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Jouabilittarité : intersections du littéraire et du ludique

Jouabilittarité : intersections du littéraire et du ludique

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Emmanuelle Lescouet)

Dossier coordonné par Pierre Gabriel Dumoulin (UQAM), Emmanuelle Lescouet (UdeM) et Amélie Vallières (UQAM).

Ce dossier sera publié dans la revue Cultural Express.

Nous désirons questionner l’utilisation des outils, appareils ou interfaces mobilisés par les pratiques ludiques afin de réfléchir aux usages de ces outils pour la narration. Cette réflexion s’articule dans une perspective transdisciplinaire et intermédiale, laquelle entend explorer comment les pratiques ludiques sont investies, détournées et employées par les joueur·se·s. Nous souhaitons ainsi encourager la discussion aux croisements de l’immersion et de la narration dans les contextes ludiques, et ce, à partir des supports mobilisés par la pratique.

Nous entendons ainsi poursuivre la réflexion de certain·e·s chercheur·se·s sur les notions d’immersion (Bréan, 2020; Murray, 1997; Ryan, 2001) et de corporalité (Amato, 2005) au prisme des travaux de Slater et Sanchez-Vives (2016) ainsi que de ceux de Calleja (2011), pour lesquels la notion d’immersion doit être croisée à celle de présence (p.21), c’est-à-dire que les œuvres ludiques exigent une adéquation entre les outils, ou supports, et les affects qui se constituent chez les joueur·se·s.

Au-delà de la matérialité nécessaire à l’appréhension de l’œuvre (Cavallo et Chartier, 2001), penser cette présence (coprésence) physique et corporelle dans le cadre des études de la réception devient indispensable : la diversité des formes, supports et gestes convoqués force le·la interlecteur·rice contemporain·e à impliquer son corps dans l’expérience esthétique. Ce contact est au cœur même de l’inscription de soi dans l'œuvre et, donc, des enjeux d’immersion (Triclot, 2017).

L’évolution parallèle des jeux de plateau et des jeux vidéos ouvre également des incarnations narratives et des gestes divers et multiples. De même, la possibilité de rencontre et d’hybridité est à étudier autant dans le cadre de la narration que de la construction, de l’actualisation et de l’illustration des métatextes fictionnels.

En ce sens, il s’agit de réfléchir sur les relations entre mécaniques narratives et ludiques. Comment les outils mobilisés par les pratiques ludiques supportent-ils la narration ? De quelles façons les mécaniques participent-elles à l’immersion ? Comment les approches transdisciplinaires et intermédiales permettent-elles de développer de nouveaux outils d’analyse ?

Nous proposons d’en discuter les tenants à partir de trois axes.

Axe 1 : l’interaction narrative et ludique entre les supports physiques et numériques

La diversité des supports de jeu (jeux de cartes, de plateaux, à meeple ou pions, jeux vidéos sur console, téléphone intelligent ou ordinateur) tend à s’hybrider pour créer des propositions uniques. La coprésence de ces supports dans des œuvres permet de développer des narrations : si dans la série Unlock! (Space Cowboys) l’application vérifie les réponses aux énigmes, les cartes sont nécessaires pour le world building ; si [kosmopoli:t] (Jeux Opla) nécessite un plateau, l’application audio est nécessaire pour résoudre les enquêtes.

Nombre de créateur·ice·s de jeux de rôles mettent à disposition du matériel additionnel : figurines, cartes, applications de navigation, playlists d’ambiances sonores… permettant d’enrichir l’expérience.

Les interactions entre ces différents supports, ces matérialités distinctes, viennent interroger la coprésence agentive du·de la joueur·euse : Dans quelle dimension s’inscrit-iel ? Où ses traces se matérialisent-elles ? Comment ces dernières participent-elles à la construction narrative ?

La cohabitation du numérique en interaction avec des supports physiques vient poursuivre l’hyperconnexion (Agostini-Marchese, 2020) et l’enrichir d’un métatexte gestuel et narratif particulier.

La question existe également dans les études vidéoludiques. Jouer sur une console ou une autre, sur installation fixe ou téléphone intelligent, avec une manette ou des contrôles tactiles change l’expérience. Ces différences gestuelles sont à la base d’expériences diverses et potentiellement uniques.

Axe 2 : les différences entre les outils, appareils, dispositifs d’interaction

Les limites et possibilités offertes par le ludique en matière de narration se multiplient constamment en fonction des combinaisons offertes par les outils de développement, les appareils de jeu et les dispositifs d’interaction. Du visual novelau point&click, en passant par les jeux de table, les jeux en réalité augmentée ou virtuelle, les modalités avec lesquelles les joueur·se·s investissent la diégèse invitent à approfondir les théories sur les espaces narratifs (Coavoux et al., 2012) à partir d’un spectre d’interactivité et d’une diversité d’outils.

Les espaces narratifs qui se constituent dans les univers ludiques viennent troubler la notion classique de la littérature et invitent à penser autrement la façon dont une histoire est racontée ou vécue (Dubbelman, 2016). D’une part, les joueur·se·s investissent l’histoire, iels viennent interagir avec celle-ci ; d’autre part, les espaces narratifs propres aux formes ludiques imposent leurs propres contraintes aux possibilités interactives. C’est-à-dire que les modalités dans lesquelles le jeu est créé (le moteur de jeu, les actions programmées, la physicalité du jeu) viennent démultiplier les façons d’interagir avec l’histoire.

Si la narration repose sur un répertoire d’actions (Gervais, 2005; Citton, 2012), l’interaction inhérente des formes ludiques permet de développer de nouvelles façons de vivre des expériences littéraires, et cela, par l’entremise d’outils, d’appareils ou de dispositifs techniques. Autant ces dispositifs permettent de mettre en place de nouvelles modalités (l’apport de la réalité virtuelle pour l’immersion, par exemple), autant ces mêmes dispositifs sont contraignants : le son absent des jeux de plateau, les problèmes d’accessibilité des manettes, les limites programmées dans l’univers ludique, etc.

Chacun des dispositifs d’interaction vient avec son propre répertoire d’actions, lequel s’inscrit dans une historicité des pratiques interactives. Par exemple, certains éléments mécaniques ont une signification (« A » pour sauter, les touches « WASD » du clavier pour se déplacer), tandis que les outils eux-mêmes ne cessent d’évoluer (de la manette de Nintendo Entertainment System aux casques de réalité virtuelle).

Ce deuxième axe invite à penser aux modalités qui permettent l’interaction, voire l’immersion, avec les univers ludiques, aux limites des dispositifs, et à la façon dont ces derniers se développent pour proposer de nouveaux paradigmes d’immersion.

Axe 3 : les interfaces et leurs impacts sur l’immersion et la narration

L’expérience immersive est façonnée par la façon dont l’univers fictionnel interpèle les joueur·se·s et par la manière dont celleux-ci parviennent à interagir avec les codes de l’univers ludique. Les interfaces participent ainsi à mobiliser certains affects et déterminent, en partie à tout le moins, l’expérience ludique.

Qualifiée comme étant « l’expérience d’être transporté·e dans un endroit simulé et élaboré » (Murray, 1997, p.98, nous traduisons), l’immersion est au cœur de tout processus ludique et narratif. L’interface intervient dans l’expérience immersive, en ce que les joueur·se·s interagissent à la fois dans l’œuvre et avec l’œuvre (Ensslin, 2012). Le rôle que joue l’interface dans la production des affects intervient dans le processus immersif, mais aussi dans la manière dont l’immersion peut être utilisée comme outil par les développeur·se·s.

L’immersion survient lorsque les joueur·se·s s’incarnent dans le monde virtuel, et que ce dernier réagit à leur présence (Calleja, 2011). L’interface devient ainsi le filtre par lequel les actions sont médiatisées, à la fois d’un point de vue de l’interface utilisateur que de celui des outils qui permettent la mise en relation entre les joueur·se·s et l’univers fictif (par exemple, souris, manette, clavier, caméra, etc.).

En proposant cet axe de recherche, nous désirons encourager la discussion sur le(s) rôle(s) que jouent les interfaces et outils nécessaires aux expériences ludiques et sur comment ces expériences modifient, altèrent ou influencent notre compréhension de l’immersion et de la ludonarration.

Nous aimerions inviter les chercheur·se·s intéressé·e·s à questionner les œuvres, les pratiques, mais aussi à se questionner sur les théories et modalités d'analyse du ludique.

Dates importantes :

3 mars : Soumission des propositions d’article
fin mars : Retour des coordonnateur·trice·s vers les auteur·trice·s
16 juin : Soumission des articles complets, si la proposition est acceptée
29 septembre : Retour aux auteurs
Publication prévue pour 2024.

Directives :

Les propositions d’article devront contenir un résumé de 500 mots, quelques références importantes et être accompagnées d’une brève notice biobibliographique, incluant l’université d’attache. Les propositions devront expliciter l’axe dans lequel elles s’inscrivent et résumer brièvement le cadre théorique, l’objectif de la recherche et sa méthodologie.
Si la proposition est retenue, l’article devra être écrit en français et contenir 30 000 à 40 000 signes (notes et espace compris, bibliographie non-comprise). Celui-ci sera soumis à une évaluation en double aveugle par les pairs.
Les exigences formelles de la revue Cultural Express sont disponibles ici : https://cultx-revue.com/diriger-numero.

Contact :

Amélie Vallières, vallieres.amelie@uqam.ca

Références mobilisées dans ce texte :

Agostini-Marchese, E. (2020). How to do Cities with Words. Ville, espace et littérature à l’ère hyperconnectée. Dans J. Moore et C. Proulx (dir.), L’agir en condition hyperconnectée. Les Presses de l’Université de Montréal. https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/11-agir/chapitre2.html

Amato, É. A. (2005). Reformulation du corps humain par le jeu vidéo : la posture vidéoludique. Dans S. Genvo (dir.), Le Game design de jeux vidéo : approches de l’expression vidéoludique (p. 299-323). Harmattan.

Bréan, S. (2020). Vers une immersion participative : étude comparée d’artefacts fictionnels en littérature, au cinéma et dans le jeu vidéo. Cahiers de Narratologie, 37. Récupéré de http://journals.openedition.org/narratologie/10466

Calleja, G. (2011). In-Game: From Immersion to Incorporation. MIT Press.

Citton, Y. (2012). Gestes d’humanités : Anthropologie sauvage de nos expériences esthétiques. Armand Colin.

Coavoux, S., Rufat, S. et Ter Minassian, H. (2012). Espace et temps du jeu vidéo. Questions théoriques.

Cavallo, G. et Chartier, R. (dir.). (2001). Histoire de la lecture dans le monde occidental. Seuil.

Dubbelman, T. (2016). Narrative Game Mechanics. Interactive Storytelling: 9th International Conference on Interactive Digital Storytelling. https://www.academia.edu/30072527/Narrative_Game_Mechanics

Ensslin, A. (2012). The Language of Gaming. Palgrave MacMillan.

Gervais, B. (2005). Lecture de récits et compréhension de l’action. Vox Poetica. http://www.vox-poetica.org/t/pas/bgervais.html

Murray, J. H. (1997). Hamlet on the Holodeck: The Future of Narrative in Cyberspace. MIT Press.

Slater, M. et Sanchez-Vives, M. V. (2016). Enhancing Our Lives with Immersive Virtual Reality. Front. Robot. AI, 3(74). https://doi.org/10.3389/frobt.2016.00074

Ryan, M.-L. (2001). Narrative as Virtual Reality. Immersion and Interactivity in Literature and Electronic Media. John Hopkins University Press.

Triclot, M. (2013). The Body of Video Games: Devices, Positions, Emotions. Digital Art Criticism, (3), 64‑79.

Triclot, M. (2017). Philosophie des jeux vidéo. La Découverte.