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Surprendre l’événement, traquer l’impossible (Revue Elseneur, n° 40)

Surprendre l’événement, traquer l’impossible (Revue Elseneur, n° 40)

Publié le par Marc Escola (Source : Pamela Krause)

Appel à contributions: Surprendre l’événement, traquer l’impossible (Revue Elseneur, no 40)

Volume collectif et interdisciplinaire dirigé par Pamela Krause (Sorbonne université), publié par la revue Elseneur (Presses universitaires de Caen) et diffusé en Open Edition.


Le présent volume entend interroger la pertinence et les enjeux (éthiques, politiques, philosophiques, littéraires) liés au concept d’événement. Concept phare de la phénoménologie, des disaster studies, de la philosophie politique et des trauma studies, il heurte notre être-au-monde au choc de l’accidentel et de l’imprévisible. Défiant la somme des possibles qui s’articulent pour nous en monde, jaillissant sans cause et sans pourquoi, il fait vaciller nos langages, nos concepts, nos corps et notre psyché : « Une catastrophe, un séisme, un tsunami, une explosion ne déchirent pas seulement l’air, la terre et la mer et toutes les dimensions de l’atmosphère », mais « ouvrent surtout en nous une fêlure immense » lit-on dans Ce qui nous arrive— ouvrage collectif dédié à l’écriture de l’incompréhensible qu’est l’événement. La « fêlure » (mot qui ne peut qu’évoquer la « plaie » laissée par un traumatisme) introduite par l’événement perturbe le réseau de significations qui s’articule pour nous en monde. Irréductible à la factualité (historique, datable), un événement ne se contente pas de se produire ; transfigurateur et donateur de monde, il a le pouvoir d’atteindre le possible à sa racine, d’annoncer l’impossible—à savoir, l’avènement d’un nouveau monde. Une fois l’événement advenu, « ce ne sera jamais plus le même monde, avec ses possibilités articulées entre elles et ses impossibilités » écrit Claude Romano dans L’événement et le monde.

Nous prenant au dépourvu, faisant voler le monde en éclats, l’événement nous condamne à ne jamais pouvoir le rattraper. Les mots et les concepts nous manquent pour raconter l’innombrable richesse de ses effets, pour dépister, a posteriori, les signes de son apparition. Imprévisible, impossible à reproduire, résistant à toute grille interprétative qui lui serait antérieure, l’événement impose par conséquent une nouvelle et inépuisable herméneutique. Ce n’est pas un hasard si la phénoménologie contemporaine insiste sur sa difficile saisie conceptuelle : imprévisible, irréductible à toute explication causale ou factuelle, faisant voler le monde en éclats, l’événement est en fait en devenir à travers l’expérience et les réécritures que nous en faisons. 
Il s’agit donc d’interroger l’inadéquation qui se creuse entre nos mots et l’événement, de la saisir en ce qu’elle a de plus porteur et de plus difficile. Cette difficulté, nous la lisons à l’œuvre dans le journal de Charif Majdalani (Beyrouth 2020. Journal d’un effondrement), dans le roman de Michaël Ferrier (Récit d’un désastre), dans Les Poèmes de la bombe atomique de Sankichi Tōge ; elle hante Le journal d’un deuil de Roland Barthes ; elle parcourt l’œuvre d’Alain Badiou, de Claude Romano, de Jean-Luc Marion, de Martin Heidegger…

L’attention portée à la représentation et à la conceptualisation de l’événement conduit aussi à interroger la nécessaire transformation des pratiques conceptuelles et littéraires—sommées de dire l’indicible comme tel, de penser l’impossible sans le trahir.
Il s’agira aussi d’examiner la portée clinique et thérapeutique de l’écriture, de penser sa manière de réparer les failles que creuse l’arrivage d’un événement. Dans un contexte où l’événement (comme celui d’une guerre civile) est voué à l’oubli (un oubli imposé par des politiques corrompues—comme au Liban d’après-guerre), l’écriture peut-elle faire œuvre de résistance, sauvegarder une mémoire collective ? Dans le cas d’un événement particulièrement traumatique, l’écriture permet-elle de guérir celui qui le raconte ?

Axes de réflexion :

1-Définition(s) et implications philosophiques du concept d’événement (la destitution d’un sujet transcendantal, la nécessité de repenser la phénoménalité du monde, de se heurter au vacillement des concepts, du langage, à un débordement pathique…).

2-Les inventions formelles (narratives, poétiques…) et génériques (le choix d’un genre particulier) pour dire un événement—qu’il soit fictif ou effectif, collectif (une pandémie, une catastrophe naturelle, une révolution, un conflit armé, un attentat…) ou individuel (une maladie, un deuil, un coup de foudre…).

3-Les enjeux politiques ou sociétaux de la représentation/ de la conceptualisation d’un événement (l’écriture peut-elle remédier aux oublis de la mémoire collective, retisser des communautés, inquiéter le statu quo et le monde des faits ? Quel est l'intérêt des discours catastrophistes d'un événement, en l'occurence ceux d'une apocalypse nucléaire ou écologique à venir ?)

4-Penser l’efficacité cathartique/ thérapeutique de la mise en récit ou en concepts d’un événement (en quoi penser ou écrire l'événement peut-il nous permettre de mieux le vivre?)

5-Interroger la capacité de la littérature/ de la philosophie à faire événement, c’est-à-dire à rehausser n’importe quel phénomène au rang d’événement. Francis Ponge s’émerveillait d’un face-à-face avec une huître ; Jean-Luc Marion plaidait pour une « banale saturation » des phénomènes—nous permettant de nous émerveiller d’être au monde.

Les contributions peuvent concerner tous les genres ou courants littéraires/ philosophiques.

Merci d’envoyer les articles (35 000 signes) à krause.pamela@yahoo.fr avant le 15 septembre 2023.

L’article doit s’accompagner d’une courte notice bio-biographique et d’un résumé en français et en anglais (500 signes chacun maximum).

Les normes rédactionnelles de la revue sont disponibles en ligne à cette adresse :
https://www.pun-ed.fr/html/WYSIWYGfiles/files/2_Auteur_contribution_article.pdf

Mots-clés : littérature et philosophie, disaster studies, trauma studies, littérature et politique, phénoménologie, littérature et histoire

Bibliographie 

-Benoist Jocelyn, « Qu’est-ce qui est donné ? La pensée et l’événement », Archives de philosophie, no. 59, pp. 629-657.
-Badiou Alain, L’être et l’événement, Paris, Seuil, 1988.
-Badiou Alain, Logiques des mondes, L’Être et l’événement, 2, Paris, Seuil, 2006.
-Dosse François, Renaissance de l’événement, Un défi pour l’historien : entre sphinx et phénix, Paris, PUF, 2010.
-Ferrier Michaël (dir.), Dans l’œil du désastre, créer avec Fukushima, Paris, éditions Thierry Marchaisse, 2021.
-Coll. Ce qui nous arrive, Paris, Inculte/Dernière marge, 2022
-Célestin Roger, Dalmolin Eliane et Brun Catherine (dir.), « Writing Terrorism/Écrire le terrorisme », Contemporary French & Francophone Studies, vol. 24, numéro 4, 2020.
-Gefen Alexandre, La Littérature est une affaire politique, Paris, Éditions de l'Observatoire, 2022.
-Gefen Alexandre, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, Librairie José Corti, 2017.
-Greisch Jean, « Ce que l’événement donne à penser », Recherches de Science Religieuse, vol. 102, no. 1, 2014, pp. 39-62.
-Marion Jean-Luc, De surcroît. Études sur les phénomènes saturés, Paris, PUF, 2015.
-Marion Jean-Luc, Étant donné. Essai d’une phénoménologie de la donation, Paris, PUF, 2005
-Machhour Héba, Saminadayar-Perrin Corinne (dir.), Faire/écrire l'événement. Littérature, histoire, fiction XIXe-XXIe siècles, Paris, L’Harmattan, 2020.
-Romano Claude, L’événement et le monde, Paris, PUF, 2021.
-Serban Claudia, « L’événement historique, un paradigme de la phénoménalité ? », ALTER, no. 25, 2017, pp. 135-153.
-Rockmore Tom, Before and After 9/11. A Philosophical Examination of Globalization, Terror, and History, London, Continuum, 2011.
-Tamraz Nayla (dir.), Littérature, art et monde contemporain : Récits, Histoire, Mémoire, Beyrouth, Presses de l’université Saint-Joseph, 2015.
-Zarader Marlène, « L’événement, entre phénoménologie et histoire », Tijdschrift Voor Filosofie, vol. 66, no. 2, 2004, pp. 287–321.