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Punir - 4e conférence internationale de SAFI (Societas Aperta Feminarum in Iuris Theoria)

Punir - 4e conférence internationale de SAFI (Societas Aperta Feminarum in Iuris Theoria)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Stéphan Alix)

Le concept de “punition” est ancien et a acquis peu à peu une certaine autonomie disciplinaire. Ce qui est en question est la rationalisation de l’action punitive – souvent interrogée par des auteurs tels que Friedrich Nietzsche, Walter Benjamin, Paul Ricœur – limitant ainsi le champ de recherche à celui plus spécifiquement juridique qui se dessine autour de la notion de peine. 

La punition dans un sens large (mythique-religieux, pédagogique) tout comme la peine dans un sens plus strict, mettent en exergue la logique d’une violence justifiée. C’est alors le lien entre justice et droit qui est mis en évidence. Benjamin a contesté l’identification du droit à la justice: selon lui, le droit cache derrière l’apparence de la violence qui le préserve celle qui le fonde. Derrida souligne également la nécessité de distinguer ces deux concepts : le droit, comme ce qui peut être déconstruit, et la justice, comme expérience de l’impossible (on peut se référer à son texte Force de loi). Explorer la notion de punition nous pousse à arpenter cet espace entre droit et justice et à nous demander : quelle adresse à l’autre est formulée dans l’acte de punir ? Mais également, que cela veut-il dire de juger ? Qu’est-ce que décider dans le cadre d’un tribunal ? Ces questions peuvent être à la fois formulées en référence aux lois et à la jurisprudence, mais également, plus généralement, en interrogeant la singularité de l’individu face à la généralité du système légal. 

En prenant en compte de telles perspectives, on peut remarquer que le long processus de rationalisation des actions punitives coïncide avec :

Tout d’abord, la volonté de légitimer le hiatus séparant une punition juste d’une peine juridique a pris plusieurs formes. Les théories proposant un ratio juridique de la peine peuvent être regroupées en trois larges catégories (Brooks 2012) : (i) les théories rétributives ou absolues (remontant traditionnellement à Kant et Hegel) ; (ii) les théories utilitaristes ou relativistes (remontant traditionnellement à l’école juridique des Lumières) ; (iii) les théories mixtes. Les récents débats anglo-américains plaident pour une modification des fondements classiques de la condamnation et le développement de ‘justifications normatives’ – morales (Murphy ; Tadros) ou politique (Caruso ; Kelly) – s’interrogeant plus particulièrement sur le concept de responsabilité. Deuxièmement, la transition progressive de « grandes peines » à de « petites disciplines », incluant la critique de la peine de mort (Beccaria, Derrida). L’abandon de la mise en œuvre de peines exemplaires au profit du confinement, et des dynamiques qui y sont liées, marque également le développement de la réflexion biopolitique et de son étude des liens latents entre punition et pouvoir (Foucault). Dans ce contexte, le large concept de ‘détention préventive’ joue un rôle important. Un temps de détention peut avoir lieu en amont de tout jugement juridique (détention provisoire) ainsi qu’après la fin officielle de la période de détention imposée par le jugement (pour des raisons de sécurité publique) ; enfin, des systèmes parallèles d’internement civil peuvent être prévus lors de la dyagnostique de troubles psychiques  (Ashworth, Zedner). Cependant, ces typologies de détention et d’internement doivent-elles être pensées à partir du concept de peine ou bien au sein d’un autre cadre réflexif ? 

En parallèle avec ces questionnements, le système pénitentiaire est aujourd’hui encore au cœur de débats animés (Observatoire International des Prisons ; Surprenant). De tels débats, soulignant la mise en danger des droits fondamentaux des détenus, incluent :

  • La surpopulation des prisons, face à laquelle la décriminalisation de certains actes est proposée (ratio déflationniste).
  • La relation complexe entre incarcération, santé mentale, et, plus généralement, le droit des prisonniers à avoir accès aux soins (enjeu exacerbé par la pandémie).
  • Le nombre alarmant de suicides et de cas d’automutilation pointant du doigt l’apparent échec quant aux ambitions de rétablissement, de réhabilitation et de réinsertion sociale.
  • La question de la violence en prison, y compris les cas de maltraitance des prisonniers.
  • La structure binaire du système carcéral, qui ne prend pas en compte la complexité des identités de genre.
  • L’oxymore que constitue une expression comme parentalité carcérale et surtout le cas de la maternité en prison.
  • L’attention insuffisante portée aux détenues et à la spécificité de leurs besoins.
  • Les enjeux liés à la détention des mineurs et les challenges d’un système éducatif carcéral.
  • Le sujet sensible de la privation de relations émotionnelles et sexuelles en prison.
  • Ces enjeux, et bien d’autres, mettent en lumière la nécessité de penser les pratiques punitives avec l’aide du care, des études féministes, des critical race theories, des études queer et des disability studies, ainsi qu’en dialogue avec des domaines tel que l’architecture, la pédagogie, l’étude des médias…

Les nouvelles technologies se sont également insérées dans le débat, tout particulièrement concernant une ‘justice prédictive’, proche de l’idée d’une ‘calculabilité légale’ (Lebreton-Derrien). Si la justice prédictive est particulièrement convoquée dans des cas de contestation légale civile, il est aussi possible de s’interroger quant aux implications liées à l’usage d’algorithmes dans le cadre du processus décisionnel légal pénal (CEPEJ ; Vermeulen, Persak, Recchia), plus particulièrement en prenant en compte l’utilisation de l’informatique pour mesurer les risques de récidive d’un individu dans le but d’adapter la durée de la condamnation ou de considérer des mesures alternatives à l’incarcération. Le lien entre technologie et droit pénal est également d’actualité dans la prise en compte l’implication d’intelligences artificielles dans certains crimes (par exemple l’implication d’un véhicule autonome dans un accident de la route, une erreur de diagnostic médical par une IA…).

On peut également souligner que le recours au droit pénal pour accompagner des sanctions civiles rencontre de nombreuses critiques qui ont, entre autres, menées à l’abolition de la peine de mort (Davis ; Ricordeau ; Coyle, Scott) et à l’émergence d’un nouveau paradigme depuis les années 90 : la “justice restaurative” (Miller ; Zehr ; Mannozzi, Lodigiani ; Gavrielides). L’accent est mis sur une approche ‘restaurative’ plutôt que punitive, dans le but d’impliquer victimes et coupables dans un processus de réconciliation et de reconnaissance. Cette approche s’est révélée prolifique tant dans le domaine théorique que pratique. Avec le concept de punition d’autres notions émergent. Liée au crime et à l’injustice, on peut noter sa contrepartie légale, la grâce ; ou morale, le pardon qui a été le sujet de considérations philosophiques (Hegel ; Arendt ; Jankélévitch ; Derrida ; Ricœur). 

Le concept d’impunité peut également être invoqué : que cela veut-il dire ne pas punir un acte ? Cela peut faire référence au choix conscient de ne pas poursuivre les auteurs de cet acte ou au manque de qualification juridique. La justice environnementale souligne de tels enjeux en mettant également en avant la notion de responsabilité. Les débats actuels concernant l’acquisition de la personnalité juridique par des écosystèmes interrogent sur le rôle que la peine jouera dans les litiges qui verront le jour (Nash ; Stone ; Youatt ; de Toledo). La notion d’impunité émerge aussi concernant les crimes contre l’humanité (Pouligny, Chesterman, Schnabel), qui voient leur processus de réparation souvent délégué à des tribunaux pénaux internationaux. On peut ainsi se demander, en raison des limites de la justice ‘classique’, dans quelle mesure des formes alternatives de combat contre l’impunité (comme les commissions Vérité et Réconciliation) contribuent à la reconstruction de communautés cohérentes ? L’impunité est également centrale en ce qui concerne les injustices historiques aux répercussions actuelles, comme les pillages coloniaux. La reconnaissance de méfaits passés permet l’émergence d’une nouvelle grammaire juridique et sociale, mais quelle y sera la place de la peine dans le but d’éviter l’impunité ? Le concept de ‘réparation’ est-il toujours adéquat dans tels cas, ou bien d’autres perspectives (Bessone, Cottias ; Táíwò), telle que la “justice transitionnelle” (Teitel), devraient-elles être considérées ?

Un autre champ d’interrogations émerge également : en quoi les productions esthétiques nous aident à mieux comprendre le concept de peine ? Les productions littéraires et artistiques ont été des espaces de réflexion (Dostoïevski ; Kafka), de dénonciation (Hugo ; Camus) mais aussi de figuration du monde juridique et carcéral. L’art (le travail d’Ernest Pignon-Ernest par exemple) a démontré son extraordinaire capacité à représenter les prisons comme lieux hantés par une certaine histoire, souvent refoulée par le collectif, imposant alors aux condamnés une double peine : l’incarcération et la promesse d’être oubliés.

Cette conférence est ouverte aux contributeur.e.s de toutes disciplines. Le but de ce colloque est de faire dialoguer différentes approches (historiques, philosophiques, légales, socio-politiques…) au sein d’échanges interdisciplinaires.

Modalités de soumission :

Les propositions de communication consistent en un résumé en français ou en anglais et ne doivent pas excéder 500 mots. Elles doivent être accompagnées d’un titre, d’une biographie (150 mots), du nom et de l’adresse électronique de l’auteur.e.s. Les soumissions de chercheur.se.s venant de groupes sous-représentés sont particulièrement encouragées.
Les résumés doivent être soumis au plus tard le 15 Avril 2023 à l’adresse Paris2023@hsu-hh.de. Les participant.e.s seront informé.e.s de la décision le 15 Mai 2023 au plus tard.
Veuillez noter que chaque présentation devra durer 20 minutes (suivie d’un temps de discussion) et que le colloque se tiendra en anglais et en français, en fonction des intervenants.
Le colloque se tiendra à Paris du 5 au 7 octobre 2023.
Pour plus d’information sur SAFI vous pouvez consulter le site : https://safi-network.org/ 
Pour toutes questions, veuillez contacter Alix Stéphan : alix.stephan@ucdconnect.ie ; ou Chiara Magni : Chiara.Magni@etu.univ-paris1.fr