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Enquête sur les littératures trash au Québec de la Révolution tranquille à aujourd’hui

Enquête sur les littératures trash au Québec de la Révolution tranquille à aujourd’hui

Appel à contribution pour un ouvrage collectif :

Enquête sur les littératures trash au Québec de la Révolution tranquille à aujourd’hui. 

Sous la direction de François-Emmanuel Boucher et Marie-Hélène Larochelle.
 

Je suis pas un quart à vidanges!... Réjean Ducharme, Va Savoir, p. 79


Le trash demeure une catégorie floue. C'est à la fois un courant, un ensemble de thèmes et, peut-être encore, une esthétique particulière. Conjuguer la littérature trash au singulier pose néanmoins problème compte tenu qu’elle connote des multiples phénomènes souvent dissemblables les uns les autres. L'analphabète des bas-fonds n'est pas la narratrice de Borderline, qui n'est pas non plus le « rada » de Réjean Ducharme, les marginaux de La Canicule des pauvres, l’enfant abusée de Chienne, ou encore l'un de ces ruraux déjantés que l’on retrouve dans Sur la 132 ou dans Tout est Ori. « Le trash, explique Kirouac-Massicotte, concerne bien ces être jetables, dont le système capitaliste, patriarcal et colonisateur qui est le nôtre n'a plus besoin[1]. » Il reste que le réalisme d’autrefois, en comparaison beaucoup moins sulfureux, avait aussi pour rôle de dévoiler l'arrière fond d’un système jugé injuste et immoral sans que l’esthétique générale qui était sienne puissent se définir par cette catégorie qui renvoie directement à l’univers des déchets. Le trash trouve une parenté avec l’abject et l’indicible : ce que le moi rejette, ce à quoi il refuse de s’associer. Le rejet serait dès lors symptomatique puisque cet extérieur se révèle essentiellement un intérieur oublié que le moi ne veut pas voir comme tel et surtout pas voir comme sien. Il a déjà été souligné que le trash serait à l’opposé du kitsch en raison de son refus de lisser le langage pour laisser libre cours aux diverses expressions de la souillure. Crachats, sang, lait, urine, excréments et larmes, pour reprendre une énumération de Mary Douglas, viennent salir une narration qui autrement laisserait entrevoir des personnages trop décents et des comportements trop tolérables.[2] Le territoire de la trashitude outrepasse donc celui de la norme, des conventions et des tabous. Le trash dévoile un univers qui excède celui de la misère économique et celui de la souffrance de ces êtres perdus et oubliés dans les bas-fonds d’un ordre social qui se veut acceptable. Exhibant ce qui devrait être dissimulé, le trash use le plus souvent d’un langage cru, si ce n’est le joual qui oblige le sujet à élargir les frontières imaginaires de son identité et dès lors sa compréhension de la société et de l’autre.

Le collectif se donne pour but d’explorer diverses expressions de l’esthétique trash dans la littérature québécoise de la Révolution tranquille à aujourd’hui dans le but à la fois de circonscrire un corpus et de proposer des éléments en vue d’une hypothétique définition de cette catégorie littéraire. Qu’est-ce que la littérature trash? Le trash québécois a-t-il des caractéristiques singulières qui le distingueraient de son homologue américain? De Victor Lévy-Beaulieu à Michelle Dallaire-Lapierre, par exemple, d’Un rêve québécois à Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, la nature trash des descriptions, des personnages, de l’atmosphère est-elle évoluée et, si c’est le cas, comment et dans quelle direction? Au final, que penser de la pertinence de cette catégorie et sa capacité à saisir une tendance forte qui émerge dans plusieurs publications au Québec au tournant des années 1960? Encore : que dit ce type de littérature sur l’américanité de la société québécoise et de sa situation actuelle?
 
Axes possibles (mais non exhaustifs) de recherche : 

Les précurseurs
Le trash et la culture religieuse québécoise
La sexualité trash et la notion de déviance
Esthétique trash et ses liens avec la dépendance et la toxicomanie
Trash littéraire urbain et trash littéraire rural
Américanité du trash littéraire québécois
La question du trash dans la littérature autochtone d’expression francophone
L’univers thématique du trash
La littérature trash et la notion d’anomie
Les frontières du trash et ses filiations avec la folie et l’horreur 
La trashitude comme vecteur narratif d’un certain malaise dans la modernité québécoise 
Le trash et la censure
La poésie trash, le roman trash, le conte trash, la nouvelle trash.
La bande dessinée trash (Red Ketchup de Pierre Fournier et Réal Godbout, Maxiplotte de Julie Doucet, etc.). 
 
La visée de ce collectif est l’étude des différentes expressions que prennent le dévoilement d’un univers glauque qui dénote la saleté, la sexualité malsaine, la toxicomanie, l’alcoolisme, la pauvreté sordide pour ne pas dire la violence que subissent et qu’exercent des groupes sociaux marginalisés dont la nature s’apparente à celle du déchet et dont la représentation demeure impossible à l’intérieur d’une esthétique traditionnelle. Cette esthétique nouvelle, inconnue au Québec avant la sortie de la Grande noirceur, repousse le territoire du narrable et du représentable de sorte qu’elle peut être perçue comme une facette de la libération des mœurs et de l’extension de la liberté d’expression (qui s’incarnerait par un discours cru et abrasif qui met en scène les nouveaux poqués du système). C’est dans ce sens que la littérature trash fait plus qu’une simple incursion dans la chambre à coucher et dans l’univers des transgressions convenues mais s’invite là où se trouvent les traumas multiples, les dépendances, les comportements déviants, la folie, la marginalité extrême, autrement dit le territoire anomique de la modernité québécoise.

Bibliographie

Arsenault, Mathieu, « Ruralité trash », Liberté, 53(3), 2012, 38–47.

Beddows, Joël. « Pour tuer un père kitsch : Le chien de Jean Marc Dalpé », dans Joël Beddows et Louise Frappier, Histoire et mémoire au théâtre : perspectives contemporaines, Québec, Presses de l’Université Laval, 2016, p. 101-119.

Brown, Cecily F. People-as-Garbage: A Metaphor We Live By, Saarbrücken, Lambert Academic Publishing, 2012.

Calinescu, Matei. « Kitsch and Modernity », dans Matei Calinescu, Five Faces of Modernity: Modernism, Avant-Garde, Decadence, Kitsch, Postmodernism, Durham, Duke University Press, 1987, p. 225-264.

Mary Douglas, De la souillure, Paris, Maspero, 1971.

Harrow, Kenneth W., Trash: African Cinema from Below, Bloomington, Indiana University Press, 2013.

Isenberg, Nancy., White Trash: The 400-Year Untold History of Class in America, New York, Penguin Books, 2016.

Kalifa, Dominique, Les Bas-fonds. Histoire d’un imaginaire, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2013.

Kennedy, Greg, An Ontology of Trash: The Disposable and Its Problematic Nature, Albany, State University of New York Press, 2007.

Kirouac Massicotte, Isabelle, « Écrire la périphérie au Québec: le Chicoutimi-Nord de Geneviève Pettersen et le Nutshimit de Naomi Fontaine », Voix et Images, 45(1), 2019, 63–77.

Kirouac-Massicotte, Isabelle, « Des ‘déchets humains’ : esthétique trash et partage du sensible chez Margaret Laurence », Studies in Canadian Literature / Études en littérature canadienne, 44(2), 2019, 58–80.

Kulka, Tomas, Kitsch and Art, University Park, Pennsylvania State University Press, 1996.

Lefort-Favreau, J., « Josée Yvon classique trash», Liberté, (303),2014 75–75.

Moser, Walter. « The Acculturation of Waste », dans Brian Neville et Johanne Villeneuve (dir.), Waste-Site Stories: The Recycling of Memory, Albany, State University of New York Press, 2002, p. 85-105.

Rancière, Jacques, Malaise dans l’esthétique, Paris, Galilée, 2004.

—. Le partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.

Rimstead, Roxanne, Remnants of Nation: On Poverty Narratives by Women, Toronto, University of Toronto Press, 2001.

Rivard, S., « Éloge du trash / Catéchèse, de Patrick Brisebois », Spirale, (217), 2007, 47–48.

Thompson, Michael, Rubbish Theory: The Creation and Destruction of Value, Oxford, Oxford University Press, 1979.

Tremblay, Emmanuelle, « Une identité frontalière : altérité et désir métis chez Robert Lalonde et Louis Hamelin », Études françaises, vol. 41, no 1, 2005, p. 107-124.


 
Les propositions d’article (500 mots) ainsi qu’une courte biobibliographie sont à envoyer au plus tard le 1er mai 2023 aux responsables du collectif.   

François-Emmanuël Boucher, Collège militaire royal du Canada (Kingston), Francois-Emmanuel.Boucher@rmc.ca

Marie-Hélène Larochelle, York University, mlarochelle@glendon.yorku.ca

Les notifications d’acception seront données avant le 1er juin 2023.

Les articles (de 8000 à 10000 mots) seront à remettre le 20 janvier 2024.

Le livre sera publié aux Presses de l'Université Laval dans la collection "Littérature et imaginaire contemporain".


 
[1] Kirouac-Massicotte, Isabelle "Des « déchets humains » : esthétique trash et partage du sensible chez Margaret Laurence". Studies in Canadian Literature / Études en littérature canadienne 44, no. 2 (2019), p. 61.
[2] Mary Douglas, De la souillure, Paris, Maspero, 1971, p. 137.