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Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines

Tubes en scène ! L’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines" (revue thaêtre)

Le présent numéro se penche sur la présence des « tubes » dans les mises en scène contemporaines. Par « tubes » nous entendons les chansons populaires, à succès, immédiatement reconnaissables – qu’elles soient d’ailleurs « pop » ou « classiques ». Ces tubes toutefois ne doivent pas être seulement des airs, mais bien des « airs avec paroles », susceptibles d’entrer en résonance ou en dialogue avec les mots du spectacle dans lequel ils font irruption. Le mot « tube » apparaissant en 1979 comme le rappelle Peter Szendy[1], nous nous proposons de ne prendre en considération que les mises en scène postérieures à cette date, excluant ainsi les réflexions sur l’usage de la chanson dans les vaudevilles ou au théâtre de foire. Nous excluons aussi les pièces où la chanson est partie intégrante de la diégèse (comédies musicales, biographie scénique d’un chanteur ou d’une chanteuse), pour nous consacrer à l’irruption adventice, souvent inattendue, d’un tube dans la mise en scène d’un texte qui n’en supposait pas la présence.

Questions de dramaturgie

Comment le tube s’insère-t-il dans la fable[2] ? Est-il une interruption ? Un clou, comme au XIXe siècle ? On pourra se poser la question du statut extra-diégétique ou intra-diégétique du tube. De quelle manière les paroles de la chanson, connue, entrent-elles en résonance ou en dissonance avec le texte du spectacle ? Comment aborder ces « intersons », cet intertexte musical dans la dramaturgie globale du spectacle[3] ? Chez Pommerat, les tubes (de Julien Clerc, Phil Collins ou Richard Cocciante) s’inscrivent de manière trouble dans la diégèse lors de moments de « concert ». Chez d’autres artistes, une chanson se constitue en horizon dramaturgique du spectacle : de "L’Hymne à la joie", tube avec ou sans paroles selon les usages, à "Imagine", dans Nous, l’Europe, banquet des peuples de Laurent Gaudé et Roland Auzet.

Ces tubes proposent-ils une sorte d’explication dramaturgique, en sus, des enjeux de la pièce, comme quand "The Wilhelm Scream" de James Blake résonne dans L’Avare d’Ivo van Hove, rendant plus “clair” le personnage d’Harpagon ? On pourrait également citer le moment où, dans Le Misanthrope du même Ivo van Hove, "Honesty" de Billy Joel retentit, créant une sorte d’hymne explicatif au personnage d’Alceste. Signalent-ils une lecture politique comme dans les nombreuses utilisations du "Chœur des esclaves" du Nabucco de Verdi, véritable « scie » des mises en scène dites politiques ? Ces tubes viennent-ils – parfois sans en avoir l’air – mettre en condition les spectateurs avant même les premiers dialogues, comme chez Vincent Macaigne (Idiot !) ou Anne-Sophie Pauchet (Exit), qui tous deux mobilisent des airs de variété italienne ? Ou produisent-ils un effet de mise à distance de la fiction et de ses enjeux, dans la tradition brechtienne ?

Il s’agira ici de poursuivre ou d’infléchir les réflexions sur la chanson, le son, la musique au cinéma, à savoir « essayer de replacer la chanson du théâtre dans le théâtre de la chanson », pour paraphraser Louis-Jean Calvet et Jean-Claude Klein[4], ou de se poser la question d’un « contrepoint didactique » apporté par la chanson au théâtre, comme le propose Michel Chion pour le cinéma[5]. 
 
Faire entendre les tubes

On pourra adopter une réflexion technique et matérielle à l’égard de ces irruptions musicales : quel volume sonore, pour le tube ? Produit-il un effet d’immersion ou au contraire de rejet ? Est-il chanté en live ? En play-back ? auquel cas, le public a-t-il conscience du play-back ? Le « tube » vient-il briser la partition sonore du spectacle, ou s’inscrit-il dans l’harmonie d’ensemble ?

Du côté de l’acteur et de l’actrice, quelles conséquences ? Comment un corps et une voix qui jouent deviennent-ils un corps et une voix qui se mettent à chanter, voire danser ? Quel travail implique ce passage du jeu à l’interprétation musicale ? Comment est prise en charge la part de « show » ? Comment accueillir des applaudissements, qui souvent viennent interrompre la pièce et faire sauter le quatrième mur pour saluer ce morceau de bravoure ?

Questions de réception
 
En ce qui concerne les stratégies de mise en scène, la présence du tube s’explique-t-elle par une volonté de ressaisir l’attention d’un public de théâtre supposément vieillissant et endormi, ou de capter l’intérêt d’un public jeune et volatil ? Ne faudrait-il pas en ce sens envisager une différence générationnelle dans la réception, voire la reconnaissance, de ces « tubes » ? L’usage des tubes est-il de l’ordre de la médiation ? Est-ce une façon de rendre accessible un classique ? Les classiques les plus « poussiéreux » appellent-ils les musiques les plus actuelles ?

La reconnaissance du tube, qui invite le public à un playback silencieux, se substituerait-elle à la remémoration des dialogues de la pièce classique ? L’adresse se fait directe, la reconnaissance doit être immédiate, et la fonction de remémoration du théâtre réactivée d’une autre façon, hors théâtre. Se joue ici une ligne mineur/majeur, légitime/populaire dans le champ culturel[6]. Nous sommes au théâtre (bourgeois), mais on y écoute aussi, voire on y chante, de la variété. L’irruption d’un tube pourrait d’ailleurs être vue comme une sorte de snobisme pour happy fewlorsqu’il met au défi de reconnaître un tube esquissé ou détourné. Comment appréhender le tube quand il n’en reste que quelques notes, qu’il devient une partition « cachée » des Beatles dans un Shakespeare comme dans la mise en scène de Comme il vous plaira de Christophe Rauck ?

Que faire de la présence de ces tubes ? Est-elle « gratuite », et relève-t-elle d’une sorte de cinématisation du théâtre, qui se conçoit de plus en plus « avec une bande-son » ? Ou doit-on aussi voir l’influence de la publicité, qui depuis longtemps fait appel à des airs connus pour capter l’attention du public ? On pourrait aussi se demander si le tube ne serait pas un guide de réactions ou d’émotions : les lamentations de Didon amènent les larmes, comme par réaction pavlovienne. Le tube chercherait à susciter une émotion collective, puisée dans une culture partagée ou un imaginaire commun, émotion qui instaure une relation de connivence entre la scène et la salle.

Perspectives

Le numéro accueillera aussi des articles plus transversaux sur la récurrence de tel·le ou tel·le interprète : quid de Dalida ? Claude François ? Eros Ramazotti ? Johnny Hallyday ? Quels tubes retrouve-t-on d’un spectacle à l’autre ? "On va s’aimer", "Mourir sur scène", "Cold Song" ?
On aimerait aussi se pencher sur la question du répertoire, et des tubes en langues étrangères : le hit-parade des tubes de théâtre est-il le même que le hit-parade mondialisé, mais clairement anglophone ? Que dire de l’apparition d’une chanson dans une autre langue que celle de la pièce ? Ces questions pourront être posées dans d’autres aires culturelles que celle européenne privilégiée, extension qui invitera probablement à s’interroger sur la relativité de la réception du tube, d’un pays à l’autre.

Formes des contributions

Le numéro entend aussi laisser place à des entretiens avec des artistes (metteur·es en scène, acteur·rices, créateur·rices son, musicien·nes…) et s’emparer des questions juridiques que peut soulever l’irruption du tube sur les scènes théâtrales contemporaines. Toutes propositions para-académiques sont également les bienvenues : recherche-création, archives de création (textuelles, sonores, graphiques, photographiques, audio-visuelles…), propositions intermédiales et notamment sonores, questionnaires de spectateur·ices…

 
[1] Peter Szendy, Tubes. La Philosophie dans le juke-box, Paris, Éditions de Minuit, 2008.
[2] Sandrine Le Pors, « Le texte théâtral contemporain et la chanson », Les Interactions entre musique et théâtre, Montpellier, L’Entretemps, 2011.
[3] Comme le fait Ulysse Caillon pour l’usage de la pop musique dans : « Playback, karaoké, sampling : recyclages musicaux pop sur la scène contemporaine », Acta Litt&Arts [En ligne], « Attention, machine ! Pratiques artistiques et recyclages médiatiques », mis à jour le : 09/11/2021, URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/actalittarts/645-playback-karaoke-sampling-recyclages-musicaux-pop-sur-la-scene-contemporaine.
[4] Louis-Jean Calvet et Jean-Claude Klein, « 3. Chanson et cinéma », Vibrations n°4, « Les musiques des films », janvier 1987.
[5] Michel Chion, Le Son au cinéma (Paris, Seuil, 1994). On pourra aussi convoquer Theodor W. Adorno et Hanns Eisler, Musique de cinéma (Paris, L’Arche, 1972) pour le contrepoint dramatique.
[6] Agnès Gayraud, Dialectique de la Pop, Paris, La Découverte, “Culture sonore, 2018.

Calendrier indicatif

Les propositions d’une demi-page (350 mots environ), accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à envoyer pour le 1er mars 2023 aux trois adresses suivantes :

-       corinne.francois-deneve@uha.fr
-       agnes.curel@univ-lyon3.fr
-       floriane.toussaint@outlook.com
 
Le comité scientifique rendra ses réponses fin mars 2023, et les articles seront à remettre fin septembre 2023. Les articles seront ensuite soumis au comité éditorial de la revue thaêtre pour une parution à l’automne 2024.

Organisatrices 
 
-       Agnès Curel, Maîtresse de conférences en littérature et théâtre, Université Jean Moulin Lyon 3
-       Corinne François-Denève, Professeure des Universités en littérature comparée, Université de Haute-Alsace
-       Floriane Toussaint, Docteure en études théâtrales et ATER en Arts du spectacle, Université de Caen Normandie