Actualité
Appels à contributions
Science-fiction et traduction (revue ReS Futurae)

Science-fiction et traduction (revue ReS Futurae)

Publié le par Marc Escola (Source : Simon Bréan)

Science-fiction et traduction

Dossier Res Futurae n° 24,  novembre 2024

Responsable du dossier : Alice Ray (Université d’Orléans)

Adresse à laquelle envoyer toute proposition et correspondance : alice.ray@univ-orleans.fr (250-300 mots, accompagnées d’une brève bio-bibliographie)

Échéances :

  • Diffusion de l’appel : février 2023
  • Date limite pour les propositions : 30 avril 2023
  • Remise des articles v1: 1er octobre 2023
  • Evaluations et navettes: octobre 2023 – juin 2024

Mise en ligne : novembre 2024

L’histoire de la science-fiction est étroitement liée à l’histoire de ses traductions. En France, la fin de la Seconde Guerre mondiale voit arriver une circulation internationale de la culture américaine bien plus intense que précédemment et la science-fiction (dont le nom est conservé tel quel, avec un tiret) s’installe ainsi dans le paysage éditorial comme un « nouveau genre » d’exportation culturelle américaine (voir Gouanvic, 1999). La traduction devient alors un enjeu essentiel, car la structuration de ce dernier découle du corpus anglophone et le système de production en dépend. Aujourd’hui, la science-fiction anglophone est toujours très présente sur le marché éditorial, mais les collections spécialisées intègrent de plus en plus des ouvrages d’autres langues (Métro 2033 de Dmitri Gloukhovski ; Le Problème à trois corps de Liu Cixin). De plus, du fait de sa nature intermédiatique, la science-fiction offre des exemples de diffusion internationale invitant à réfléchir aux modalités et choix de traduction, depuis les œuvres de Méliès au début du siècle (L’homme à la tête en caoutchouc, 1901 ; Le Voyage dans la Lune, 1902), en passant par la bande dessinée (Dans l’infini de G. Ri, 1906; Valérian de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, 1967), jusqu’au jeu vidéo (Space Invaders de Taito, 1978 ; Dead Space d’Electronic Arts, 2008), sans oublier la musique et le théâtre (The Making of the Representative for Planet 8 de Philip Glass, 1982 ; R.U.R. de Karel Čapek, 1920). Outre les questions d’aires culturelles et linguistiques qu’elles permettent de repérer, les spécificités de la traduction de la science-fiction peuvent ainsi renvoyer à des logiques de périodisation historique aussi bien qu’à des périmètres médiatiques.

La traduction du genre et ses nombreux ressorts ne font pas encore l’objet d’études systématiques ; néanmoins, certains ouvrages et articles s’intéressent à ces questions, que ce soit du point de vue de la linguistique et de la traductologie (Kraif, 2020 ; Poix, 2020 qui s’intéresse à l’innovation lexicale ; Čačija et Marković, 2018 pour une entrée sur la traduction des néologismes en fantasy ; Korpi, 2017 qui propose le concept de generic fluency ; Wozniak, 2014a et 2014b ; Stange-Fayos, 2009 ; Munat, 2007 ; Fraix, 2000) ; des éléments culturels (Guttfeld, 2008) ou encore de la réception (Sáenz, 2020 ; Aloisio, 2018). Nous pouvons également citer le travail de Jean-Marc Gouanvic (1999) sur l’importation des œuvres science-fictionnelles américaines en France dans les années 1950 ou encore le chapitre dédié aux littératures de genre dans le volume Histoire des traductions en langue française (Langlet, Besson, Holmes et Levet, 2019). Si l’ouvrage de Simon Bréan (2012) retrace spécifiquement l’histoire du genre en France, il offre un aperçu bienvenu sur les liens entre l’histoire éditoriale de la science-fiction en France et la traduction, cette dernière ayant permis de structurer le genre. Un volume récent (2021) édité par Ian Campbell offre un aperçu plus vaste des questions traductives liées à la science-fiction, Science Fiction in Translation, Perspectives on the Global Theory and Practice of Translation. Dans cet ouvrage, les auteur.e.s s’intéressent à un grand nombre d’œuvres (de langues sources et cibles différentes) et à diverses spécificités comme la question du genre ou celle de la censure d’œuvres de science-fiction traduites.

Aux difficultés propres à tout processus de traduction (contraintes linguistiques, question de la fidélité, adaptation culturelle, prise en compte du public cible et de l’époque de production), la science-fiction ajoute des particularités qui se révèlent être un défi pour les traducteurs et traductrices, et ce, quels que soient le média et les langues concernés. Mentionnons l’inventivité lexicale (« ansible », « métanoïa », « laser-whip », « facescaper », « distille », traduction de « stillsuit » dans Dune, ou « réplicateur », traduction de « replicator » dans l’univers de Star Trek) ou encore la défamiliarisation linguistique (Angenot, 1978 et Sorlin, 2010), qui implique de construire dans chaque langue cible une reconfiguration ou déformation analogue à celles que l’auteur a mis en place (pensons, parmi de nombreux exemples, à Cartographie des nuages de David Mitchell ou encore à Efroyabl Ange1 de Iain Banks). La pratique de la traduction de la science-fiction doit également prendre en compte la mise en réseau des termes et des notions fictionnelles (le « megatext » de Damien Broderick). Le genre constitue un océan partagé intermédiatique et interculturel qu’il est indispensable de connaître et de naviguer pour en traduire les œuvres. On peut citer, par exemple, les cas d’inventions science-fictionnelles qui parcourent les œuvres de science-fiction et intègrent telles quelles le lexique science-fictionnel : un blaster ne sera plus traduit par autre chose que blaster ; un hoverboard reste un hoverboard. À l’inverse, certains mots peuplant l’imaginaire science-fictionnel ont des traductions conventionnelles ou consensuelles bien que ces innovations n’aient aucun référent dans le monde réel : « terraformation » est la traduction de terraforming consacrée par l’usage, et le terme ne peut être que difficilement traduit autrement. Ces caractéristiques compliquent encore une tâche de restitution d’un imaginaire culturel et linguistique propre à l’auteur.e, ou lié au sujet qu’il se donne car la science-fiction ajoute un niveau supplémentaire, dans la mesure où elle utilise le transfert culturel comme outil stylistique, d’une manière dont il faudrait interroger la spécificité. Quand Frank Herbert emprunte des mots à la langue arabe dans Dune pour créer un certain exotisme et faire appel à des imageries particulières, il n’y puise pas seulement des consonances exotiques, mais suggère l’arrière-plan d’une histoire du futur. Pour autant, que deviennent ces termes dans la traduction en arabe ? Sont-ils maintenus, remplacés par d’autres ? De même, le cyberpunk des années 80 emprunte beaucoup aux cultures asiatiques pour mettre en scène un possible futur (Blade Runner de Ridley Scott, Strange Days de Kathryn Bigelow), mais ces mots et ces espaces existent déjà dans leurs cultures d’origine. Les œuvres viennent alors leur ajouter une nouvelle couche sémantique. La science-fiction fait résonner constamment les œuvres qui la composent, ainsi que les cultures et les langues, compliquant la tâche de la traduction.

La thématique de ce numéro de ReS Futurae entend approfondir l’étude de la traduction de la science-fiction sous de multiples perspectives et à travers une approche interdisciplinaire et intermédiatique. Nous sollicitons des textes proposant aussi bien des réflexions théoriques sur la traduction de la science-fiction que des études de cas, et ce dans une pluralité de langues et de cultures sources et cibles et à travers diverses disciplines (traductologie, linguistique, sociolinguistique, théorie de la réception, littérature comparée)

À titre indicatif, nous proposons plusieurs pistes de recherche :

  • Spécificités du genre en traduction: analyse et discussion des spécificités traductives liées au genre même de la science-fiction, à travers une analyse générale articulée à des propositions théoriques précises, ou à partir d’une étude de cas significatif.
  • La science-fiction française à l’étranger: analyse de la réception et du parcours éditorial des œuvres françaises hors de l’espace francophone (traduction dans d’autres langues de romans de Jules Verne, Pierre Bordage, Élisabeth Vonarburg, de bandes dessinées comme La Caste des Méta-Barons, etc.).
  • Retraduction et SF: la rotation éditoriale rapide des récits de science-fiction dans les années 50 et la professionnalisation tardive des traducteurs et traductrices ont engendré des textes incomplets et à la qualité critiquable et critiquée. Cela a donné lieu à des retraductions et des révisions de traduction dans de nombreux pays (pour en citer quelques-uns : Altered Carbon de Richard Morgan en espagnol ; Starship Troopers de Robert A. Heinlein en français ou encore We de Yevgeny Zamyatin en anglais), qu’il serait souhaitable de comparer et d’analyser pour comprendre les changements dans les choix de traduction, tout en faisant émerger les enjeux éditoriaux.
  • Science-fiction non-francophone et non-anglophone : l’évolution, la place et la réception d’œuvres provenant d’une pluralité de langues sources dans des paysages culturels et linguistiques autres.
  • Intermédialité, transmédialité et crossmédialité en traduction: de nombreuses œuvres de science-fiction sont adaptées sous diverses formes (de la littérature au cinéma [Frankenstein ; Gunnm ; Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques] au jeu vidéo [Métro 2033] à la série télévisuelle [The Expanse ; Fondation] ou à l’inverse du cinéma à la littérature [Alien ; Star Wars], au jeu vidéo [Alien ; Jurassic World ; Star Trek], etc.). Comment le transfert médiatique intervient-il dans le processus de traduction ? Quelles sont les stratégies traductives mises en œuvre selon les différents médias, certaines sont-elles spécifiques à la science-fiction ?

    Bibliographie indicative
  • Aloisio Loïc, « La Traduction et la réception de la littérature de science-fiction chinoise en France », 비교한국학, vol. 26, no 1, 2018, p. 17‑46.
  • Angenot Marc, « Le paradigme absent. Éléments d’une sémiotique de la science-fiction », Poétique, no 33, 1978.
  • Bréan Simon, La science-fiction en France : théorie et histoire d’une littérature, Paris : Sorbonne Université Presses, 2012.
  • Broderick Damien, « Reading SF as a Mega-Text », The New York Review of Science Fiction, vol. 47, 1992, p. 8‑11.
  • Čačija Romana et Marković Mirjana, « Translating Neologisms And Proper Nouns In Fantasy Fiction For Young Adults », Strani Jezici : Časopis Za Primijenjenu Lingvistiku, vol. 47, no 4, 2018, p. 197‑219.
  • Campbell Ian (éd), Science Fiction in Translation: Perspectives on the Global Theory and Practice of Translation, Londres : Palgrave Macmillan, 2021.
  • Fraix Stéphanie, La traduction en France de la science-fiction anglo-saxonne: la créativité langagière à l’œuvre, Thèse soutenue à l’Université d’Artois sous la direction de Michel Ballard, 2000.
  • Gouanvic Jean-Marc, Sociologie de la traduction : la science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950, Arras : Artois Presses Université, 1999.
  • Guttfeld Dorota, English-Polish Translations of Science Fiction and Fantasy: Preferences and Constraints in the Rendering of Cultural Items. Torún, Wydawnictwo Naukowe GRADO, 2008.
  • Korpi Suvi, « Neologies as the Voice of Science Fiction in Translation: the Quest for Generic Fluency » in N. Keng, A. Nuopponen et D. Restab (éds.), Voices, VAKKI Publications no. 8, 2017, p. 88-99, [consulté le 04 janvier 2023], URL : https://vakki.net/publications/2017/VAKKI2017_Korpi.pdf
  • Kraif Olivier, « Sous-genre littéraire et traduction. Une approche textométrique », Des mots aux actes 2019, n° 8. Traduction et technologie, regards croisés sur de nouvelles pratiques, n°8, 2020.
  • Langlet Irène, Besson Anne, Levet Natacha et Holmes Diana, « Littératures de genre », in Bernard Banoun et al., Histoire des traductions en langue française, xxe siècle, Lagrasse : Verdier, 2019, p. 947‑980.
  • Munat Judith, « Lexical creativity as a marker of style in science fiction and children’s literature » in Judith Munat (éd), Lexical creativity, texts and contexts, Amsterdam : John Benjamins Publishing, 2007, p. 163‑187.
  • Poix Cécile, « L’hypostatisation des occasionnalismes poétiques dans la littérature pour la jeunesse ou l’innovation lexicale suffit-elle à poser l’existence d’une entité fictive ? », Neologica : revue internationale de la néologie, no 14, juillet 2020, p. 145‑166.
  • Saenz Aitziber Elejalde, « (Re)Translation and Reception of Neologisms in Science Fiction », Transletters. International Journal of Translation and Interpreting, n° 4, août 2020, p. 39‑58.
  • Sorlin Sandrine, La défamiliarisation linguistique dans le roman anglais, Montpellier : Presses Universitaires de la Méditerranée, 2010.
  • Stange-Fayos Christina, « Spécificités et difficultés de la traduction de textes de science-fiction. À l’exemple du roman de Wolfgang Jeschke, Das Cusanus Spiel », Cahiers d’Études Germaniques, vol. 56, no 1, 2009, p. 153‑166.
  • Wozniak Monika, « Future imperfect: Translation and translators in science-fiction novels and films », in Klaus Kaindl et Karlheinz Spitzl (éds), Transfiction: research into the realities of translation fiction, Amsterdam : John Benjamins Publishing Company, 2014a, p. 345‑362.
  • Wozniak Monika, « Technobabble on screen: translating science-fiction films », Intralinea – Special Issue: Across Screens Across Boundaries, 2014b, [consulté le 04 janvier 2023], URL : http://www.intralinea.org/specials/article/technobabble_on_screen