, pourquoi l’église serait-elle tolérante ou devrait-elle tolérer les écarts de croyance et de pratique, n’est-elle pas souveraine à l’intérieur d’elle-même, notamment vis-à-vis de son clergé et des fidèles ? Comme en témoigne l’article « tolérance » du Dictionnaire de théologie catholique au XXe siècle, la tolérance ecclésiastique n’a rien d’évident, mais c’est davantage l’intransigeance, pour ne pas dire l’intolérance, qui semble être l’attitude cohérente à une autorité religieuse dans sa pleine juridiction. Qu’est-ce que cela induit pour la justice ecclésiastique et comme moyens d’action punitive ? D’après sa stricte définition, le concept de tolérance ecclésiastique soulève le problème de la gestion d’une altérité qui est toute intérieure. Cette tolérance ecclésiastique n’est toutefois pas un principe, elle se conçoit sous le régime de l’exception : peuvent en bénéficier seulement ceux qui diffèrent sur des points non essentiels. Lesquels ? S’il ne peut s’agir des articles de foi qui sont nécessaires au salut de l’âme, quels dogmes spéculatifs ou pratiques ? Ne s’ensuit-il pas d’exclure les infidèles, les apostats, les hérétiques, les schismatiques, les fidèles quoique pécheurs publics ? Mais, qui reste-t-il alors dans le giron de l’église à pouvoir bénéficier de sa tolérance ecclésiastique ?

Dans l’esprit de la revue ThéoRèmes, ce dossier thématique se propose ainsi d’étudier la tolérance dans sa spécificité ecclésiastique, d’interroger la manière dont un tel concept se constitue dans les textes religieux et philosophiques, ainsi que dans les archives historiques et juridiques. Par là-même, il s’agit d’affiner notre compréhension ordinaire de la tolérance, et de réfléchir à ce que c’est pour une institution ou communauté religieuse que d’être tolérante.

Qu’est-ce que la tolérance ecclésiastique ? Peut-on affiner le concept en intension et extension ? Pourquoi et comment la distinguer de la tolérance civile ? Qu’est-ce qui la subsume sous le concept moderne, plus générique, de tolérance ? Dans quel système de pensée et réseau discursif, la tolérance ecclésiastique s’inscrit-elle ? Quels sont les auteurs à l’avoir élaboré, défendu ou attaqué ? Y a-t-il une doctrine de la tolérance ecclésiastique chez Spinoza, Locke, Bayle, Voltaire ? D’autre part, à quelle conception de la religion s’articule-t-elle ? Que donne-t-elle à penser de la normativité religieuse ? Cette tolérance ecclésiastique qui naît dans le contexte moderne de l’Occident chrétien, a-t-elle des antécédents, et des équivalents dans les autres religions ? Comment se traduit-elle dans les croyances et les pratiques religieuses ? Qu’est-ce qui est permis par la tolérance ecclésiastique ? Que change-t-elle à la justice ecclésiastique ? Enfin, quel potentiel conceptuel et heuristique recèle-t-elle pour nous aujourd’hui ? Cette tolérance ecclésiastique s’observe-t-elle actuellement dans les diverses institutions et communautés religieuses ?

Autant de questions qui offrent des pistes de réflexion pour une étude interdisciplinaire et comparatiste sur la tolérance ecclésiastique.

Modalités de soumission :

Date limite pour l’envoi des propositions, 500 mots, à Andy.Serin@univ-paris1.fr : 10 mars 2023

Sélection des propositions par le comité de rédaction de la revue et Andy Serin
Réponses aux auteurs : 15 mars 2023

Envoi des articles, 40 000 signes, espaces compris : septembre 2023

(1) ZARKA, Y-C., « Présentation générale. La tolérance ou comment coexister : anciens et nouveaux enjeux », in ZARKA, Y., LESSAY, F., ROGERS, J., Les fondements philosophiques de la tolérance, 3 tomes, Paris, PUF, 2016, p. VIII.