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Appels à contributions
Réécrivains et reflets d’artistes : l’auteur et ses représentations dans les réécritures et les continuations d’œuvres espagnoles des XVIe et XVIIe siècles (Saint-Etienne)

Réécrivains et reflets d’artistes : l’auteur et ses représentations dans les réécritures et les continuations d’œuvres espagnoles des XVIe et XVIIe siècles (Saint-Etienne)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Morgane KAPPES-LE MOING)

Appels à contributions pour un colloque international

Réécrivains et reflets d’artistes : l’auteur et ses représentations dans les réécritures et les continuations d’œuvres espagnoles des XVIe et XVIIe siècles

Jeudi 12 et vendredi 13 octobre 2023, Université de Saint-Etienne



            Si la question de l’auteur et de l’auctorialité soulève depuis plusieurs décennies interrogations et réflexions fertiles, celle de la figure particulière qu’est l’auteur reprenant une œuvre antérieure reste un champ d’étude encore malheureusement trop peu exploré. Pourtant, aussi bien en littérature qu’en arts plastiques, rares sont les productions qui, d’une façon ou d’une autre, ne constituent pas une suite, un écho ou une réponse à une réalisation précédente, et ce depuis les temps les plus anciens. Mais c’est à l’époque moderne que la notion d’auteur prend toute son importance : Michel Foucault situe l’émergence de la fonction d’auteur à la fin du Moyen-Âge, en lui attribuant des caractéristiques complexes[1]. Quant à Roland Barthes, il précise que « l’auteur est un personnage moderne », et, s’il proclame sa mort, c’est pour insister sur le fait que « le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture. […] L’écrivain ne peut qu’imiter un geste toujours antérieur, jamais originel »[2]. 

            Que se passe-t-il quand, au contraire, un artiste, aussi bien écrivain que plasticien, reproduit, de façon visible et éventuellement assumée, « un geste antérieur » identifiable, quand il s’inspire de façon flagrante d’une création d’un de ses prédécesseurs, quelle posture prend-il par rapport à celle-ci ? Assume-t-il un hommage ou emprunte-t-il des idées de façon clandestine ? « S’inscri[t-il] dans un héritage » pour rechercher « la valeur de garantie que comporte la notion d’auteur » ? Ou affirme-t-il au contraire sa propre autorité en se présentant comme « le révélateur du premier texte »[3] ? Comment continuation et recréation s’affrontent-elles et se complètent au point de devenir parfois indissociables aux yeux de certains ? Tout écrivain est-il nécessairement, si l’on nous permet ce néologisme, un réécrivain ? Ce réécrivain se présente-il comme auteur ? Tout artiste s’inscrit-il forcément dans la continuité ou alors dans la rupture avec d’autres mouvements ? 

            Afin de cerner un ensemble riche mais cohérent, nous nous concentrerons, en ce qui concerne les œuvres originales, sur les textes hispaniques des XVIe et XVIIe siècles : ceux-ci constituent en effet les Siècles d’Or espagnols et forment ainsi une unité forte qui, dès le XVIIIe siècle, devient classique, au sens propre puisqu’elle sert à l’instruction[4]. La notion d’auteur et d’artiste change et se modernise au début des Siècles d’Or. Les hommes de plume voient leur prestige d’« uomini universali »[5] croître, les nobles se targuent de composer des poèmes et dirigent des académies littéraires... Dans ce contexte, les auteurs tentent de vivre de leur plume, devenant dépendants du marché sans pour autant gagner totalement leur autonomie vis-à-vis des mécènes[6]. Le champ littéraire est en train d’apparaître, comme en témoignent notamment les travaux d’Alain Viala[7]. Les anecdotes significatives au sujet des artistes plasticiens, peintres essentiellement, sont également nombreuses : Charles Quint se serait baissé pour ramasser un pinceau de Titien, Philippe IV aurait peint la croix de l’ordre nobiliaire de St-Jacques sur le buste de Velázquez dans Les Ménines… 

            Mais le fait de commencer à devenir des professionnels de la plume ou du pinceau change-t-il le rapport des artistes à la création ? Autrement dit, devenir auteur équivaut-il à devenir créateur ? « Yo soy el primero que he novelado en lengua castellana », écrit fièrement Cervantès dans son prologue aux Nouvelles exemplaires[8]. Il se présente ainsi comme un véritable créateur, qui ne se contente pas de traduire et de transformer des nouvelles italiennes. Pourtant, les reprises et les transformations sont légion, dès l’œuvre cervantine pourrait-on dire en pensant au Quichotte apocryphe et, plus tard, au Pierre Ménard de Borges. Si, déjà au XVIIe, Velázquez, interroge le statut du peintre dans Les Ménines, l’Equipo Crónica renouvelle ce questionnement au XXe avec la série Tributo a Velázquez[9] et Alberto García-Alix fait de même plus récemment, dans la série Fantasías en el Prado[10]. A l’intérieur et en dehors des frontières espagnoles[11], on compte, jusqu’à nos jours, bien des transformations, des réinterprétations plastiques de peintures, de sculptures des Siècles d’Or espagnols. 

            Partant des œuvres écrites et plastiques des Siècles d’Or espagnols, pour examiner leurs réécritures et réélaborations, toutes périodes et aires linguistiques confondues, nous proposons d'interroger le thème de l’artiste et de ses représentations dans les réécritures et les continuations d’œuvres diverses, afin de définir des convergences et des divergences. Comment la continuité ou la rupture apparaît-elle dans les œuvres ? Comment cela évolue-t-il dans le temps ? Certaines époques, certaines aires culturelles, certains genres sont-ils propices à une réécriture, à une continuation ou à une réélaboration qui célèbre l’œuvre originale, en fondant sa qualité sur le prestige de celle-ci ? Peut-on distinguer, au contraire, des paramètres favorisant une distanciation critique, voire moqueuse ? Continue-t-on une œuvre précédente tout en étant un auteur véritable ? Qu’en est-il de la notion de propriété intellectuelle ? Quel impact a-t-elle alors sur les représentations de l’artiste ?[12] 

            Ces questions, et d’autres qui leur sont liées, pourront être examinées avec profit lors de ce colloque, pour lequel les propositions de communications sont à envoyer avant le 31 mars 2023 conjointement à morgane.kappes@univ-st-etienne.fr et à rafaele.audoubert@univ-st-etienne.fr. Merci de nous faire parvenir votre proposition sous la forme d’un texte d’une page maximum, accompagné de votre titre, même provisoire.

 



[1] Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la société française de philosophie, 1969, p. 84-88.
[2] Roland Barthes, « La mort de l’auteur », Œuvres complètes, tome II, Paris, Le Seuil, 1968,  p. 491-495.
[3] Alain Brunn, L’auteur, Paris, GF Flammarion, 2001, p. 216.
[4] Notamment à travers le Diccionario de Autoridades, qui se fonde essentiellement sur les textes de cette époque.
[5] Marc Fumaroli, « Introduction » à L’âge d’or du mécénat (1598 – 1661), Paris, Editions du CNRS, 1985, p. 4.
[6] On pense par exemple à la seconde partie du Quichotte, où Cervantès prétend se moquer du patronage du comte de Lemos en invoquant un improbable protecteur : l’empereur de Chine... tout en  demandant néanmoins au grand seigneur espagnol de délier sa bourse.
[7] Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, Les Éditions de Minuits, 1985.
[8] Miguel de Cervantès, Novelas ejemplares, Madrid, Cátedra, 2003, p. 52.
[9] Equipo Crónica, Las Meninas. Tributo a Velázquez, 1970.
[10] Il y utilise la technique de l’exposition multiple pour monter comment, selon ses termes, « chaque tableau est un monde, qui peut permettre d’en construire un nouveau ». Alberto García-Alix, travail réalisé entre 2018 et 2021 et publié sous le titre Fantasías en el Prado, Madrid, La Fábrica, 2022.
[11] Corneille emprunte à Guillén de Castro des vers entiers pour écrire le Cid, Lesage, au siècle suivant, doit beaucoup au Diablo cojuelo de Vélez de Guevara, et Lope de Vega voit le personnage de Raquel, la belle juive de Tolède, passer la frontière de la France de Cazotte, de l’Autriche de Grillparzer puis de l’Allemagne de Feuchtwanger, avant de rentrer en Espagne dans un roman de José María Pérez Peridis, respectivement aux XVIIIe, XIXe, XXe puis XXIe siècles…  
[12] En effet, si l’avènement de l’imprimerie soulève déjà d’une façon nouvelle les problèmes de la détention des droits économiques liés à la production artistique dans certains pays (on peut raisonnablement parler d’une préoccupation pour ce concept dès la Renaissance en Italie et dès le premier XVIe siècle en Allemagne et en Angleterre), il faut attendre le début du XVIIe siècle, pour voir surgir cette notion en ce qui concerne l’Espagne.